Charles Prats : « Certains confondent séparation des pouvoirs et guerre des pouvoirs »<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Justice
Le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, a été relaxé par la Cour de justice de la République.
Le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, a été relaxé par la Cour de justice de la République.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Justice

L'ancien magistrat de la délégation nationale à la lutte contre les fraudes fiscales et sociales au ministère des Finances, Charles Prats, décrypte la politisation de la justice et le rôle des magistrats suite à la décision de la CJR concernant Eric Dupond-Moretti.

Charles Prats

Charles Prats est Secrétaire national UDI à la lutte contre la fraude sociale et fiscale ; magistrat en disponibilité et directeur général du groupe RESOCOM - Lutte contre la fraude documentaire.

Voir la bio »

Atlantico : Derrière le procès d'Eric Dupond-Moretti, c'est un autre conflit qui se jouait. Revient-il aux magistrats de choisir leur ministre de la Justice ou de faire passer l'envie à un gouvernement de nommer un avocat comme garde des sceaux ?

Charles Prats : Ce procès était d’abord celui d’un homme à qui il était reproché des infractions pénales. Et objectivement tous les spécialistes des infractions économiques et financières étaient très dubitatifs sur le délit reproché en l’espèce à Eric Dupond-Moretti. La relaxe est tout sauf une surprise. Si d’aventure l’objectif de certains était de « se payer » le garde des sceaux, il y avait bien d’autres dossiers à explorer et connus. Cette histoire laisse une impression théâtrale qui se conclut sur une image dégradée de l’institution judiciaire qui se voit aujourd’hui reprocher à la fois un acharnement contre un homme politique et un laxisme supposé vis-à-vis du même. C’est perdant-perdant…

Ce n’est évidemment pas aux magistrats de choisir le ministre de la Justice ni d’empêcher qu’un avocat occupe cette fonction. Mais il reste incontestable qu’Eric Dupond-Moretti à la Chancellerie, c’est une erreur de casting politique initiale : la séparation des pouvoirs, ce n’est pas la guerre des pouvoirs. Et ce climat dommageable perdurera jusqu’à la fin du quinquennat, j’en prends le pari.

Dans de nombreuses affaires, les peines prononcées sont parfois incompréhensibles. L'exemple à Nantes au printemps dernier où un jeune a été condamné à 35h de travaux d'intérêt général pour avoir refusé un contrôle et avoir trainé sur le bitume un policier alors qu'il circulait à bord d'une voiture volée. Pourquoi les juges sont aussi éloignés de ce qu'attendent les Français ?

Il faut se méfier des compte-rendus de presse des affaires pénales. Ils ne reflètent jamais fidèlement l’ensemble d’un dossier avec toutes ses subtilités procédurales et de fond.

Mais il est exact que parfois des décisions pénales peuvent sembler incompréhensibles pour le peuple français au nom de qui elles sont pourtant rendues.

Cela pose une question centrale : comment redonner de la légitimité aux magistrats ? Nous allons y revenir.

Quelle est la place des juges dans la démocratie ?

Fondamentale. Sans justice, pas de société équilibrée. Sans juges indépendants, « point de Constitution », revenons aux fondamentaux, à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

Moins de la moitié des Français font confiance à la justice française? Comment expliquer ce désamour?

Dans un procès, il y a un gagnant et un perdant, et souvent deux perdants car il est rare que le justiciable ait gain de cause sur l’ensemble de ses prétentions. Par construction, la justice crée des mécontents. Il n’est donc pas surprenant que les sondages soient en berne. Ils le seront toujours. Je n’ai jamais vu de sondage disant que 80 % des Français étaient contents de la justice. Et je n’en verrai jamais…

Cela n’empêche pas que l’institution judiciaire reste sinistrée, avec un manque de moyens assez criant notamment en terme pénitentiaires et marquée par une organisation trop complexe pour être facilement lisible pour le public.

La justice est-elle laxiste ou certains magistrats sont trop politisés et mélangent tout? Est-ce un pouvoir irresponsable que personne ne contrôle?

Il faut appeler un chat, un chat. La politisation de la justice, c’est le syndicat de la magistrature, organisation de gauche extrême assumée qui bénéficie d’un laisser-faire hallucinant. Songez que concernant la tristement célèbre affaire du « mur des cons » où ce syndicat insultait des victimes de crimes, aucune suite disciplinaire n’a été donnée, la présidente du syndicat ayant même bénéficié de la part du conseil supérieur de la magistrature d’une demande de promotion ! En revanche si vous êtes un magistrat dirigeant d’un syndicat marqué à droite et que vous dites qu’il faut stopper policièrement et judiciairement les black blocks, là vous êtes sanctionné par le même conseil. Les bornes gauche et droite de l’expression publique des magistrats ont donc été fixées…

Les Français ne sont pas dupes et cela participe grandement de la défiance qu’ils expriment vis-à-vis de la justice.

Se pose immanquablement une autre question : comment donner de la légitimité politique et démocratique au Conseil supérieur de la magistrature pour qu’il reflète la diversité des Français ?

Faut-il changer notre système judiciaire? Vers quelle forme le faire évoluer pour qu'elles répondent aux attentes des français? (l'exemple américain où un procureur général est élu) Comment redresser la barre? 

Il faut rénover du sol au plafond. D’abord unifier les ordres juridictionnels pour simplifier et rendre la justice plus lisible : suppression du rôle contentieux du Conseil d’Etat, absorption des tribunaux administratifs par les tribunaux judiciaires.

Ensuite donner de la légitimité démocratique au Conseil supérieur de la magistrature qui est l’organe qui nomme les juges et gère leur carrière. Ce serait assez simple : faire élire ses membres, y compris les membres magistrats, par le collège des grands électeurs par exemple, ceux qui votent aux sénatoriales tous les six ans. Nous aurions alors un CSM légitime politiquement et donc des nominations de magistrats plus en phase avec les Français et surtout plus légitimes démocratiquement.

Enfin on peut tout à fait coupler cela avec l’élection au suffrage universel direct des procureurs généraux de cour d’appel ou même d’un procureur général de la Nation. Sans aller aux Etats-Unis, l’élection des procureurs, cela fonctionne très bien en Suisse. Et la Confédération Helvétique ne me semble pas être une dictature ou un pays déraisonnable…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !