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Chômage : les chiffres et les arguments pour comprendre si ça va un peu mieux, franchement mieux ou si la France demeure dans la contre-performance
©Pixabay

Emploi

Le taux de chômage s'élève aujourd'hui à 8,4% de la population active contre 8,9% au premier trimestre 2018.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Gilbert  Cette

Gilbert Cette

Gilbert Cette est professeur d’économie à NEOMA Business School, co-auteur notamment avec Jacques Barthélémy de Travail et changement technologique - De la civilisation de l’usine à celle du numérique (Editions Odile Jacob, 2021). Son dernier livre s'intitule Travailleur (mais) pauvre (Ed. DeBoeck, à paraître en février 2024).

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L'INSEE a fait paraître hier les chiffres du chômage du  premier trimestre 2019. Le taux de chômage s'élève à 8,4% de la population active, contre 8,9% au premier trimestre 2018. Cette baisse du chômage peut-elle être imputée aux mesures du gouvernement ou est-elle simplement conjoncturelle ?

Gilbert Cette : Cette baisse de chômage contient évidemment un effet spontané de la conjoncture. La croissance reste plus rapide que son rythme potentiel, ce qui contribue à la baisse du taux de chômage. Mais il y a aussi l'effet partiel des mesures qui ont été prises et en particulier des réformes sur le marché du travail qui ont été engagées au tout début du quinquennat. On peut s'en féliciter car dans une période où la croissance ralentit, où les prévisions faites par l'OCDE ou le FMI sont revues à la baisse, l'impact positif des mesures économiques adoptées au début du quinquennat apporte un coup de pouce plus que bienvenu.

Gilles Saint-Paul : Il est trop tôt pour le savoir. Il est exact que les entreprises ont bien accueilli la réforme du marché du travail mise en place par Emmanuel Macron au lendemain de son élection, en dépit de sa portée limitée. Cela a contribué à créer un climat de confiance et dans une certaine mesure à relancer l’emploi. Mais c’était avant la crise des gilets jaunes et les concessions qui ont été faites, qui seront certainement coûteuses sur le plan de la fiscalité et de la crédibilité du gouvernement. L’effet des mesures passe en grande partie par l’idée que se font les entreprises du « régime » de la politique économique au cours des années qui viennent. Si la réforme du marché du travail a paru mettre en place un « régime » perçu comme favorable pour les entreprises, cela risque de n’être plus le cas depuis la crise des gilets jaunes.
Les facteurs conjoncturels ne sont pas non plus à négliger. La BCE maintient ses taux à un niveau très bas et l’euro se déprécie constamment par rapport au dollar depuis février 2018, ayant perdu 10% de sa valeur, ce qui renforce la compétitivité de nos entreprises.

Philippe Crevel : Petit à petit, la France se rapproche de la situation qui prévalait pour le marché du travail avant la crise de 2008/2009 mais l’écart avec l’Allemagne (3,2 %) reste conséquent. La France se situe, par ailleurs, un point au-dessus de la moyenne de la zone euro.

Selon les chiffres publiés par l’Institut de la statistique, le taux de chômage a diminué de 0,1 point au premier trimestre pour atteindre à 8,7 % de la population active en France entière (hors Mayotte). Pour la seule France métropolitaine, le taux est de 8,4 %, en diminution également de 0,1 point ce qui représente 2,4 millions de chômeurs. Sur un an, la baisse atteint 0,5 point pour l’ensemble de la France correspondant à son plus bas niveau depuis 2009.

Cette réduction du chômage est la conséquence du maintien d’un volant de création d’emplois (173 700 sur un an). La croissance même si elle s’est ralentie permet de générer un surcroît d’emplois. 

Cette baisse est également liée à des facteurs démographiques. Ce sont les générations 1952-1957 du baby-boom qui liquident leurs droits à pension. Elles sont plus larges que les précédentes.  Cette amplification des départs devrait se poursuivre jusqu’en 2030. 

Cette diminution de 0,5 pts est assez faible comparée à l'évolution dans beaucoup d'autres pays européens, et notre taux de chômage reste plus élevé qu'en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, ou encore en Belgique. A-t-on atteint un niveau de chômage structurel ? Quelles sont les principales raisons qui expliqueraient que ce taux structurel serait plus élevé qu'ailleurs en Europe ?

Gilbert Cette : Nous restons un pays à chômage massif alors que le reste du monde développé est le plus souvent au plein-emploi. Cela signifie que l'effort doit être maintenu, voire amplifié pour quitter cette situation. Nous avons connu un taux de chômage situé à 10,2% maintenant nous sommes à 8,4%, c'est un gain énorme mais qui doit être poursuivi. Il ne faut pas oublier que parmi les 36 pays de l'OCDE, il n'y en a que 4 ou 5 qui ont un taux de chômage harmonisé supérieur à la France. La grande majorité des autres pays ne pâtissent pas des mêmes handicaps que la France, d'où la pertinence d'engager des réformes structurelles. De nombreux autres pays ont plus de flexibilité et moins de régulation bridant l'activité économique.

