Comment Cécile Duflot a accordé les pleins pouvoirs aux syndics de copropriété (et pourquoi c’est grave)<!-- --> | Atlantico.fr
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Cécile Duflot, ministre du Logement.
Cécile Duflot, ministre du Logement.
©Reuters

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Alors que les associations de copropriété pensaient avoir été écoutées par la ministre du Logement dans son projet de loi pour l'accès au logement et l'urbanisme rénové (ALUR), elle semble avoir reculé la semaine dernière au profit des syndics.

Pierre Olivier

Pierre Olivier

Pierre Olivier est Directeur Général de Copro+, société de conseils et d’assistance pour améliorer la gestion de la copropriété.

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Atlantico : Cécile Duflot souhaite insérer des amendements dans son projet de loi ALUR (accès au logement et l’urbanisme rénové) accordant aux chambres professionnelles de syndics la création d’un Ordre contrôlé par les professionnels, qui y seront alors majoritaires. Comment expliquer une telle concession ? Et quelles peuvent être les conséquences d'une telle législation ?

Pierre Olivier : Les concessions de Cécile Duflot s'expliquent naturellement par le poids du lobby des professionnels sur les parlementaires et le gouvernement. Depuis 2009 nous avons tenté, sans succès, d'alerter des parlementaires de tous bords sur les dérives de ce métier qui exerce sans mettre en place des formes de contrôle.

Les conséquences de cette loi sont que les copropriétés sont condamnées à se dégrader. Il faut regarder le rapport Braye pour en trouver la cause : il n'y a pas de transparence des comptes, il n'y a pas de comptes bancaires séparés, on ne gère pas encore correctement les copropriétés… Les travaux, avec ce type de loi qui privilégie l'intérêt individuel sur l'intérêt collectif, ne se votent pas, les copropriétés se dégradent, les bon payeurs s'en vont. Il reste ensuite des copropriétés dans lesquelles la personne publique doit intervenir pour venir faire des OPAH (opérations programmée de l'amélioration de l'habitat, ndlr) ou des plans de sauvegarde.

Les copropriétés dépendent du ministère de la justice parce que c'est dudomaine dudroit individuel. En s'occupant de gérer le droit individuel, on va au détriment de ce que les copropriétaires ont besoin. Quand une copropriété voit le jour, pendant vingt ans, les copropriétaires qui sont en place vivent dedans en ne faisant que consommer, que répartir les dépenses courantes, mais ne prévoient pas les besoins d'entretien. Après ils s'en vont. Si cette situation n'est pas vraie pour les zones tendues comme Paris, elle est encore pire pour les zones qui ne sont pas tendues, en particulier toutes les périphéries de villes. Ces zones sont programmées pour se dégrader. Ça va être encore pire pour les copropriétés qui ont été préparées dans le cadre des lois de défiscalisation : les propriétaires louent pendant un certain temps à des locataires qui se fichent de l'entretien, et, au bout d'un certain temps, quand ils ont récupéré leur investissement initial, cherchent également à brader. Il n'y aura pas d'entretien et ainsi de suite. C'est  de la dégradation programmée qui est liée au système de la loi.

Les associations de copropriétaire avaient obtenu la création des commissions régionales disciplinaires. Cela représentait, pour eux, " le seul dispositif efficace pour réguler et contrôler les professionnels de l’immobilier, dont les syndics". Ces derniers étant en défaveur de ces commissions régionales de contrôles et de discipline, Cécile Duflot souhaite les supprimer. Que va apporter leur suppression à l'égard des syndics ? Des associations de copropriété ? Cette suppression est-elle justifiée ?

Les conséquences de l'ensemble des dispositions "négociées" par les chambres professionnelles de syndic sont le maintien de la forme de tutelle des syndics sur leurs administrés, les syndicats de copropriétaires. La profession n'a pas démontré sa capacité à faire évoluer son modèle de gestion de manière ouverte et transparente. On peut douter que la mise en place d'un Ordre, dans un espace hermétique, sans agitateur externe, atteigne cet objectif. Le report de la création de commissions régionales de discipline prolonge les difficultés des copropriétaires pour signaler les abus. Pour nous, c'était une mesure phare de la moralisation de la profession et une première étape vers la création de "Centre de gestion agréé (CGA)" pour le contrôle de la vraisemblance des comptes à l'instar des AGA (association de gestion agréée, ndlr) et CGA mis en place pour les professions libérales et TPE.

