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Cette dénonciation frénétique de l’islamophobie qui masque si souvent un islamo-mépris qui s’ignore
©REMY GABALDA / AFP

islam

Libération a publié une tribune signée par un collectif d'élus et d'acteurs associatifs. Ils ont dénoncé l'islamophobie présente à gauche et appellent les "mouvements politiques qui se réclament des valeurs progressistes" à prendre position sur la question.

Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel).

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

 

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Nicolas Moreau

Nicolas Moreau

Diplômé d'école de commerce, Nicolas Moreau a exercé en tant qu'auditeur pendant une décennie, auprès de nombreux acteurs publics, associatifs et privés.

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Atlantico.fr : S’il existe parfois un racisme anti-musulman, dénoncer sans cesse ce fait en mettant en avant l’islamophobie, n'est-ce pas un moyen, quelque part, de servir les intérêts des islamistes et des combattants de l'islam politique ? Eux-mêmes n'utilisent-ils pas ces mêmes ressorts afin de masquer leur intention réelle, c'est-à-dire l'instauration d'un islam politique dans la République ? 

Nicolas Moreau : Utiliser le terme « islamophobie » dans votre question, c’est déjà perdre une bataille et concourir à instaurer un islam politique dans la République.

« Islamophobie » signifie étymologiquement « peur de l’islam ». Mais elle est définie par les islamistes ou leurs idiots utiles comme la haine des musulmans.

L’islam est une religion. C’est une idée, dont la moquerie ou la critique sont couverts par les principes constitutionnels de liberté d’expression, comme pour toutes les idées. Dans le cas contraire, l’interdiction légale de moquer ou critiquer l’islam serait assimilable à un délit de blasphème. Or celui-ci n’est pas réprimé en droit français. Avoir peur de l’islam, et donc être « islamophobe » au sens étymologique, est parfaitement légal en France. Et critiquer librement les idées est légal aussi, et sain pour la démocratie.

En revanche, dans la définition islamiste, l’islamophobie est définie comme une infraction commise à l’égard des individus croyants, directement, ou par l’intermédiaire d’une critique de l’islam qui serait vue comme une offense aux croyants. Or, si les atteintes aux croyances ne sont pas réprimées dans le droit français, les atteintes aux individus croyants le sont, essentiellement sur la base des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

La confusion entretenue par les islamistes entre les atteintes aux croyances (idées) et les atteintes aux croyants (individus) vise à exploiter des dispositions légales de répression des atteintes aux croyants pour réprimer des atteintes aux croyances (en l’occurrence l’islam).

Il pourrait ainsi se créer, dans le droit français, des mécanismes de répression du blasphème basés sur des outils de répression des atteintes aux croyants.

Ce terme volontairement flou est donc à proscrire. Ceux qui l’emploient dans la tribune postée dans Libération signent leur geste. Ils sont soit des islamistes, soit des idiots utiles de l’islamisme.

Il est parfaitement possible de dire que la haine anti musulmans en France est réelle, et qu’elle est un fléau, sans tomber directement dans un vieux piège islamiste. Sinon, effectivement, on sert leurs intérêts.

