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Comment Jacques Mesrine et Michel Ardouin, dit "Porte-Avions", sont devenus les as du braquage
©AFP

Bonnes feuilles

Jean-Marc Simon publie "Mesrine les sept cercles de la mort" (éditions Mareuil). Jacques Mesrine (1936-1979) est l'homme de tous les paradoxes. La complexité du "personnage" interpelle d'autant plus qu'il est difficile de trier dans le labyrinthe de mensonges entourant sa vie. Extrait 1/2.

Jean-Marc Simon

Jean-Marc Simon

Jean-Marc Simon est historien et romancier. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur Jacques Messine. Il a été ambassadeur de France et conseiller Afrique du ministre des Affaires étrangères sous la première cohabitation, directeur de cabinet de plusieurs ministres de la Coopération, puis ambassadeur dans quatre pays africains (la République centrafricaine, le Nigeria, le Gabon et la Côte d’Ivoire), de 1996 à 2012.

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Mesrine, à cette époque, opère en fait surtout en duo avec cet autre braqueur expérimenté, déjà cité : Michel Ardouin, dit Michel le Belge, mais aussi, et surtout, « Porte-Avions », voire « la Tourelle de tir », du fait de la puissance de feu qu’il trimbale toujours sur lui, ainsi que du fait de sa stature : un mètre quatre-vingt-sept – près de dix centimètres de plus que Mesrine – et, pour reprendre la formule du commissaire Marcel Leclerc, « 120 kilos de délinquance »… Michel Ardouin témoignera lui aussi de cette époque à travers deux ouvrages autobiographiques : Une Vie de voyou, publié en 2005 chez Fayard, et Mesrine, mon associé, publié en 2008 aux Éditions du Toucan. Ce flingueur, aujourd’hui décédé, se refusait en effet à être considéré comme un lieutenant de Mesrine. Il voulait être regardé comme son associé à part entière. Une association du reste a priori improbable, s’agissant de deux caractères aussi forts que ceux-là ! Bien que toujours fidèle à son ami Jacques, Michel se montrera de fait souvent agacé par son ego démonstratif, ses facéties dangereuses et ses complications inutiles. Et finalement, il le trouvera même parfois assez « con »… 

Comme Mesrine, Ardouin est un fils de bonne famille dévoyé qui s’est bien moins intéressé à l’école qu’à la vie dans les bars, avec copains et putains, aux vols de voiture et aux casses à deux sous. « J’ai toujours été voleur », confessera-t-il volontiers. Ayant grandi dans le XVIIe, il a côtoyé jeune les voyous de Clichy, notamment ceux de la bande des Carpeaux, près du cimetière de Montmartre. D’une certaine façon, Mesrine et lui sont ainsi deux pays. En revanche, Ardouin n’a pas besoin de se mettre sans cesse en avant comme lui. Sûr de sa force, Porte-Avions évite les embrouilles et les bagarres inutiles. 

On a d’abord pensé que Michel Ardouin avait fait la connaissance de Mesrine en l’accueillant et en l’aidant par son entregent à son retour du Venezuela, mais en fait les deux truands se sont connus au Québec et, même, il n’est pas totalement exclu qu’ils y aient braqué ensemble. Porte-Avions est en effet un homme bien plus proche du milieu proprement dit. Non seulement il dispose d’un bon contact à Caracas, mais il est en affaires avec la mafia de Montréal, où il connaît de surcroît des anciens de l’OAS. C’est là-bas, à la mi-août 1972, qu’il entend parler pour la première fois du Français, alors qu’il s’y trouve pour des questions de trafic de drogue avec les frères Cotroni, eux-mêmes en cheville avec les Italiens de Détroit pour se fournir par bateaux. « La mafia italo-canadienne en a marre », témoigne-t-il d’ailleurs à partir des confidences d’Asti, l’homme de confiance des Cotroni, à propos des excès médiatiques de Mesrine devenus préjudiciables au business de la haute pègre. Le passeport établi au nom de Bruno Dansereau lui aurait donc été fourni par la mafia, qui l’aurait elle-même signalé aux autorités… D’où la méfiance de Mesrine et son exfiltration par la route. 

