Chaos au Stade de France : la France ou la République de l’irresponsabilité en bande organisée<!-- --> | Atlantico.fr
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La culture de l’irresponsabilité voire de l'impunité, en politique et dans les administrations, a contribué aux incidents au Stade de France en marge de la finale de la Ligue des champions.
La culture de l’irresponsabilité voire de l'impunité, en politique et dans les administrations, a contribué aux incidents au Stade de France en marge de la finale de la Ligue des champions.
©THOMAS COEX / AFP

Responsabilité des autorités

Après les incidents survenus au Stade de France lors de la finale de la Ligue des champions, Gérald Darmanin a pointé la responsabilité d’une « fraude massive ». Dans quelle mesure le ministre de l’Intérieur sous-estime-t-il trop la responsabilité de l’Etat et de son dispositif de maintien de l’ordre ?

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Driss Aït Youssef

Driss Aït Youssef

Driss Aït Youssef est Docteur en droit. Président de l’Institut Léonard de Vinci. Chargé en 2009 par le Ministère de l’Intérieur de mener un groupe de travail chargé de diagnostiquer les problématiques dans les rapports entre la police et la population.

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Atlantico : Lors d’une conférence de presse dédiée aux événements survenus au Stade de France lors de la finale de la Ligue des champions, Gérald Darmanin a pointé la responsabilité d’une « fraude massive ». S’il a exprimé ses regrets pour les spectateurs ayant reçu des gaz lacrymogènes, il a en revanche estimé que « sans les décisions prises par la police et le préfet, il y aurait eu des morts ». Dans quelle mesure Gérald Darmanin sous-estime-t-il trop la responsabilité de l’Etat et de son dispositif de maintien de l’ordre ? Quelle part de faute leur incombe ?

Arnaud Lachaize : La responsabilité des organisateurs c’est-à-dire l’UEFA est engagée quand des événements graves se déroulent à l’intérieur de l’enceinte sportive, par exemple en cas de bagarre entre des supporteurs ou d’invasion de la pelouse ou encore de projectiles. En revanche, juridiquement, sur un événement de cette ampleur, nationale et internationale, qui dépasse le cadre de la mairie de Saint Denis, l’Etat est entièrement responsable de l’ordre public à l’extérieur de l’enceinte du stade. Peu importe, sur le plan du droit, que les violences émanent de hooligans britanniques ou de casseurs des cités sensibles.  Il incombe à la police d’Etat, donc au préfet de police responsable sur la petite couronne, d’assurer l’ordre public. La responsabilité du préfet de police et celle de son autorité de tutelle, le ministre de l’Intérieur, est donc de toute évidence engagée pour les violences et le chaos qui se sont déroulés en dehors de l’enceinte du stade de France. L’argument selon lequel, sans l’action de la police, des morts seraient à déplorer est fallacieux. Après un tel échec de la mission de maintien de l’ordre, on peut toujours prétendre que les choses auraient pu être pires. Trop facile : ce genre de dérobade revient à justifier n’importe quelle défaillance de l’autorité de l’Etat. 

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Driss AÏt Youssef : Pour établir des responsabilités, il faut comprendre ce qui s’est précisément passé et ce qui a conduit les forces de l’ordre à agir, ainsi. D’ailleurs, cet évènement devait initialement se tenir à Saint-Pétersbourg. L’invasion russe en Ukraine fin février 2022 a conduit l’UEFA à localiser cette finale dans un autre pays…la France. Notre pays hôte ne disposait que de trois mois pour organiser cette manifestation sportive à dimension internationale. C’est peu, très peu…trop peu pour accueillir dans de bonnes compétitions d’autant plus qu’il s’agit de la première grande finale sans restriction sanitaire. En effet, l’année dernière, la finale a eu lieu à Porto en présence de 12 000 spectateurs dans un stade capable d’en recevoir 50 000. 