Cette suppression s'inscrit dans le souhait de maintenir la tutelle précitée. Les copropriétaires devront encore passer par le tribunal de grande instance pour dénoncer les abus ce qui décourage la majorité des acteurs (cout, complexité, délais, ...). Cette suppression n'est donc absolument pas justifiée. C'est bien la mainmise des lobbys des associations de professionnels qui demandaient cette suppression. On est dans un méli-mélo impossible. Il était donc important qu'il puisse y avoir des chambres régionales dans lesquelles les copropriétés puissent, sans avoir tout cet attirail juridique, la capacité à interpeller un conseiller externe. La suppression est tout à fait dommageable.

Cécile Duflot – qui avait promis la suppression de la dérogation au compte séparé depuis 2012 c’est-à-dire l'obligation pour les syndics d'ouvrir un compte bancaire séparé pour chaque copropriété dont ils ont la charge – compte rétablir la mesure pour les copropriétés de moins de 15 lots principaux. Or, selon une étude de l’ANIL (Agence Nationale pour l’Information sur le Logement), il s'agit de près de 70 % des copropriétés. Quel sera l'impact de ce retour de la dérogation ? Quid des 30 % restants ?

Le maintien de la dérogation sur le compte bancaire séparé est un autre volet de la tutelle. Pour un fournisseur ou artisan, le syndic se substitue ainsi à la copropriété pour devenir le client. A défaut de compte séparé les contrôles de la gestion ne peuvent être que partiels. Les arguments des syndics pour ce maintien ne sont pas justifiés. La mise en place d'une e-gestion avec des opérations par mouvements électroniques (comme les administrations) apporterait au contraire une simplification de la gestion actuelle. Le carnet de chèques doit être progressivement banni des opérations.

Plus grave le compte séparé est le meilleur vecteur du recouvrement des impayés et le premier signal d'alerte de la dégradation de la situation financière de l'ensemble. En "couvrant" ces premières difficultés les syndics précipitent le déclin des ensembles dont ils sont censés organisés la conservation. Ainsi, l'absence de comptes bancaires séparés pour les petites copropriétés amène à rester sur le carcan du syndic et ne pas savoir quand est-ce qu'une copropriété va tomber dans la difficulté. Alors qu'en cas de comptes bancaires séparés, s'il n'y a pas de moyens pour payer la facture de gaz ou d'électricité, on peut directement se retourner et trouver une solution.

Pour les 30 % restants, il est tout à faire probable que les mêmes lobbys cherchent à retarder et à modifier la loi pour pouvoir continuer à trouver des moyens de dérogation.

En conclusion, le compte bancaire séparé est indispensable, quelle que soit la taille de la copropriété : c'est le premier moyen d'autonomie des copropriétés

Quels sont les autres points sur lesquels Cécile Duflot a "reculé" au bénéfice des syndics de copropriété ? Qu'en pensent les associations de copropriétés ?

Copro+ a bien lu le communiqué de l'ARC mais a agit par rapport au ministère du logement qui a publié un document intitulé "Transition énergétique des copropriétés : mythe, réalité et perspectives" pour "aider" Cécile Duflot, responsable de ce ministère, à tenir la barre vis-à-vis des pressions

En tant que société privée – et non associations de coprorpriétés –  nous continuons à penser que le recours à des professionnels est l'approche naturelle pour la gestion des copropriétés, surtout dans la perspective des travaux de rénovation. Les abus ne sont pas le fait de la majorité des syndics professionnels et certains sont ouverts aux partenariats externes. Toutefois en multipliant les actions corporatistes, sans mise en place d'un modèle économique cohérent, les chambres professionnelles risquent de pousser les syndicats de copropriétaires, dont le niveau culturel évolue favorablement, vers les structures alternatives de syndics bénévoles ou coopératifs qui affranchissent de certains effets pervers (comme la garantie financière dans le cadre de travaux) mais présentent néanmoins d'autres formes de risques pour les syndicats de copropriétaires.

Propos recueillis par Marianne Murat

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