Ardouin, donc, par nature et par expérience de ce rude milieu “centrifuge”, se méfie de Mesrine, cette grande gueule sanguine et fantasque à qui il reproche notamment son addiction aux jeux d’argent : casino, poker, et surtout passe anglaise qui l’amène cinq fois par semaine dans un cercle clandestin de la Contrescarpe. C’est pour toutes ces raisons que le Grand l’agace parfois et qu’il relativise volontiers cette grandeur revendiquée par son « associé ». Et puis, au-delà de la relative instabilité de Mesrine, son rythme de vie lui fait question. Il le voit enchaîner des cycles de trois jours de grande fatigue et de réclusion puis de quatre jours de vigilance et d’hyperactivité. Du coup, il soupçonne chez lui un dérèglement hormonal. 

Alors, pouvons-nous donc nous demander, pourquoi ces deux-là s’associent-ils en cette fin 1972 ? Eh bien, tout simplement parce que le prudent Michel se trouve en cavale depuis maintenant sept ans – on voit sa discrétion – et qu’il a besoin d’argent. Le truand est avant tout un braqueur et il veut se faire un viatique d’une quarantaine de millions pour filer très loin, par exemple en Amérique du Sud. Et justement, pour le « braco », Mesrine est une sorte de Mozart… « C’est pas un voyou, dit Porte-Avions avec son sens habituel de la formule, mais il a le génie du braquage et une grosse paire de couilles. » 

Porte-Avions et Mozart font donc équipe ensemble. Une équipe contre-nature certes, mais aussi terriblement efficace ! Un troisième larron, toutefois, détone un peu à côté d’eux pour les braquages : Michel Grangier, dit le Lyonnais ou bien encore le Petit, qui est le benjamin de la bande. 

À seulement vingt-six ans, Grangier, lui, c’est Rantanplan, il n’en rate pas une : le genre à laisser tomber son arme dans la banque et à oublier d’ôter sa cagoule dans la rue. Une fois, dans un routier, il reçoit des coups de barre de fer alors qu’il porte un Walther P38 ; une autre fois, en rengainant, il se loge lui-même une balle dans la fesse ; une autre fois encore, il oublie de donner de ses nouvelles, on s’inquiète pour lui et Jacques prépare ses armes pour aller faire le tour des commissariats… Ce Rantanplan, toutefois, on l’adore. Porte-Avions le regarde comme un petit frère, et Mozart comme un fils. Mesrine lui pardonne même d’être un julot et un fils de bordelier, et Ardouin le “gonfle” avec un petit verre d’alcool avant chaque attaque. Bref, Grangier est une manière de trait d’union affectif entre ces deux as du braquage. 

Cette troisième anecdote, en tout cas, est pour nous parlante. Elle conforte cette idée qu’au-delà de son ego souvent démesuré, pour l’honneur ou par amitié, Mesrine est capable de prendre les plus grands risques pour porter secours à ses amis. Il a en outre la même vision idéalisée du respect de la parole donnée, de la confiance investie en l’autre, et ainsi n’imagine-t-il pas que l’on puisse le trahir. Et c’est assurément là une immense faiblesse dans l’univers qu’il s’est choisi. 

Au final, ces deux as du braquage mettent donc au point une forme d’attaque que par commodité on pourrait appeler “la méthode Mesrine”. Le ton, en effet, est plutôt le reflet du caractère de Mesrine qui opère en costume, à visage découvert, et qui, en ces circonstances, veille à dédramatiser la situation par son calme et son humour, voire par une certaine courtoisie. Lui, comme Ardouin, n’ouvre pas le feu pour rien et ne hurle pas sans raison. Pour l’action proprement dite, lui et Michel, de même, s’accordent bien sur la répartition des rôles. Mesrine effectue les reconnaissances dans les banques en venant y échanger de grosses coupures, et son associé et lui se couvrent mutuellement le jour de l’attaque. 

Ardouin se poste à la porte tandis que Mesrine entre le premier, annonce le hold-up et ordonne aux employés de s’éloigner des boutons d’alarme. Tous deux s’attachent alors à les rassurer pendant que Mesrine rafle l’argent des caisses puis se fait conduire au coffre-fort. Pour le repli, c’est Porte-Avions qui conserve les clés de la voiture, Jacques en gardant prudemment un double… dans la bouche – ce qui nous interroge tout de même, pour un bavard comme lui ! Les deux hommes nous présentent ainsi une méthode vraiment “douce” puisqu’avec eux, il n’y a pas de prise d’otages et que, disent-ils, s’ils doivent tirer, c’est au ras du sol. Mais ça, nous aurons l’occasion d’en débattre… D’autant plus que Mesrine claironne désormais qu’il ne se rendrait jamais ! 

La méthode est donc parfaitement rodée, et puis il y a ce sang-froid hors-norme des deux truands qui, ensemble, ne font qu’un en ce sens qu’ils ne relâchent jamais leur attention et qu’ils se couvrent sans cesse mutuellement. Dans la rue, celui qui descend de voiture est protégé par le chauffeur et, inversement, lorsque celui-ci descend, l’autre fait le guet depuis une vitrine. C’est un dispositif redoutablement efficace et qui fera d’ailleurs ses preuves jusqu’à la toute fin de vie de Mesrine, alors avec Charlie Bauer, son ultime complice. 

C’est donc grâce à cette parfaite coordination, cet égal sang-froid et leur grande autorité naturelle, que ces deux associés « tapent » ainsi ensemble près de 80 banques à cette époque. Quatre à cinq par semaine, dit Ardouin : deux le mardi, trois le vendredi… chaque coup rapportant de 6 à 8 millions, voire 18 ! Mais encore, indique Joyce, parfois Mesrine braque seul. Il dit aller chercher le pain et revient dix minutes plus tard avec l’argent de la banque d’à côté ! Ce que lui reproche d’ailleurs Porte-Avions, qui le voit en fait agir ainsi pour rembourser ses dettes de jeu. 

Les préférences de Mesrine vont alors à deux banques en particulier, le Crédit lyonnais et la Société Générale, qui, paraît-il, lui auraient refusé des crédits. En vérité, il n’a pas non plus échappé à ce grand rancunier que leurs agences ne possèdent pas encore de sas de sécurité… Mais ses attaques avec Ardouin ne se limitent pas aux banques ! Début décembre 1972, grâce à une information qui leur a été donnée, ils volent les quelque 30 millions d’une paie d’usine et, trois jours plus tard, presque autant à une caissière effectuant un gros retrait sous protection policière. Et là, face à des gardes et à des agents armés, le ton des attaques est très différent ! Ardouin fait vraiment le méchant, genre “allumé” franchement dangereux. Et il le fait d’autant mieux qu’une de ces fois-là, il a une crise de « palu ». À tel point qu’à leur retour à Mantes-la-Jolie, en manipulant son Tokarev à la sécurité trop sensible, il laisse partir un coup de feu. 

Bien sûr, l’incident pourrait alerter ce quartier paisible où Jacques et Joyce commencent à lier des relations… Qu’à cela ne tienne, Jacques file dans la rue, un pistolet d’alarme au poing, comme si lui-même s’inquiétait… Toujours ce même sens de l’à-propos géré avec sang-froid ! Et puis aussi cette attention à son associé qu’il veille ici à soigner comme il l’a fait à Montréal avec son ami JeanPaul Mercier. 

Cette maladresse n’est donc pour l’heure qu’une alerte sans conséquence. Début 1973, Mesrine et Joyce doivent toutefois quitter précipitamment leur planque de Mantes-la-Jolie suite à une imprudence commise par Jacques qui, à l’occasion de l’un de ses coups, aurait utilisé une Ford Taunus achetée en remplacement de la voiture louée en Espagne. L’inspecteur divisionnaire Dormier, l’un des limiers du commissaire Alain Tourre, patron du Service régional de police judiciaire de Versailles, remonte en effet jusqu’à lui grâce à ce faux passeport hier établi au nom de Bruno Dansereau et “balancé” aux autorités par la mafia italo-canadienne. Par bonheur, Mesrine semble bien jouir alors de cette fameuse baraka à laquelle il veut croire depuis l’Algérie ! Il s’apprête alors à acheter une voiture de sport, et lorsque son garagiste se rend chez lui pour lui en faire choisir la couleur, celui-ci évoque la visite d’enquêteurs venus lui poser des questions à propos de la Taunus. Un quart d’heure plus tard, toujours prêt à en découdre, Mesrine déserte les lieux avec un 45 sur les genoux, afin de pouvoir une fois de plus ouvrir le feu contre les policiers qui lui barreraient la route de Paris. Mais la baraka veut que le SRPJ ne débarque chez lui qu’au petit matin. 

Dans l’urgence, le couple est récupéré durant quelques jours par Ardouin, qui le cache alors dans sa planque de l’Île de la Cité, ainsi que Michel Grangier et Cathy, sa compagne “tapineuse”. C’est d’ailleurs également par ce même Ardouin que l’on apprend que Mesrine, déjà très réarmé depuis son retour d’Espagne, aurait perdu pas mal d’armes de poing dans cette retraite précipitée – quatre « morceaux », comme dit Joyce – ainsi que son cher fusil automatique cinq coups Herstal coupé à une trentaine de centimètres côté crosse et côté canon pour être équilibré au mieux dans le combat de près. Un fusil redoutable, puisque cinq fois plus rapide qu’un riot gun ! 

Fini en tout cas, pour Jacques Mesrine, les oripeaux du Canada ! Alors qu’il reconstitue une nouvelle fois son arsenal, il se fournit largement en faux papiers français. Pas moins de six passeports, dont deux “vrais faux passeports” qu’il a l’audace d’aller retirer lui-même… 

Désormais, il s’appelle Nicolas Scarff et se présente comme étant architecte, un métier qui le fascine depuis sa bonne expérience chez Tabacoff : unique intérêt pour une activité autre que celle de braqueur ou de restaurateur. Jocelyne, elle, se nomme Odette, Thérèse Corgnier et est censée être née à Paris en 1948. En dépit de son accent, la voici donc soudain bien française ! Fort de cette nouvelle identité, Mesrine loue alors un appartement confortable au 1 rue Pierre-Grenier, à Boulogne-Billancourt. Le lieu est plutôt chic et, cerise sur le gâteau, le logement appartient à un magistrat affecté à l’étranger et ayant de surcroît laissé la ligne téléphonique à son nom… Michel Grangier, à la fois ami et garde du corps, s’y installe avec eux, tandis qu’Ardouin se trouve une nouvelle planque, rue Cardinet, dans le XVIIIe, tout près de sa compagne Marie-Jeanne… qui d’ailleurs ignore cette adresse. C’est dire à quel point Porte-Avions est infiniment plus prudent et méfiant que son associé !

Ceci dit, au-delà de ce passé d’ennemi public numéro 1 du Canada que Mesrine traînera toujours derrière lui comme un boulet, certains “oripeaux” bien plus sensibles lui collent encore à l’âme. Ainsi l’absence de son ami Jean-Paul Mercier qu’il aurait souhaité aider à s’exfiltrer du Québec et à se planquer auprès de lui à Paris… alors que Joyce, dans le même temps, souhaiterait au contraire retourner s’installer à Montréal, près de sa famille. Hélas, Mercier, lui, n’a pas la baraka ! Suzie et lui sont arrêtés lors d’un braquage, début décembre 1972, peu de jours avant de tenter de gagner la France. Par bonheur, le Québécois n’a pas ouvert le feu, afin de ne pas exposer sa compagne. Et l’on peut bien sûr se demander ce qu’aurait fait Mesrine en pareille situation, ainsi surpris dans la rue… comme ce sera le cas, porte de Clignancourt, le 2 novembre 1979. 

Autre blessure de l’âme pour Mesrine, et sans doute bien davantage encore : l’absence de Jeanne Schneider, la femme et la compagne de ses premières aventures en couple, dont on évoque alors un possible transfert vers la France à l’été 1973. Joyce aime Jacques avec une réelle passion, mais lui il l’aime alors à la manière d’un entomologiste observant une créature. Elle est si jeune ! Paris et la vie facile l’éblouissent, alors il la juge par trop éloignée des réalités de leur situation et de ses dangers ; dans une sorte de rêve. « Elle ne faisait pas partie de ces femmes exceptionnelles sur qui on peut compter », dira-t-il plus tard de manière bien sévère. Alors, certes, Joyce et lui auraient fait ensemble un pacte de suicide – balle dans la tête ou cyanure – pour le cas où ils risqueraient de se trouver séparés, mais le souvenir et la situation de Janou continuent de le hanter cruellement. Non seulement elle est alors l’unique femme comptant véritablement pour Mesrine, mais pour cet homme chez qui l’incarcération appellera toujours systématiquement désir et projets d’évasion, il n’est pas acceptable d’avoir dû laisser derrière soi un être tant aimé. C’est assurément pour lui le plus douloureux des échecs. 

En attendant, Jacques Mesrine demeure donc pris par le “métier”, mais aussi par le milieu. S’ils sont alors des « stakhanovistes du braquage », selon la formule de Porte-Avions, la vie du duo de choc Mesrine-Ardouin ne se résume pas en effet à leurs seules attaques à main armée. Ils baignent dans un univers dangereux et doivent aussi bien faire avec leurs amis qu’avec leurs relations de “travail”, et ce n’est pas toujours facile… 

L’époque est en effet marquée pour eux par ce que Michel Ardouin appelle « l’affaire Manu B. », qui semble correspondre à la liquidation de sang-froid d’un certain Manuel Bouland dont le cadavre, ligoté et criblé de sept balles – dont quatre dans la joue –, a été retrouvé le 7 janvier 1973 près de Versailles, entre les bois des Fonds-Maréchaux et la forêt de Fausses-Reposes. Et là, si l’on peut parler d’ennuis possibles entre la bande de Mesrine et le milieu, c’est bien du milieu avec un grand M dont il s’agit, ou, plus exactement, avec un grand Z… puisque ce sont alors les frères Zemmour – William, Gilbert et Edgar –, les fameux « Z » qui tiennent le haut du pavé criminel à Paris. 

L’affaire débute – comme on le voit dans L’Instinct de mort, d’ailleurs, avec le litige entre Mesrine et le soi-disant Ahmed… – par une banale histoire d’amour entre une prostituée et un truand voulant la racheter à son julot. Le petit voyou s’appelle donc « Manu » et, pour obtenir la libération de « la belle Christine », il fait appel à son ami Jean-Claude Canot, de la bande de Mesrine, un « juif pied-noir » bon braqueur et proche d’un certain « Roger Bacri », en qui l’on croit reconnaître bien davantage le fameux Roger Bacry, l’un des redoutables lieutenants des Zemmour, d’ailleurs lui-même “suicidé” en juin 1974. 

L’affaire, surtout, débute mal, puisque « le Petit » Michel Grangier se fait malmener à La Resserre, un bar de la rue de Bailleul, par Bacri et ses hommes. Aussitôt, Mesrine le coléreux mobilise… Avec Jean-Claude Canot et un certain Christian Motaz, il fait une descente dans le bar et blesse au couteau un truand de la bande adverse, puis, armés jusqu’aux dents – grenades, mitraillettes… et même fusil-mitrailleur ! –, prêts à tout, ils tournent dans le quartier des Halles en Estafette… On rapprochera bien sûr cet épisode de ce que Joyce appelle quant à elle « l’affaire Paul », où son Jacques, accompagné de ses amis et dans un style très film noir, désarme tout le monde dans l’établissement et fait danser une « prostituée hargneuse » en lui tirant des balles entre les pieds… 