Guylain Chevrier : Cette polémique a éclaté lors des journées de l’Université d’été de la LFI, en août dernier. Henri Peña-Ruiz qui y était invité pour parler de la laïcité, a indiqué pour illustrer la liberté de consciencequ’il était tout à fait permis d’être « islamophobe » « cathéphobe » ou « athéphobe ». Façon d’affirmer qu’aucune religion, aucune pensée philosophique ou politique, n’était au-dessus de la critique. En France, le droit de blasphémer n’est pas puni alors que dans certains pays il peut valoir la peine de mort. Un militant assistant à la conférence a cru bon d'isoler la phrase "on a le droit d'être islamophobe" et de la publier sur les réseaux sociaux.  Il s’en est suivi un déferlement d’insultes à l’égard du philosophe. C’est ce sur quoi s’appuie cette Tribune pour en appeler au combat contre l’islamophobie. D’une certaine manière HenriPeña -Ruiz y a déjà répondu dans sa définition de la liberté de conscience. Mais précisément, c’est bien en réalité le refus de la liberté de conscience qui est au cœur de cette tribune, car à travers la défense du concept d’islamophobie, c’est le délit de blasphème qui est recherché, la volonté d’imposer à travers ce terme qui mélange une religion avec une notion médicale, la phobie, qui permet tous les amalgames, une interdiction générale de la critiquer. Ainsi, si ce terme était reconnu par le droit, toute critique de l’islam viendrait à être condamnable, et ce serait porter un coup tragique à la liberté de pensée et d’expression, à la liberté de conscience elle-même qui est indissociable de la libre critique, et donc un des piliers de notre démocratie. Il est presque risible de que le texte affirme qu’il n’a « Rien à voir (…) avec une quelconque volonté d’interdire le blasphème ou de remettre en cause la laïcité telle que la République l’a définie de façon intelligente et équilibrée en 1905 ! » alors que le terme islamophobie est un bélier idéologique qui vise à fendre l’armure de notre République en s’attaquant à la libre critique des religions, cette liberté même qu’il reproche précisément à Henri Peña-Ruiz, un comble. 

Il avance que « l’islamophobie est un racisme ». Pour cela il s’appuie sur un usage qui s’est généralisée grâce à ces militants dans le langage journalistique et politique, de façon incongrue. Ils y sont aidés par les confusions du Comité des droits de l’homme de l’ONU qui conteste la laïcité à la française, l’idée que nous nous faisons de la liberté de conscience, lorsqu’il juge abusif le licenciement de la salariée voilée de la crèche Baby Loup, reconnu comme légitime et légale par la Cour de cassation, en raison de la référence à la laïcité et à la neutralité des personnels dansle règlement intérieur,s’imposant à ces derniers. C’est la liberté de conscience des enfants et de leurs parents qui était en jeu. Le Conseil de l’Europe est tombé aussi dans le panneau, pour lui « l'islamophobie peut se définir comme la peur, ou une vision altérée par des préjugés, de l'islam, des musulmans et des questions en rapport. » et d’ajouter, « Qu'elle se traduise par des actes quotidiens de racisme et de discrimination ou des manifestations plus violentes, I'islamophobie est une violation des droits de I'Homme et une menace pour la cohésion sociale. » On remarquera tout de même que le Conseil de L’Europe prend la précaution de conditionner le terme islamophobie de caractéristiques juridiques précises, comme des actes quotidiens de racisme et de discrimination », car en réalité, l’islamophobie est un terme qui n’est pas juridiquement reconnue. C’est cette reconnaissance après laquelle courent ces agitateurs. Rappelons que la Cour européennes des droits de l’homme a validé en 2014, la loi française prohibant le port du voile intégral dans l’espace public, ainsi que le licenciement, en 2000, d’une assistante sociale française qui contestait son licenciement prononcé en raison de son refus d’ôter son voile islamique. Elle est donc, si ont suit le raisonnement de ceux-là, « islamophobe ».

Philippe d'Iribarne : Dans sa conférence de presse du 25 avril dernier, le Président de la République a dénoncé les « gens qui au nom d’une religion poursuivent un projet politique, celui d’un islam politique qui veut faire sécession avec notre République ». Pour les acteurs de ce projet, il est essentiel de paralyser la volonté de dresser des défenses face à son emprise. Un bon moyen est de prétendre que tout ce qui relève de telles défenses, par exemple la loi, évoquée par la tribune, limitant les signes religieux à l’école, est inspiré par une haine de l’islam. Le terme d’islamophobie associe un mot à la représentation en question. Il est au cœur d’un amalgame conduisant à refuser de voir le fait que les réactions de la société française, et plus largement des sociétés occidentales, à l’égard de l’islam, sont en fait extrêmement nuancées ; qu’elles sont fort attentives à ce qui distingue les divers aspects de l’islam et à la diversité du monde musulman. C’est l’emprise d’un islam social et politique hostile aux valeurs de la République (la liberté de conscience, l’égalité entre hommes et femmes) qui est rejetée. Mais l’islam comme démarche proprement religieuse (la prière, le jeûne du Ramadan) est bien accueilli. Les combattants de l’islam politique refusent de voir cette différence. Ils font comme si les résistances qu’ils suscitent concernaient l’islam dans sa totalité. Ils camouflent leur projet politique derrière une référence à la religion en comptant bénéficier du respect dû aux religions.

A l'instar des islamistes et fervents soutiens d'un islam politique, la gauche ne s'accapare-t-elle pas également cette notion en vue de séduire davantage et donc de servir ses propres intérêts ? 

Nicolas Moreau : La gauche est totalement perdue sur ce sujet.

Historiquement, l’antiracisme politique, couplé à une mise en avant du Front National, permettait à la gauche d’humilier et de battre la droite. (PS, SOS Racisme, etc).

Naturellement, quand un nouveau front de la lutte antiraciste s’est ouvert, autour de la haine anti musulmans, cette vieille gauche s’y est engouffrée. Elle s’est alors alignée aux côtés d’une autre gauche, plus radicale, se disant elle aussi antiraciste. (Décoloniaux / indigénistes / militants anti islamophobie…).

Certains ont pleinement joué cette carte islamogauchiste, comme Benoit Hamon, lors de l’élection présidentielle, ou la France Insoumise, lors des élections européennes. Les résultats ont été désastreux, comme chacun sait, ce qui les pousse petit à petit à abandonner cette ligne. A la France Insoumise par exemple, Danièle Obono et Clémentine Autain ont été mises en retrait, au profit d’un Adrien Quatennens nettement plus laïque.

Par ailleurs, la gauche ouvre péniblement les yeux sur les liaisons dangereuses entre les islamistes et leurs ouvreurs de porte décoloniaux, côte à côte lors de maints combats. Elle comprend également, lentement mais surement, que ces nouveaux antiracistes ont une fâcheuse tendance au racisme anti-blanc, allant jusqu’à assurer qu’il n’existe pas, ce qui disqualifie quiconque s’aligne à leurs côtés pour mener une lutte sérieuse contre le racisme.

La gauche a donc pu miser sur une ligne islamo-gauchiste par le passé. Mais les positions intenables des militants décoloniaux, leurs liens avec les islamistes, et les résultats misérables lors des différentes élections, la font apparemment changer son fusil d’épaule actuellement.

C’est dans ce contexte que la tribune publiée dans Libération s’inscrit. Il s’agit d’une piqûre de rappel de la nébuleuse islamo-décoloniale à la gauche. On s’y présente comme représentatifs des quartiers populaires, on essaye de prétendre qu’on pèse électoralement, et que la sanction pour quiconque ne compose pas avec cette ligne islamo-gauchiste sera lourde. Les derniers résultats électoraux ont montré exactement l’inverse.

Reste à voir si la gauche tombe dans le panneau.

Guylain Chevrier : La gauche est de ce point de vue à la croisée des chemins, comme le montre la controverse à l’intérieur de LFI sur la laïcité. La gauche est depuis longtemps noyautée par des militants d’un islam politique qui ne se cachent même plus. Ces derniers tentent, par toutes les confusions possibles de faire rabattre une gauche largement extrême gauchisée, dans leurs filets, en substituant le combat social, fondé sur une certaine idée de l’égalisation des conditions, sinon sur la lutte des classes, par le combat en faveur du droit à la différence, propres aux affirmations identitaires, comme seul vrai combat. Cela passe par une victimisation à outrance, rabattant systématiquement la question des inégalités sociales sur celle des discriminations. Et donc, pour l’installation dans notre pays du multiculturalisme qui est la première étape dans l’affirmation d’un islam cherchant à imposer par un rapport de force communautaire ses vues à la République. 

On voit des organisations historiquement de gauche aux fondements laïques, prendre des positions allant dans le même sens, comme le planning familial ou la FCPE, qui par voie d’affiches font la promotion de la femme voilée. Cela, en la banalisant contre toute l’histoire d’un combat d’émancipation qui est passée par le dégagement des traditions patriarcales de la France, pour les jeter aujourd’hui dans les bras de traditions d’une conception de l’islam qui les enferment dans un sous statut moral et juridique. Quelle gageure !Mais au sein de ces associations, des démentis internes se font jour qui viennent réagir et contester cette orientation, montrant que les choses ne sont pas jouées.

Philippe d'Iribarne : En fait, la gauche est elle-même extrêmement divisée sur le sujet de l’islam. Cette division peut conduire à des échanges de propos incendiaires. Pensons à Médiapart accusant Charlie Hebdo de « guerre aux musulmans » et accusé d’adouber les assassins « qui demain voudront finir le boulot des frères Kouachi ». La tenue islamique, de la loi la prohibant à l’école au burkini, en passant par le voile des mères accompagnant les sorties scolaires, est un sujet emblématique de division. Les compagnons de route des islamistes la présentent comme la résistance d’une minorité opprimée refusant de se soumettre aux diktats d’une société raciste.  Mais la gauche républicaine la dénonce comme l’acceptation d’un asservissement à un ordre patriarcal. Et c’est à cette gauche attachée aux valeurs de la République que s’adresse la tribune que vous citez. Cette tribune lui enjoint de changer de camp, en passant totalement sous silence le fait que le respect de ces valeurs est en jeu. Pour les auteurs de la tribune, voir une fraction importante de la gauche refuser de s’associer à leur entreprise est insupportable.

Est-ce que la fraction de la gauche qui soutient les islamistes sert vraiment les intérêts de la gauche dans son ensemble ? On peut en douter. L’abandon massif des partis de gauche par le  monde ouvrier paraît bien lié pour une bonne part à un rejet d’une posture complaisante à l’égard de l’immigration et de l’islam. Brandir le vocabulaire de l’islamophobie paraît de nature à contribuer à discréditer la gauche au sein de toute une partie de la société. Certes, cela donne en contrepartie une sorte d’aura morale au sein d’autres couches sociales. Mais on peut douter que le solde soit positif.  

Défendre à tort et à travers la lutte contre l'islamophobie n'est-ce pas également se voiler la face puisque telles que l'ont montré certaines enquêtes de la Fondapol ou du Cevipof, l'islam pratiqué en France aujourd'hui n'est plus le même qu'il y a 30 ans ? En d'autres termes, cela ne révèle-t-il pas une incapacité à accepter qu'une partie des revendications actuelles des musulmans de France ne relèvent plus de la liberté de croyance ou de conscience mais sont entièrement politiques ?

Nicolas Moreau : L’islam est ainsi fait qu’il a naturellement vocation à déborder dans les sphères politique et publique. Par le message qu’il porte sur la place des femmes, sur l’homosexualité, sur l’athéisme, sur l’apostasie ou encore sur les Juifs, il se heurte aux principes de la République française, qui se doit de répondre.

Par ailleurs, le Coran, réputé parole divine, donne un certain nombre d’injonctions, qui trouvent plus facilement à s’appliquer dans les sociétés où la Loi s’en accommode.

Les revendications actuelles de *certains* musulmans de France sont, en conséquence, nettement plus politiques que religieuses en effet.

Guylain Chevrier : C’est bien le sens même des revendications qu’on voit poindre dans l’énumération que fait cette tribune de ce qu’elle entend combattre ou défendre. Elle dénonce une laïcité dite « instrumentalisée à des fins racistes ». Pour ensuite attaquer « la loi interdisant le port des signes religieux à l’école » pour dire qu’elle était promise à un « engrenage islamophobe ». Mais c’est encore une fois cette liberté de consciencequi est au fondement de l’école laïque, d’une école qui enseigne le libre-arbitre et l’autonomie de la pensée, qui est attaquée.

C’est la liberté de conscience à tous les étages qui est dans le viseur, comme l’obstacle à l’affirmation d’un islam politique qui puisse avoir les coudées franches. Car l’islam politique c’est bien le rejet des lois de la République et évidemment de la laïcité. Nous sommes ici face à un traquenard idéologique et politique à visée religieuse qui rejoint la volonté d’un islam intégriste de nese voir plus contesté par quiconque. Pour s’en convaincre, dans ce prolongement on cite: « accompagnement des sorties scolaires par des mamans portant le voile, burkini à la plage, hijab-running, fast-food halal, licenciement pour port de la barbe… A chaque saison sa polémique ! » On peut voir que les revendications religieuses qui montent dans notre société, appelant  des accommodements avec la loi commune, par l’affirmation d’un islam identitaire qui rejette tout compromis avec nos mœurs et notre mode de vie, sont ici défendues, comme tête de pont de bien d’autres. C’est la volonté d’imposer la foi au-dessus du droit.

Dans l’un des derniers rapports du Sénat sur la radicalisation, il a été souligné que le communautarisme est le principal terreau de la radicalisation. Celui précisément auquel conduit cette volonté d’imposer un islam interdisant toute critique, qui rejette les principes fondamentaux de liberté de notre république, derrière une victimisation outrancière qui ne trompe personne. En France en 2018, selon un bilan officiel du ministère de l’Intérieur, 100 actes antimusulmans ont été recensés l'année dernière, contre 121 en 2017, 182 en 2016 et surtout 429 en 2015. Les actes contre les juifs eux, ont augmenté de 74% en 2018.Ce qui devrait faire réfléchir si c’est possible, les signataires de cette tribune, qui tombe bien mal au lendemain d’un attentat commis par un radicalisé. 

Philippe d'Iribarne : Effectivement, il a longtemps paru aller de soi que les musulmans ayant pris racine en Occident, et en particulier en France, suivraient la même trajectoire d’intégration que ceux qui, avant eux, étaient venus d’Italie, de Pologne, d’Espagne, etc. Il paraissait clair que, si la première génération pouvait avoir quelques difficultés d’intégration, celles-ci s’atténueraient considérablement pour la seconde génération et disparaitraient pour les suivantes. Or, comme le montrent de nombreuses études – on pourrait rajouter celle de l’Institut Montaigne sur les musulmans de France – ce qu’on observe est l’exact contraire. La part de ces nouvelles génération qui est engagée dans une démarche de parfaite intégration, marquée notamment par un attachement aux us et coutumes de la société d’accueil, est certes importante, mais loin d’être  hégémonique. Ceux qui, en sens opposé, s’attachent à la construction d’une contresociété islamique paraissent, dans ces générations, plus nombreux que dans celle de leurs parents et à peu près aussi nombreux que ceux qui suivent la démarche inverse. Or la France n’était nullement préparée à un tel phénomène. Il est très difficile de concevoir ce que peut être une politique qui en tienne compte, dans de multiples domaines, politique d’immigration, droit de la nationalité, lutte contre l’emprise salafiste, etc. Devant cette difficulté, il est tentant de ne rien vouloir voir. 

Enfin, cette obstination dans la lutte contre l'islamophobie n'est-elle pas l'illustration de l'échec d’une« gauche morale », laquelle préfère accabler le peuple français et traiter les musulmans en simple victime plutôt que d'ouvrir les yeux ? 

Nicolas Moreau : Dans l’intimité des arrière-salles et des couloirs, les politiciens de la gauche morale font exactement les mêmes constats que tout le monde sur l’islam, sur la pression qu’il met sur les sphères politiques et publiques, et sur les questions que cela pose politiquement.

