Ces bactéries qui servent à fabriquer des vêtements de luxe<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Mode
La marque de mode danoise Ganni et la société mexicaine de biomatériaux Polybion se sont associées pour créer un blazer à base de cellulose bactérienne
La marque de mode danoise Ganni et la société mexicaine de biomatériaux Polybion se sont associées pour créer un blazer à base de cellulose bactérienne
©DR / Ganni / Capture d'écran

Innovation

La marque de mode danoise Ganni a travaillé avec la société mexicaine de biomatériaux Polybion pour créer une veste à base de nanocellulose bactérienne.

Emilie Coutant

Emilie Coutant

Emilie Coutant est sociologue, consultante en mode, médias, tendances, risques et addictions.
Docteur de l’Université Paris V, elle a soutenu une thèse intitulée “Le mâle du siècle : mutation et renaissance des masculinités. Archétypes, stéréotypes, et néotypes masculins dans les iconographies médiatiques” (2011). Fondatrice et dirigeante de la société d’études qualitatives et prospectives Tendance Sociale, elle réalise études et enquêtes sociologiques pour le compte d’entreprises ou d’institutions. Enseignante dans diverses universités et écoles de mode, elle est également Présidente du Groupe d’Etude sur la Mode (GEMode), rédactrice éditoriale des Cahiers Européens de l’Imaginaire et secrétaire du Longeville Surf Club.
Voir la bio »

Atlantico : La marque de mode danoise Ganni et la société mexicaine de biomatériaux Polybion se sont associées pour créer un blazer à base de cellulose bactérienne.  Quelles sont les principales spécificités de cette veste ? Cette veste est-elle réellement fabriquée à partir de bactéries ? D’où vient la biomasse bactérienne utilisée pour fabriquer la veste ?

Émilie Coutant : Cette marque a fabriqué la première veste à partir de nanocellulose bactérienne. Cette cellulose serait issue de produits dits naturels, donc de bactéries. 

Ils vont utiliser des restes provenant d'usines locales de production de foie en conserve pour nourrir cette bactérie à partir de laquelle ces bactéries vont se reproduire et générer une matrice de nanocellulose, qu’ils vont récolter et procéder par-dessus à une phase de tannage et de finition, ce qui va permettre de créer une forme de cuir à partir de cette biomasse bactérienne.

Cette innovation pourrait-elle permettre de réaliser toujours plus d’efforts en matière environnementale dans le cadre de la confection de vêtements ? D’autres marques de mode sont-elles engagées dans des projets similaires ou comparables ?

Ganni n'est pas la pionnière en la matière. Fabriquer du « cuir 2.0 », à partir de fruits et de plantes, existe déjà. La société Ananas Anam de Carmen Hijosa avait par exemple découvert la fibre de feuille d'ananas et en avait élaboré ce qu'on appelle le Pinatex, un cuir à base d'ananas, plus précisément un matériau textile tissé, fabriqué à partir des fibres de feuilles d'ananas qui lui avait valu d'être lauréat du Prix de l'innovation en matériel. Le Pinatex est une alternative végétale au cuir.

Nous pouvons également citer Frumat, une entreprise italienne. Elle produisait à partir de 50 % de déchets de pommes, mais il y avait encore 50 % de polyuréthane. Un groupe d'étudiants néerlandais avait essayé de créer le « fruit leather », un cuir végétal à partir de prunes/nectarines ou de cuir de mangue. Enfin, une tannerie brésilienne avait innové avec le cuir BeLeaf, élaboré à partir de feuilles d'Alocasia Macrorrhiza. C'est une plante, également connue sous le nom d’oreille d'éléphant, qui a été plantée dans le cadre d'une politique de reforestation des cours d'eau de l'Amazone et qui est cultivée sans pesticide ni arrosage.

La découverte et les travaux de la marque Ganni et de la société Polybion sur la fabrication de vêtements à partir de bactéries pourraient-ils révolutionner l’industrie de la mode et du luxe ?

Ce projet de Ganni fait partie des projets qui révolutionnent le monde de la mode et du textile. Le cuir, et notamment la pâte de tannage, est extrêmement polluant. Notamment parce que la production des peaux de cuir est traditionnellement associée à la chasse, à l'élevage, à la chaîne alimentaire de manière générale. Même si on utilise les peaux animales pour l'habillement depuis la nuit des temps et que l'industrie agroalimentaire a été l’une des premières filières à avoir mis en œuvre une forme de recyclage, il reste des cheptels qui sont constitués aujourd'hui que pour les peaux.

Cela nuit au bien-être animal, mais également à la traçabilité au niveau du tannage. On sait que pour traiter une peau, pour en faire du cuir, on va utiliser des sels de chrome qui sont extrêmement toxiques et qui sont largement employés pour effectuer cette opération de tannage, qui se retrouvent sur des cuirs de belle qualité.

De plus, cela affecte la santé de très nombreux ouvriers, et bien évidemment l’environnement, avec les eaux usées rejetées qui sont extrêmement polluantes. Une marque éco responsable et haut de gamme va limiter ce tannage minéral au profit d'un tannage végétal du cuir ou alors d’autres projets innovants comme la marque Ganni a pu le faire.  

Qu’est-ce que cela change pour le consommateur ? Est-il friand de ces projets innovants ? 

Il y a une attente du consommateur. Depuis le scandale du Rana Plaza au Bangladesh en 2013, avec l’effondrement d'une usine, tout le monde s'intéresse à l'origine de ces produits. Où est-ce qu'ils sont fabriqués ? Comment le sont-ils ? À partir de quelle matière ? Il y a une vraie prise de conscience des consommateurs sur l'origine des produits et des matières. Beaucoup de consommateurs sont intéressés par le fait de ne pas acheter de cuir qui a été tanné de manière non végétale ou alors de cuir qui vient de cheptels. Les nouvelles formes de cuir alternatives attirent l’œil, que ce soit du cuir de mangue, d'ananas, de protéines de lait, de coco ou encore de biomasse bactérienne. 

Il y a énormément d'innovation là-dessus et les marques elles-mêmes s'y intéressent comme je vous l’ai dit. Il est notamment possible de citer l’exemple de Stella McCartney, qui est une marque de mode de luxe pionnière en la matière, qui s'intéresse justement à l'origine de ses produits, n'utilise plus de fourrure et qui n'utilise plus de cuir d'origine animale.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !