Cet antiracisme dévoyé qui a mené la France dans le mur<!-- --> | Atlantico.fr
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Des policiers mobilisés après la mort de Nahel, AFP
Des policiers mobilisés après la mort de Nahel, AFP
©ZAKARIA ABDELKAFI / AFP

Danger imminent

Depuis la mort de Nahel, 17 ans, Nanterre et d'autres villes de France ont fait l'objet de rassemblements tendus. En marge desquels ont émergé certains tags appelant à la violence contre les policiers.

Rachel Khan

Rachel Khan

Rachel Khan est juriste, spécialiusée en droit public, en droit international et en droits fondamentaux. Elle a aussi été actrice et écrivaine, ainsi qu'une athlète de haut niveau.

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Atlantico : Une vidéo où l’on peut lire un tag « Nanterre nike les condés, Bande de chiennes, on va vous faire une Shoah » a beaucoup circulé. Qu’est-ce qui, selon vous, est à l’œuvre et explique ce genre de passage à l’acte ?

Rachel Khan : Comme beaucoup, j’ai été profondément choquée par ce tag qui en dehors de la forme, (c’est à dire le vandalisme), est la synthèse de la haine à l'œuvre aujourd’hui. 

La haine de la police, la haine des femmes, la haine de l’autre et en l’occurrence ici les juifs. La Shoah est un crime contre l’humanité, c'est-à-dire un crime qui concerne l’humanité toute entière. Or, ici ce tag affiche, sans tabou, que le projet de l’extermination de la police serait légitime. Les policiers deviennent sur ce mur quasiment une « race » à abattre.

Je ne vais pas philosopher, ni psychanalyser sur ce tag. Mais cette écriture décomplexée révèle aussi l’inculture, l’absence d’éducation, de citoyenneté, de responsabilité et d’humanité de son l’auteur. Il y a passage à l’acte par la haine et par la vacuité.

Il faut toujours et sans cesse rappeler l’antisémitisme et l’appel à la haine n’est pas une opinion mais un bien délit. Or, si ce tag a fait réagir, il restera impuni. 

Dans quelle mesure payons-nous, ici comme ailleurs, les fruits d’un antiracisme dévoyé que l’on a laissé s’installer en France ?

A force de laisser passer la concurrence des victimes, alors que notre pays et son fondement universaliste ne fait pas de distinction entre les motifs de discriminations.

A force de laisser la confusion s’installer entre « égalité des droits » et égalitarisme où aucune tête ne peut dépasser.

A force de laisser s’installer la logique du « bouc émissaire » qu’est le juif, le riche, l’homme blanc, le boomer, l’homo, le noir, l’arabe, l’immigré, la femme, sans rappeler par les actes que notre République est une.

A force de laisser s’installer le communautarisme jusque dans l’école Républicaine. 

A force de laisser dire que l’universalisme, l’humanisme des Lumières et la laïcité sont en réalité islamophobes ; à force aussi du « soft power » américain (réseaux sociaux, films, séries...) qui finit par faire croire à certains qu’ils vivent en Alamba en 1950.

A force de laisser des associations vieilles de 40 ans mal-intentionnées s’occuper de l’antiracisme en reproduisant elles-mêmes des divisions racistes pour des questions de pouvoir, de buzz et d’égo.

A force d’être dans une culpabilité, nourrit par les dogmes décoloniaux mettant en cause la France.

A force de laisser s'installer cette petite musique du racisme systémique français, nous payons le prix fort en termes de démocratie où tout dialogue est impossible, où la société se divise de plus en plus. Nous en payons le prix fort car nous n’arrivons plus à expliquer qu’être un citoyen c’est avoir des droits mais aussi des devoirs. Nous n’arrivons presque plus à nous dire appartenir au même monde et à nous retrouver tous ensemble sous le même drapeau.

Mais à la fin et nous le savons tous, cette situation laisse place aux extrêmes. 

Pourquoi avons-nous collectivement laissé prospérer ce faux antiracisme, et la logique du pas de vague qui l’accompagne souvent ? 

Le pas de vague est le danger majeur.

Il faut regarder dans l’histoire, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale. Ceux qui ont fait la politique de l’autruche se sont retrouvés, à la fin, être les complices du pire. 

Vous avez raison de parler de faux antiracisme et pire nous avons abandonné même la notion de « lutte contre toutes les formes de discriminations », alors qu’elle symbolise l’universalisme à la française, c'est-à-dire nous battre tous ensemble contre tous les motifs d’intolérance.  