Ensuite, la communication entre les autorités, les clubs et associations de supporters n’a pas correctement fonctionné de telle sorte que les flux de supporteurs n’ont pas été maîtrisés. Ils ont même été désorientés par des annonces erronées.  

Aussi, les supporteurs arrivés aux abords du stade de France ont formé un point de fixation très dangereux pour les amoureux du ballon contraignant ainsi la préfecture de police à lever ce barrage filtrant pourtant essentiel à la régulation des flux. Cette initiative si elle était indispensable va générer des attroupements aux abords du stade.   

En effet, cette situation sera particulièrement difficile à maîtriser avec des individus qui soit commettaient des exactions ou tentaient par tous les moyens de pénétrer dans l’enceinte sportive en escaladant les grilles. Cette soustraction aux contrôles de sécurité créée une situation extrêmement dangereuse lorsqu’on sait que le 13 novembre 2015, des terroristes ont tenté de pénétrer dans le stade afin d’activer leur ceinture d’explosifs. 

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La seule réaction possible était d’éloigner toutes les personnes autour ce qui a provoqué bousculade et violences. 

Par conséquent, il ne s’agit pas a priori d’un problème de maintien de l’ordre mais davantage d’un problème de communication et d’organisation qui devait être pris en charge par l’ensemble des parties prenantes en particulier, la puissance publique.

Ces problèmes de maintien de l’ordre observés ce week-end sont-ils symptomatiques d’une tendance plus large de difficultés à la gestion des foules et des fauteurs de troubles ?

Arnaud Lachaize : Ces événements ne sont pas exceptionnels. S’ils ont pris une telle ampleur, c’est en raison du caractère emblématique de la finale de la ligue des champions et sa médiatisation planétaire. Les violences urbaines, les émeutes, agressions envers les policiers et pillages sont devenues banalisées, sinon routinières en France. D’un point de vue technique, à travers les préfets et les forces de l’ordre, l’Etat sait parfaitement organiser de grands événements. La difficulté est ailleurs : le même Etat a toutes les peines à faire face au chaos urbain des cités sensibles. C’est une question qui dépasse la stricte compétence policière. Elle renvoie aux difficultés de l’intégration des populations issues de l’immigration déstabilisées, de génération en génération, par le chômage et l’échec scolaire. Le football est le lieu de toutes les frustrations. Il donne en exemple aux jeunes des cités quelques cas individuels de réussite par le sport qui amassent gloire et de gigantesques fortunes, souvent issues des mêmes cités. Ce spectacle nourrit le mal-être de l’immense majorité qui bien évidemment n’a aucune chance d’accéder à ce statut de star millionnaire du ballon rond. Il n’est pas étonnant que la violence de frustration s’exprime à l’occasion d’une telle compétition de dimension planétaire. Face aux phénomènes de ce genre, l’Etat est à la fois démuni et désemparé. 

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Driss Aït Youssef : La difficulté est de conjuguer un dispositif de maintien de l’ordre et de lutte contre les violences urbaines. Au commencement, il s’agissait simplement de mobiliser des effectifs pour communiquer avec les supporteurs. Ensuite, les forces de l’ordre ont fait usage de lacrymogène pour repousser les individus qui tentaient de s’introduire dans l’enceinte sportive. La difficulté pour les policiers et les gendarmes est de gérer dans un même espace et en même temps différents publics… ceux qui viennent assister paisiblement à une manifestation sportive et ceux qui viennent commettre des exactions.  

A quel point y-a-t-il, en France, une culture de l’irresponsabilité voire de l'impunité, en politique et dans les administrations, qui mène à des résultats de cet ordre sur le sujet de la sécurité comme sur d’autres ?

