Ces autres rentes françaises que l'inspection générale oublie un peu vite dans son rapport sur les professions réglementées<!-- --> | Atlantico.fr
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Le rapport de l'Inspection général des finances n'aborde pas la question des rentes du public.
Le rapport de l'Inspection général des finances n'aborde pas la question des rentes du public.
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Bigleuse

Si le rapport de l'Inspection générale des finances pointe du doigt les rentes de certaines professions, elle ne se focalise que sur le secteur privé sans se pencher sur les avantages du service public pouvant s'apparenter économiquement, eux aussi, à des rentes.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Atlantico : Le rapport de l'Inspection général des finances pointe du doigt des métiers bénéficiant de situation de "rente", mais ne s'intéresse qu'au secteur privé, sans aborder les rentes du public. Mais quelle serait la définition économique d'une rente dans le secteur public justement ? 

Vincent Touzé : Une rente est une situation où une entreprise aurait des privilèges lui permettant de réaliser plus de profits à capacité productive identique à d’autres entreprises. A l'échelle d’un emploi, c’est un salarié qui gagne plus à niveau de compétences et d’efforts identiques. Cela arrive quand on bénéficie d’un marché captif sans être mis en concurrence. Dans le privé, la mise en concurrence est facile. Dans le public, c’est plus complexe du fait de l’existence de "biens publics" où la mise en concurrence n’est pas forcément le système le plus adapté pour produire.

La rente la plus visible est la garantie – à partir d'un certain niveau (comme la réussite à un concours d'une école de l'administration comme l'ENA par exemple) – d'une carrière (et d'une rémunération !) qui survivra à tous les échecs, ou les écarts temporaires dans le secteur privé. Que nous coûte réellement cette "impunité" ?

L’origine du statut de haut fonctionnaire vient de la création des concours pour remplacer l’attribution des charges publiques à la haute noblesse. Il fallait ouvrir à l’époque ces fonctions à la seule question des compétences. S’ils étaient garantis, c’était pour les protéger des changements politiques pour garantir l’indépendance.

En principe, ce qui préside à la création d’un poste, c’est l’idée que la personne rapportera plus que ce qu’elle va coûter en termes de finances publiques. La question de la rente est donc établie quand la personne coûte plus cher que ce qu’elle rapportera. C’est pour cela d’ailleurs que des organismes comme la Cour des Comptes veille sur ces questions.  

La haute fonction publique échappe totalement aux contraintes de l'offre et de la demande. Cette exception est même avancée par les concernés comme un gage de qualité. Dans le domaine, où s'arrête réellement l'indépendance des fonctionnaires et où commence la rente ?

En théorie, deux personnes à travail et compétences similaires doivent être rémunérées de la même manière, dans un monde ce concurrence. La question de la rente devrait donc être entendue si se pratiquait un niveau de salaire excessif par rapport à ce qui se pratiquerait "normalement" sur un marché concurrentiel soumis à l’offre et à la demande. Cette capacité est liée dans la fonction publique au pouvoir d’imposer son monopole.

Mais si on a besoin de services publics, c’est aussi parce que le système marchand ne peut pas produire tous les biens. Cependant la question à se poser est celle de la bonne adaptation de la fonction publique à produire les biens qui lui sont demandés. Revenons sur la question de l’offre et de la demande : il est en vogue en ce moment de vouloir apprendre aux enfants le langage informatique à l’école. Mais finalement, l’offre sera proposée par des associations, qui ne seront pas rémunérées avec le même statut qu’un enseignant du primaire. C’est donc par des services privés que l’on peut adapter l’offre publique d’aujourd’hui…

Sous couvert de méritocratie, la haute fonction publique se révèle de plus en plus endogamique... et donc de moins en moins méritocratique. Ce paradoxe peut-il être remis en cause sans avoir à mettre à plat l'intégralité du modèle de recrutement ? 

La question est effectivement de savoir si les compétences nécessaires pour réussir les concours sont innées ou issues d’un contexte social favorable. Doit-on plus se reposer sur l’inné ou l’acquis ? Le problème, en caricaturant, serait le risque, à trop vouloir se baser sur l’inné pour plus de justice, de dénicher dès le CP les élèves aux aptitudes adéquates.

Après, la manière de contourner l’obstacle peut résider dans le mode de recrutement, qui a tendance à se moderniser. On voit qu’il existe pour l’ENA et d’autres écoles un concours dit de "troisième voie" ouvert aux professionnels. On peut également multiplier les « tours extérieurs » pour nommer certains hauts fonctionnaires, issus du secteur privé. Aves les risques bien sûr de nomination pour service politique rendu…

Alors qu'une bonne partie de l'opinion ne voit aucun inconvénient à ce que l'on aborde l'éventualité des rentes du public, aucun rapport ne s'y risque frontalement. Pourquoi ?

Ce sont bien sûr des sujets qui fâchent et les syndicats veillent au grain. Il y a une tendance à la peur du changement et à la crainte de représailles sous forme de grève à tous ceux qui veulent changer quelque chose. Il y a sûrement des réflexions sur la concurrence dans la fonction publique à mener, notamment en favorisant enfin la mobilité interne.

Mais n’oublions pas qu’il existe aussi des rentes dans le privé liées à l’ancienneté. Passé un certain âge, on est souvent protégé de fait du licenciement à cause du coût de la démarche, là où un jeune salarié apportera une productivité supérieure avec des compétences plus modernes. 

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