Il y a plusieurs raisons à mon sens à cette inaction, à ce « laisser faire ». D’abord, notre politique est malade du clientélisme.  Pour ne pas heurter on utilise des mots vides de sens. Regardez comme « diversité », « vivre ensemble » « bienveillance », « solidarité » sont passés avant les mots « laïcité » « liberté », égalité », « fraternité ». 

Pourquoi ? Pour ne pas offenser, pour ne pas faire de vague. 

Sauf que faire de la politique c’est avoir une ligne, une vision, un projet clair. Défendre notre loi fondamentale c’est normalement la mission de tout élu. C’est aussi une exigence de tous. L’inaction est une bombe à retardement. Ne pas faire de vague, c’est tuer la démocratie et laisser la place à toutes les formes de populisme qui jouent sur la peur et les frustrations. 

Alors, pourquoi le pas de vague ? Parce qu’il faut un minimum de courage pour défendre la justice, l’égalité et l’Etat de droit. 

A quel point a-t-il pris en ampleur dans le débat public et dans la pensée intellectuelle française ? 

Cet antiracisme déplacé, haineux et violent s’est déployé avec les réseaux sociaux. En pointant du doigt l’autre, en culpabilisant, en se victimisant en permanence dans les médias, il a accéléré une fracture et empêché de traiter les problèmes réels. 

Par ailleurs cet antiracisme a permis de cristalliser deux pôles chez les extrêmes : racisme d’un côté, racialiste de l’autre. 

Le fléau a touché de plein fouet les intellectuels, les artistes et leur liberté d’expression. 

C’est un drame dans l’héritage des Lumières. L’intellectuel est délégitimé. S’il est blanc par exemple il ne pourra pas parler de tout. Ce qui est l’inverse de son travail avec sa matière grise ! Cet essentialisme autant que cette assignation tue le dialogue, le doute, la remise en question et en sourdine notre société.  Nos intellectuels étaient censés nous éclairer. La lumière se tamise. 

Est-il encore temps de sortir de l’ornière dans laquelle nous sommes tombés ? Comment faire ?

Il n’est jamais trop tard. 

L’éducation, d’abord et avant tout. L'École de la République doit enseigner nos principes fondamentaux, nos valeurs démocratiques, la pensée critique dès le plus jeune âge. Contrairement à la victimocratie, le goût de l’effort doit être mis au centre de l’éducation pour élever des citoyens responsables. 

Ensuite, il y a le dialogue. Apprendre, l’échange, l’écoute, la parole, donc apprendre ce qu’est une démocratie. Aujourd’hui, un espace de dialogue comme des assises de la sûreté et de la sécurité entre la police et les citoyens serait éperdument nécessaire. Malheureusement, même la police de proximité qui mettait une relation, a été supprimée.

Vient ensuite, le renforcement des institutions et l’autorité est un point clef. 

Mais tout cela ne peut se faire, et j’insiste, que s'il y a une vraie politique de lutte contre les inégalités économique, sociale, environnementale, culturelle. Les inégalités provoquent des frustrations qui nourrissent la violence et la haine. Une politique de lutte contre toutes les formes de discrimination forte est urgente. La lutte contre le racisme par exemple, ce n’est pas bien aimer les juifs seulement lorsqu’ils sont morts… La lutte contre toutes les formes d’intolérance c’est faire avec les vivants, éduquer, sensibiliser, avoir des projets concrets qui permettent aux humanités de s’exprimer, de rentrer en relation.La question de l’égalité des droits et leur mise en œuvre c’est aussi remettre la méritocratie au cœur. 

Enfin, la culture est un point essentiel. Pas la mode ! L’art ! L’histoire, le patrimoine sont des outils pour comprendre le chemin parcouru et ce qu’il reste à faire. Tant d'œuvres nous rassemblent et permettent la réflexion. Mais donner l’envie de culture ce n’est pas faire des chèques. C’est accompagner les jeunes dans les lieux, qu’ils puissent rencontrer des artistes qui leur donnent envie de beau et d’esthétique. L’art et les passions font souvent taire la colère et la violence. L’artiste aussi est à mettre au centre, à épauler car sensible « il est embarqué dans les galères de son temps » et son travail est précieux pour réparer notre société.

Aussi, il me paraît impératif de poursuivre un dialogue inter-religieux constant. C’est celui-là qui peut offrir des clefs de compréhension mutuelle et d’accéder ensemble à notre fraternité.

Enfin, nous savons que les parents jouent un rôle clef en amont. Mais pour régler cette violence à la racine, ne jamais oublier comme le dit ce proverbe africain que « pour élever un enfant il faut tout un village ».

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