Bref, les voici alors « en guerre contre les Z », écrit Porte-Avions, qui est en fait bien mieux qu’un simple flingueur car, semble-t-il, également l’irremplaçable trait d’union entre Jacques Mesrine et la haute pègre, qu’elle soit canadienne ou parisienne. Et justement, Ardouin croit alors avoir calmé le jeu d’autorité entre Bacri et Manu. Hélas, ce dernier paraît bien indifférent aux efforts faits pour lui et ne voit pas les risques qu’il fait prendre à ses amis. Au-delà des pulsions de colère de Mesrine, les Z, en effet, c’est du gros, du très gros ! La guerre des gangs, à cette époque, fait pas moins d’une trentaine de morts. Et dans ce contexte, au bout du compte, la vie du très ingrat Manu ne pèse pas lourd ! D’autant plus que le cercle clandestin de la Contrescarpe où Mesrine joue et perd beaucoup, appartient au territoire des Z, notamment de Gilbert Zemmour qui y joue gros également… 

Bref, désir de paix oblige, Manu est liquidé par ses propres amis et, au printemps suivant, on retrouvera chez Mesrine, à Boulogne-Billancourt, le 45 utilisé pour son exécution ; ceci, d’ailleurs, sans que l’on puisse établir formellement sa part de culpabilité. Sagement, Ardouin et Grangier font alors la paix avec les hommes des Z au restaurant Les Grillades, dans le quartier Saint-Paul, tandis que Mesrine, Carnot et Motaz assurent leurs arrières depuis leur Estafette avec pas moins de 2 000 cartouches… 

Pour Jacques Mesrine lui-même, « l’affaire Manu B. » se termine donc bien. Le voici passé entre les gouttes du “métier” et du milieu avec un grand Z, le voici réchappé des éclaboussures provoquées par ses amis et relations. Mais, hélas ! à maintenant trente-six ans, le petit gars de Clichy puissamment gonflé au bon air médiatique du Canada, et qui se donne désormais des airs de caïd, a pour principal ennemi sa propre personne. Mesrine le rancunier cède si facilement à la colère et se laisse aller si volontiers à faire son cinéma ! 

En un mot, avec cet ego et ce tempérament, il n’a pas besoin d’autrui pour s’embarquer dans de sales histoires. Ainsi, ce 5 mars 1973, lorsqu’il déboule tel un diable au Dixie, un « bar à putes » de la rue Godot-de-Mauroy, près de la Madeleine, où il a depuis six ans un compte à régler avec le patron. Il est 19 heures passées et ce dernier n’est pas là, alors le ton monte vite entre Mesrine et la caissière. Déjà il lui jette un verre de scotch à la figure et, comme un julot l’énerve, il sort son 45 pour contrôler le bar pendant qu’il se met allègrement à briser bouteilles et miroirs… comme dans ces westerns qui l’enchantaient hier. Sa façon à lui de faire son cinoche. 

Mais là, on est dans la vraie vie. Une fille sortie en douce a alerté une patrouille de police et voici un policier du nom de Gilbert Ferry qui entre dans le bar en pensant avoir affaire à un simple ivrogne. Déjà Mesrine le vise… et tire ! Par chance, l’homme a le réflexe de se baisser. La balle pénètre salement à la base du cou et ressort près de la colonne vertébrale, mais sans l’avoir touchée. Un vrai miracle ! Gilbert Ferry s’en sortira. 

C’est la quatrième fois que Jacques Mesrine ouvre le feu contre un représentant de l’ordre. Et le sang, une nouvelle fois, a coulé. 

Comme hier à Montréal, Mesrine s’éclipse alors par l’arrière de l’établissement. Dans la rue, toutefois, il tombe sur l’équipier du blessé, déjà en train d’appeler des renforts depuis leur voiture de service. Cette fois-ci, c’est le policier qui tire, et le fuyard doit s’engouffrer dans un immeuble, où il gagne promptement le premier étage. Là, il brise la fenêtre du palier, gagne une toiture et, se jetant à travers une autre fenêtre qu’il fait exploser, il atterrit devant une dame seule, entre deux âges. Impressionnée par cette irruption et par ce sang sur lui – il s’est coupé en sautant –, elle le guide sous la menace jusqu’au portail de l’immeuble débouchant rue Vignon. Arme au poing, il court alors comme un dératé jusqu’au boulevard de la Madeleine, où il monte à l’arrière d’un taxi et braque le chauffeur.

Comme à Saint-Vincent-de-Paul, l’homme ne résiste pas. Devant Mesrine, ou on est séduit, ou on a peur ! Peur pour l’instant présent, peur des représailles… Cet homme-là, en tout cas, ne se fera pas connaître à la police et ne dira donc rien de ce mystérieux braqueur qui, grand seigneur, a jeté à côté de lui un billet de 500 francs pour la course… Prudent, Mesrine se cache un moment chez un ami parisien – pourquoi pas chez Michel Ardouin, rue Cardinet ? –, puis regagne le soir même son appartement de Boulogne-Billancourt. 

Mesrine, ce 5 mars 1973, a bien failli se faire prendre, et par sa faute ! De surcroît, il a lourdement et bien inutilement ajouté aux griefs de la justice contre lui. C’est un miracle que sa victime n’ait pas été tuée, mais c’est aussi un miracle qu’il soit parvenu à s’échapper ainsi. Néanmoins, il ne faut pas trop jouer avec la baraka… 

La police, en effet, s’intéresse de plus en plus à cette équipe de braqueurs qui multiplie les attaques de banques en périphérie de la capitale. L’enquête progresse même désormais assez vite et le commissaire Tourre, patron du SRPJ de Versailles, a aussitôt établi un lien entre cette petite bande et le tireur du Dixie. Il faut dire que Michel Grangier n’est guère plus prudent que Mesrine. Comme dit Ardouin dans son langage fleuri, il a eu la faiblesse de laisser sa compagne Cathy « aux asperges »… et bien sûr, le monde de la prostitution, grande source d’information où se croisent bavards de l’oreiller et indics, intéresse au plus haut point la brigade des Mœurs. « Cherchez la femme », disent les policiers quand ils enquêtent sur un truand, et de fait ils semblent bien avoir “filoché” Cathy, qui de surcroît persiste alors à consommer du shit. Sans compter que Joyce elle-même a désormais pour eux un visage, puisque les autorités québécoises ont fait suivre en France les photographies saisies outre-Atlantique dans la planque de Jean-Paul Mercier et de Suzie. 

Et puis, peut-on se demander, Mesrine aujourd’hui à Paris, comme hier au Canada, ne dérange-t-il pas quelque peu les affaires du milieu ? Pire – même si Ardouin n’en dit rien –, après les complications de « l’affaire Manu B. », n’a-t-il pas commis une grossière erreur en s’en prenant cette fois-ci très directement aux intérêts du milieu, à savoir ces cercles de jeux fort disputés par la pègre car source de revenus et moyen discret de blanchir l’argent des trafics et de la prostitution ? Deux semaines plus tôt, les 18 et 20 février, le trio Mesrine-Ardouin-Grangier aurait en effet braqué deux importants cercles de jeux, l’Opéra Club et le Multicolore : deux fleurons d’un univers hier déjà très disputé par deux figures du grand banditisme, Baptiste Andréani et Marcel Francisci, et sur lequel Gilbert Zemmour lui-même portait désormais les yeux de Chimène… Bref, ce milieu centrifuge, cette manière d’assiette au beurre à laquelle il est difficile de rester accroché en pleine sécurité, n’a-t-il pas à nouveau poussé Mesrine vers la sortie ?

Extrait du livre de Jean-Marc Simon, "Mesrine les sept cercles de la mort", publié chez Mareuil éditions

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