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 Cette inquiétante confusion qui s’installe dans les déclarations de la BCE
©JOHN THYS / AFP

Insécurité économique

Luis de Guindos, le vice-président de la Banque centrale européenne, a alerté sur une potentielle augmentation des risques financiers provoquée par une politique de taux bas.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico.fr : Luis de Guindos, vice-président de la Banque centrale européenne, a alerté hier sur une augmentation des risques financiers provoquée par une politique de taux bas. Est-ce la signe d'un retournement à venir au sein de la BCE, d'un retour des faucons ? 

Mathieu Mucherie : Il y a une technique chez les managers de haut niveau, chez les banquiers centraux, les hommes politiques, etc. , qui consiste à faire quelque chose, mais, quand il y a des risques associés à des actions, à prendre un hedge, une protection, une assurance verbale. Dans le cas des banquiers centraux, on baisse les taux, mais verbalement, on se couvre en expliquant que cette baisse de taux peut amener des bulles et des risques d'instabilité financière. Les banquiers centraux sont ainsi assurés de pouvoir répondre à toutes les critiques... C'est ce qu'on appelle la tartuferie, l'hypocrise corporate ou central banking. C'est la définition d'une communication institutionnelle destinée aux crétinoïdes qui éventuellement seraient tentés de critiquer la banque centrale. C'est tout un art ! 

Voilà ce que cela dit : je suis banquier central, donc regardez mes taux d'intérêt. Mais en tant que banquier central, je suis aussi le régulateur macro-financier, et le superviseur des 128 grands établissements bancaires en zone euro : à ce titre, je ne peux pas laisser des bulles financières se développer, donc je dis que mes taux bas peuvent créer ce genre d'effets.

Ces gens-là s'expriment de cette façon depuis longtemps. Draghi, Trichet, De Guindos, tous ont publié des textes de ce genre. Le problème, c'est que cela a participé à démonter l'efficacité économique de la baisse des taux, parce que, bien entendu, si vous passez votre temps à dire qu'il faut prêter plus et qu'en même temps, il ne faut pas le faire (c'est le discours de Villeroy de Galhau par exemple), votre politique monétaire est beaucoup moins efficace. Mais le jour où cela pétera, en prenant cette assurance qui leur coûte un peu plus tous les mois, ils pourront mettre en avant qu'ils l'avaient bien dit.  

La communication schizophrénique a abouti à paralyser les acteurs, qui à chaque étape de la baisse des taux, ont été en retard sur cette baisse, parce qu'à chaque fois planait le doute sur une hausse des taux (qui n'est jamais arrivée). La moitié des maigres initiatives monétaires qu'on a eu depuis 2009 a été annihilée par cette espèce de discours lénifiant consistant à accorder une petite aumône de détente monétaire tout en alertant sur les bulles. C'est le discours du camp allemand, mais aussi des Français. 

Est-ce que ce type de discours existait avant 2008 ? Ou bien est-ce le résultat d'une frilosité quant à l'action monétaire, frilosité issue de la crise ?

Il y a un socle qui a toujours existé bien sûr. Mais ce qui s'est développé dans le central banking depuis 2008, c'est l'idée qu'on est à 50% en train de faire de la politique monétaire et à 50% en train de faire de la régulation bancaire ou de la supervision macro-prudentielle. A partir du moment où cette deuxième charge s'est développée, dans la mesure où le banquier central n'avait pas du tout envie de faire de quantitative easing ou de politique accommodante, le double discours est devenu de plus en plus courant. Tout le monde s'est rendu compte que cette stratégie, ce double discours orwellien, était une stratégie gagnante. Vous diminuez considérablement vos risques et vous passez même pour un sage en tenant ce type de discours : vous passez pour quelqu'un qui a beaucoup de recul sur la sphère financière. Cela n'arrête donc pas de progresser. 

L'élément marquant n'a pas été 2008, cela a été les conséquences de 2008 : à partir de 2013, la BCE fait une OPA sur la supervision bancaire. Et à partir de cette date-là, on entre dans une autre ère. C'est une galaxie beaucoup plus disculpatoire, avec des conflits d'intérêt à tous les étages entre la politique monétaire et la supervision bancaire. Les derniers mois sont très clairs à ce niveau-là. Cela fait des mois qu'on entend parler de bulles, de risques, mais pas de politique monétaire. Plus personne ne parle de la cible d'inflation, du fait d'éviter la japonisation grosso modo. C'est en fait le stade ultime de la japonisation, quand les décideurs sont attelés à autre chose. Tout cela vient donc du fait qu'on a mis dans la même main les taux d'intérêt, les taux de change, le devenir des banques, de la Deutschbank, etc. 

La BCE a fait une OPA institutionnelle et a acheté des compétences. C'est donc un système qu'on connait, le créditisme. C'est ce que Milton Friedman avait identifié comme l'un des trois grands risques associés à l'indépendance de la banque centrale. L'un des trois grands risques, c'est la collusion trop importante entre le banquier central et le banquier commercial. Il appelle cela le créditisme. Malheureusement, il n'a pas été entendu. Et on ose appeler cela du monétarisme... 

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