Ces nouvelles technologies qui permettent de lutter contre les censures grandissantes des régimes autoritaires (et parfois des autres…)<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme tient une pancarte alors qu'il manifeste devant les bureaux de Google à Londres, en janvier 2019.
Un homme tient une pancarte alors qu'il manifeste devant les bureaux de Google à Londres, en janvier 2019.
©BEN STANSALL / AFP

Liberté d'expression menacée

Google travaille sur des outils permettant aux développeurs de produire des applications plus résistantes à la censure pratiquée dans certains pays comme en Chine ou en Russie.

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Un certain nombre d’Etats, dont la Chine, mettent en place des méthodes de contrôle de l’accès à Internet. D’aucuns n’hésitent d’ailleurs pas à dénoncer cette forme de censure… Voir à lutter contre. Google prévoit, semble-t-il, des outils permettant aux développeurs de produire des applications plus résistantes à la censure. Quels sont, aujourd’hui, nos armes contre de tels dangers ? 

Fabrice Epelboin : En tant que nation, la France - comme l’Occident de façon générale - bénéficie des mêmes outils que la Chine ou que l’Iran. Ce sont les mêmes armes qui permettent de contourner la censure. Nous créons des outils pour l’éviter depuis belle lurette… Le plus connu de ceux-là étant sans doute le navigateur Tor. C’est lui, notamment, qui permet d’accéder au darknet, dont l’utilité première a toujours été de porter secours à des populations censurées dans des pays autoritaires. La vente de drogue sur ces plateformes n’est guère qu’un épiphénomène du darknet. Le réduire à cela, c’est n’en voir qu’une utilisation très secondaire (d’autant que passer par le darknet pour acheter de la drogue, ce n’est pas opter pour la méthode la plus simple). A l’origine, il s’agit d’un réseau pensé pour permettre à des populations oppressées, tel que cela peut être le cas des Iraniens, de contourner la censure étatique, de faire passer ou de récupérer des informations autrement bloquées, d’être en mesure de s’exprimer pour que nous autres puissions en savoir plus sur leurs conditions de vie.

Tor permet d’accéder à un site web que tout gouvernement déciderait de censurer. Il permet aussi d’accéder à des machines cachées au sein de son réseau, qui ne sont pas localisables faute d’adresse IP qu’il est possible d’identifier, et c’est ainsi que se développe une forme de darknet.

Que dire des "nouveaux outils" que Google entend développer ?

Vous l’avez dit : ils sont développés par Google, ce qui n’a rien d’anodin. Cette entreprise constitue une puissance géopolitique importante, elle-même placée sous le contrôle d’une autre puissance géopolitique de première importance. La véritable question, ceci étant dit, est celle des modalités de partage du logiciel qui est aujourd’hui développé. S’il est développé en open source, c’est très bien. Google contribue, dans ce cas de figure, comme de nombreuses autres sociétés avant (et après) à produire des outils de lutte contre la censure. 

Comment de tels outils permettent-ils de lutter contre la censure, concrètement ?

Tout va dépendre de l’outil en question, en cela qu’ils fonctionnent tous de façon différente, ou presque. Certains outils, comme cela peut-être le cas de certaines alternatives suisses à Tor, fonctionnent sur la base de blockchain pour anonymiser des échanges d’informations. Généralement, ils s’appuient sur des machines-relais, qui se passent le signal de l’une à l’autre en prenant soin d’anonymiser l'émetteur ou le récepteur L’intérêt de cet outil, qui permet de communiquer de machine à machine plutôt qu’entre individus, repose également sur son mode de financement. Contrairement à Tor, qui dépend des bénévoles qui assurent son fonctionnement, c’est qu’il permet la rémunération des acteurs qui “louent “ l’une de leurs machines permettant aux activistes d’échanger de l’information. Il s’agit essentiellement d’amortir les frais d’entretien de l’appareil, pour ne pas avoir besoin de dépendre de la participation d’Etats.

D’autres méthodes sont plus connues : c’est le cas, par exemple, des VPN. Le principe est simple : l’utilisateur se connecte à une machine distante, généralement installée dans un autre pays, à partir de laquelle il se connecte ensuite au reste de l’internet. Cela ne permet pas nécessairement de contourner toutes les censures, mais il est toujours possible de les utiliser pour accéder à des catalogues américains sur des applications de streaming, par exemple. Attention, toutefois, des sociétés comme NordVPN proposent désormais des adresses IP connues de services comme Netflix…

Peut-on penser de l’outil que développe Google qu’il va considérablement bouleverser la lutte contre la censure ?

Il s’inscrit dans une longue lignée d’outils de lutte contre la censure. Fondamentalement, pour ce que l’on en sait, il s’agit d’une innovation utile, mais il reste difficile - faute d’informations précises à son propos - de dire à quel point il pourrait changer la donne. Cela reste, pour l’heure, un composant relativement basique, qui fera l’objet d’analyses après son baptême du feu. Le concept n’est pas sans intérêt et le seul signal que Google s’engage pour la liberté d’expression est très important en tant que tel. D’autant plus que cette dernière est extrêmement remise en cause aux Etats-Unis…

N’oublions pas non plus que les outils que nous développons ne seront pas uniquement utiles aux Iraniens, pour ne citer qu’eux. Ils serviront à tout le monde. Derrière Google, il y a aussi l'État américain, dont la stratégie consiste peut-être à offrir la liberté d’expression à ces derniers… mais cela reviendrait aussi à l’offrir aux autres, dont les Français par exemple.

Un dirigeant politique a-t-il intérêt à se réjouir d’une telle situation ? Quid du citoyen ?

Pour l’essentiel, les dirigeants qui se posent en défenseur de la liberté d’expression sont rares, sinon complètement absents. Certains font face à une forme de gène qui ne dit pas son nom quand d’autres s’y opposent assez franchement. La plupart des lois qui visent à lutter contre la haine luttent également contre la liberté d’expression. C’est assez simple à comprendre : la haine appartient à tous les camps politiques, mais selon d’où elle émane, elle n’est pas perçue de la même façon pour les hommes et les femmes politiques de ces différents camps. Si, demain, nous assistons à une alternance politique assez radicale, la notion de “haine acceptable” changera probablement du tout au tout.

De même, certains citoyens sont aussi tout à fait opposés à la liberté d’expression. Une partie non négligeable de la population est contre, dans une certaine mesure, une liberté absolue de s’exprimer.

Dans quelle mesure peut-on faire confiance à Google pour s’assurer de la lutte contre la censure dans le monde ?

Si l’outil est un logiciel libre, alors oui. Il s’agit d’un contrat juridique, propre au code; qui vise à protéger la propriété intellectuelle et qui fait de ce logiciel un bien commun. On protège le code avec une licence GPN, qui pour résumer, implique que toute amélioration de celui-ci doit être “reversée” au pot commun. Chaque personne qui travaille sur le capital de départ améliore celui-ci pour tout le monde.

Un nombre conséquent des logiciels que nous utilisons au quotidien sont des logiciels libres. La plupart des sites web de presse, pour ne prendre que cet exemple, dépendent d’une plateforme d’exploitation, un Linux dans la plupart des cas, mais aussi d’un serveur web, pour lequel on utilise le plus souvent Apache. Parmi les autres piliers nécessaires à son bon fonctionnement, il y a aussi MySQL, qui correspond à la base de données, et le PHP qui n’est autre que le langage le plus couramment interprété. Tous constituent des biens communs.

Si, toutefois, Google décide de ne pas en faire un logiciel libre, il ne sera pas possible de leur faire confiance. Mais cela veut aussi dire que personne n’utilisera leur outil.

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