Arnaud Lachaize : La culture de l’irresponsabilité est en effet devenue une caractéristique essentielle du fonctionnement de l’Etat, et plus généralement de la société française. La notion même de responsabilité est largement incomprise. On s’est beaucoup moqué de la formule « responsable mais pas coupable » à propos du sang contaminé dans les années 1990. Mais au moins, Mme Georgina Dufoix assumait sa responsabilité. On peut être responsable sans forcément se sentir fautif quand les choses tournent mal alors qu’on a le sentiment d’avoir accompli son devoir. Cela n’enlève rien à la responsabilité qui suppose une obligation de résultat, pas seulement de moyen. Les citoyens ont pu constater en maintes occasions à quel point le principe de responsabilité était bafoué. Le rôle essentiel de l’Etat est d’assurer la sécurité des personnes. Or, jamais la chaîne des responsabilités n’a été clairement établie et suivie de sanctions à la hauteur de ces drames à la suite des attentats terroristes en particulier les massacres du Bataclan ou de Nice. De même, le traitement politique de la crise sanitaire, par exemple, s’est traduit par un incroyable fiasco des « masques ». A plusieurs reprises, le ministre de la Santé a affirmé qu’ils ne servaient à rien (pour masquer l’absence de stocks stratégiques) avant que l’Etat ne rende obligatoire le port du masque en toute circonstance. Le même ministre de la Santé n’a pourtant jamais été sanctionné pour toutes ces contradictions et leurs conséquences probables. 

Driss Aït Youssef : Disons que le risque zéro n’existe pas. En revanche, le degré relativement faible de préparation laisse à penser que les responsabilités ne sont pas nécessairement là où l’on voudrait qu’elles soient. En effet, les forces de l’ordre ne sont pas à l’origine du mauvais fléchage des supporters, de la vente de faux billets et de la convocation de bandes de délinquants. Les comportements quelquefois inacceptables et isolés des forces de l’ordre ne doivent pas faire oublier que sans eux, la finale n’aurait jamais eu lieu.

Quelles sont les racines profondes de ce phénomène ? Pourquoi personne ne s’en saisit-il ?

Arnaud Lachaize : L’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. » Ce principe est de fait privé de substance aujourd’hui. Face à la société, les dirigeants nationaux, politiques comme administratifs, bénéficient d’une sorte d’impunité et inamovibilité se protégeant les uns les autres dans le plus parfait mépris de la colère des citoyens. Sous les IIIe et la IVe République, les gouvernements ou les ministres individuellement démissionnaient pour le moindre échec ou la moindre faute commise à la suite d’un vote de défiance du parlement. Cela se traduisit par une instabilité chronique, du moins en certaines périodes. Aujourd’hui, le régime de la Ve République tel qu’il est pratiqué a abouti à l’excès inverse : le parlement est asservi, bâillonné et l’exécutif en roue libre. Le paroxysme de l’irresponsabilité tient au système présidentiel : le principal (ou unique) détenteur du pouvoir est par définition irresponsable : rien ne peut l’atteindre quels que soient ses paroles ou ses actes. A travers les phénomènes de copinage, cette irresponsabilité capillarise à tous les niveaux du pouvoir ou de l’administration. De temps en temps, un « lampiste » paye pour d’autres, mais ce n’est que l’arbre qui cache la forêt : le clan se protège. La crise de la responsabilité en France est intrinsèquement liée à celle de la démocratie.

Driss Aït Youssef : Il y a une forme d’indulgence dans la mise en œuvre de la responsabilité de l’État surtout lorsque cela concerne les activités de « police ». La jurisprudence a longtemps exigé que seule la faute lourde pouvait engager la responsabilité de l’État notamment en matière de sécurité. En effet, l’État a une obligation de moyen mais jamais de résultat. 

Ce régime d’irresponsabilité même s’il a subi quelques tempéraments ces dernières années continue de constituer la règle. 

Enfin, souvent… trop souvent, nos concitoyens accusent nos forces de l’ordre d’être incompétents ou violents alors même qu’ils sont les derniers remparts, les vestiges mêmes d’une société agitée.  

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