Gilles Saint-Paul : Le taux de chômage au sens du BIT n’est jamais tombé au-dessous de 7 % depuis des décennies et on peut donc penser que le taux de chômage structurel en France se situe entre 7,5 et 9,5 %. Il est donc peu probable que la situation s’améliore encore beaucoup, et je serai très surpris qu’il tombe à des niveaux comparables au Royaume-Uni ou en Allemagne. Le marché du travail d’outre-manche est bien plus flexible qu’en France, quels que soient les indicateurs retenus. Quant à l’Allemagne, ses réformes ont été plus ambitieuses qu’en France et depuis l’ère Schroeder elles ont eu tout le temps de déployer leurs effets. De plus, les relations entre employeurs et syndicats y sont bien plus coopératives qu’en France. C’est pourquoi le taux de chômage d’équilibre allemand est nettement plus faible qu’en France.

Philippe Crevel :  Le taux de chômage structurel pourrait se situer, selon les experts entre 7,5 et 8,2 % de la population active. Ce chômage incompressible serait la résultante d’une difficulté pour une partie de la population de se réinsérer dans la vie professionnelle en raison des exigences de productivité qu’impose un coût du travail élevé. L’écart entre les revenus professionnels et les minimas sociaux sont faibles d’autant plus que ces derniers permettent d’accéder à un certain nombre de services gratuitement (accès aux activités culturelles et sportives, aux transports gratuitement ou à tarif réduit, accès à certains services municipaux, etc.). La France se démarque de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche, du Royaume-Uni qui sont en situation de plein emploi. La France cumule plusieurs handicaps, coûts élevé du travail, rigidité du marché du travail, exonérations de charges sociales centrées sur les bas salaires qui ne favorisent pas la montée en compétences et en revenus, positionnement de l’outil de production sur les gammes moyennes en concurrence directe avec les pays émergents. 

Pour deux catégories d'âge, le taux de chômage est en augmentation : les moins de 25 ans (en particulier pour les jeunes hommes), et les plus de 50 ans. Quelle explication économique peut-on donner à ces deux phénomènes ?

Gilbert Cette : Du côté des seniors il y a sur les dernières années un effet d'augmentation des taux d’activité qui n'est pas spécifique à la France. Il y a eu des créations d'emploi pour les seniors sur les 10 dernières années mais il y a eu un appel à rester sur le marché du travail, lui aussi très fort. Concernant les jeunes, il y a un appel à joindre le marché du travail expliquant en partie ce problème. Mais il y a également d'autres difficultés. Notre système de formation n'est pas aussi performant qu'il le faudrait, trop de jeunes sortent sans diplômes du système scolaire. Des deux côtés, le problème est différent. Chez les seniors il y a sans doute sur les dernières années un effet de la réforme des retraites, celui de l'augmentation de l'activité des seniors. Chez les jeunes, c’est un vrai problème de formation initiale. Il faut donc se féliciter de cette baisse du taux de chômage moyen mais poursuivre les réformes de manière continue pour éviter que la France ne demeure pas éternellement parmi les quelques pays en situation de chômage massif. 

Gilles Saint-Paul : Le taux de chômage des 15-24 ans baisse régulièrement depuis 2016, et leur taux d’emploi augmente. Il est donc difficile d’interpréter la hausse récente, elle pourrait n’être qu’un accident. La catégorie 15-24 ans comprend surtout des travailleurs peu diplômés, les autres poursuivant en effet leurs études. La hausse du taux de chômage des hommes, relativement peu qualifiés, donc, dans cette catégorie pourrait peut-être s’expliquer par l’impact de la robotisation et de l’automation. Mais comme ce sursaut s’inscrit dans une tendance décroissante, il serait téméraire de le conclure.

Philippe Crevel : Sur un an, le taux de chômage des jeunes (de 15 à 24 ans) se replie pour l’ensemble de la France de 21,5 à 20 % (en France métropolitaine de 20,9 à 19,2 %). Il est également en net recul pour les actifs âgés de 15 à 49 ans (-0,7 point en France métropolitaine comme pour l’ensemble de la France). Pour le seul premier trimestre 2019, une augmentation du chômage des jeunes est enregistrée. Il est, en effet, passé de 18,8 à 19,2 %. 

Si le chômage des jeunes diminue sur un an, cela est imputable aux jeunes femmes. En effet, en un an, leur taux de chômage est passé de 21,3 à 17,4 % quand celui des jeunes garçons a augmenté de 20,5 à 20,8 %. Les jeunes hommes éprouvent de plus en plus de difficulté à s’insérer dans la vie professionnelle. Ils sont plus nombreux que les jeunes femmes à avoir rencontré des problèmes scolaires. Le niveau de compétences des hommes les jeunes générations est plus faible que celui des femmes.  Le chômage des seniors de 50 ans ou plus est encore orienté à la hausse (+0,2 point pour l’ensemble de la France et la France métropolitaine à respectivement 6,4 et 6,6 % au premier trimestre 2019). Le chômage des seniors a progressé à partir de 2010 en lien avec la crise mais aussi avec le report de l’âge de la retraite de 60 à 62 ans. La suppression des dispositifs de préretraite contribue également à rendre visible ce qui était auparavant masqué dans les statistiques. Par ailleurs, même si cela n’est pas la règle, de manière plus ou moins consensuelle, des mises au chômage sont organisées avant la liquidation des droits à la retraite. 

Les chômeurs de plus de 50 ans rencontrent des difficultés importantes pour retrouver leur emploi. De ce fait, ils sont surreprésentés parmi les demandeurs d’emploi de longue durée. La question de la mise en place de dispositifs de formation adaptés aux plus de 50 ans se pose de plus en plus au regard de la nécessité annoncée par les pouvoirs publics d’allonger la durée des carrières professionnelles.

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