Mais il y a là une clientèle musulmane nombreuse, qui par le passé a pu voter massivement pour cette gauche morale (lors de l’élection de François Hollande par exemple). Alors inlassablement, celle-ci est tentée par un retour à ses vieux démons clientélistes, notamment au niveau local, où les rapports démographiques en faveur des musulmans peuvent être écrasants, comme à Trappes.

Par ailleurs, en France comme ailleurs, la tendance est à qui se présentera comme la plus grande victime, la plus harcelée, la plus blessée. L’enjeu est grand, et très simple à comprendre : celui qui se victimise le plus, est celui qui a le plus de chance d’obtenir de lois d’exception en sa faveur.

Le clientélisme, encore et toujours…

Guylain Chevrier : Depuis de nombreuses années la critique grossit sur l’abandon des couches populaires, non au sens d’une population pauvre qui serait essentiellement immigrée, mais au sens d’un monde des ouvriers et des employés, d’une France périphérique des classes moyennes du bas du tableau qui s’est rappelée à notre mémoire à l’occasion de la crise des Gilets jaunes. Cette mise au premier plan des combats politiques par le journal Libération de la reconnaissance du terme islamophobie comme un racisme, et donc sa reconnaissance juridique, qui se réclame d’incarner une certaine gauche, est le reflet de cet abandon sinon d’une forme de trahison. Car seul le combat pour plus d’égalité et non de chacun sa différence, est porteur d’émancipation pour ces classes sociales du monde du travail, dont font partie beaucoup de familles immigrées et de concitoyens de confession musulmane. 

Lorsqu’il est question de « coopération politique » dans le texte on cite : « la lutte contre le sexisme, l’homophobie, le racisme sous toutes ses formes, incluant la lutte contre l’islamophobie ne se négocie pas, ne peut être ignorée, et se doit d’être au cœur de tout projet politique. » Ce sont d’ailleurs essentiellement des élus qui signent cette tribune, qui ont déjà mis en pratique le mélange entre islam et politique, ils savent bien de quoi ils parlent. C’est une nouvelle définition du projet politique à gauche qu’ils réclament, centrée sur la question des discriminations. 

L’écriture inclusive du texte est comme un argument de vente de la nature « intersectionnelle » de la démarche, avec en toile de fond un rassemblement prétendument de tous les dominés, amenant des militantes dites féministes à défendre le voile au nom de la lutte contre la domination blanche postcoloniale, en justifiant une autre forme de domination patriarcale, mais qui passe pour une liberté au titre de la lutte pour le droit à la différence, et de chacun sa culture contre l’universalisme républicain. Les militants LGBT gagnés à cette cause le sont parce qu’ils se pensent comme une communauté,et non comme des citoyens, de la même façon que ces  militants d’un islam communautariste, se rejoignant ainsi dans le même projet de fragmentation de notre société. Cela en pleinecontradiction avec ce sur quoi la gauche s’est toujours appuyée, les forces sociales et spécialement celles du monde du travail ancrées dans le combat pour l’égalité sociale, mises là au pilori, et non, la non-discrimination qui conduit aux séparations communautaires. Un multiculturalisme mortel pour la République égalitaire, laïque et sociale. C’est sur cela qu’il faut absolument que l’on fasse s’ouvrir les yeux.

Philippe d'Iribarne :La gauche qui se dit morale est profondément marquée par une vision postmoderne pour laquelle le seul obstacle à l’avènement d’une société heureuse réside dans un manque d’ouverture à l’autre des « dominants » ou réputés tels, manque d’ouverture envers celui qui a d’autres origines, une autre religion, d’autres choix de vie. Dans cette perspective, toute invocation d’éléments autres qu’un tel manque d’ouverture qui entraveraient l’avènement de cette société heureuse est insupportable. Pour ceux qui ont adhéré à cette vision, y croient de tout leur être, un retour à la réalité, et notamment une observation sans complaisance de l’univers de l’islam, représenterait un deuil qu’ils refusent d’accomplir. Cultiver le discours de l’islamophobie est un moyen privilégié d’éviter ce deuil. 

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