"Cendrillon" de Joël Pommerat : l’orpheline et la godasse du prince, Cendrillon revisitée<!-- --> | Atlantico.fr
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"Cendrillon" de Joël Pommerat est à retrouver au Théâtre de la Porte Saint Martin à Paris.
"Cendrillon" de Joël Pommerat est à retrouver au Théâtre de la Porte Saint Martin à Paris.
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"Cendrillon" de Joël Pommerat est à retrouver au Théâtre de la Porte Saint Martin à Paris.

Anne-Claude  Ambroise-Rendu pour Culture-Tops

Anne-Claude Ambroise-Rendu pour Culture-Tops

Anne-Claude Ambroise-Rendu est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

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Cendrillon

De Joël Pommerat

Avec Alfredo Cañavate, Noémie Carcaud, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Damien Ricau, Léa Millet, Marcella Carrara, Julien Desmet.

INFOS & RÉSERVATION

Théâtre de la Porte Saint-Martin

16, boulevard Saint-Martin

75010 PARIS

01 42 08 00 32

https://www.portestmartin.com/

Jusqu’au 19 juillet, du Mardi au vendredi à 20h. Samedi 20h30. Dimanche 16h.

Notre recommandation : EXCELLENT

THÈME

Tout commence par un malentendu. Sandra, une « très jeune fille », assiste sa mère mourante dans ses derniers moments et recueille ses ultimes mais à peine audibles paroles. • Elle suit son père, qui décide de « refaire sa vie » et va habiter avec lui dans la vaste maison d’une femme autoritaire et de ses deux filles. Logée dans un sous-sol sans fenêtre, elle se voit très vite confier la totalité des tâches ménagères, ce qu’elle accepte, convaincue que cela lui « fera les pieds ».

Obsédée par le désir de répondre à ce qu’elle croit être les volontés de sa mère, elle s’efforce de penser à elle en permanence pour lui éviter de « mourir pour de bon ». Elle vit les yeux rivés sur sa montre afin de « contrôler » le temps, tandis que ses sœurs et sa belle-mère lui font subir mille petites avanies.

L’étrange famille reçoit bientôt une invitation à se rendre à la fête donnée par le roi et se prépare en conséquence. Sandra, renommée Cendrier, refuse d’y aller quand sa marraine, une fée blasée et lasse de l’éternité à laquelle elle est vouée, bouscule cette détermination.

POINTS FORTS

La réécriture forte, drôle et subtile par Joel Pommerat de ce conte à la fois cruel et réconfortant.

La lumière d’Eric Soyer dessine les scènes en relief et en clair-obscur ; le décor – un cube géant- est à la fois austère et somptueux : la maison aux murs de verre cernée par les arbres dont le vent agite le feuillage est une merveille.

La voix off, juvénile et douce, a juste la pointe d’accent qu’il faut pour donner à ce conte un goût d’ailleurs.

L’interprétation de tous les comédiens est exceptionnelle, notamment dans la manière dont ils mettent en jeu leurs corps et leurs voix : frêle et dense, Léa Millet est une Cendrillon à peine sortie de l’enfance, ébouriffée, androgyne et sombre. Elle n’aime pas la vie tant que ça et ne parle pas avec les animaux. Caroline Donnelly chantant Father and son de Cat Stevens est enthousiasmante, Catherine Mestoussis, avec sa démarche de taureau qui charge, tout simplement stupéfiante.

QUELQUES RÉSERVES

On peut regretter le parti pris par l’auteur de ridiculiser les rêves de cette femme vieillissante, qui s’imagine nouer une relation amoureuse avec un prince si jeune. Certes, il est bien question ici de montrer le désir d’ascension sociale d’une bourgeoise imbue d’elle-même, mais fallait-il jouer ainsi sur la différence de génération ?

Une femme mûre qui rêve, cela demeurerait grotesque et presque obscène, surtout lorsque la sexualité est convoquée : ce conformisme-là surprend chez un auteur aussi singulier et original.

ENCORE UN MOT...

« Ta mère est morte, voilà » : c’est sans précaution, sans médiation, que Sandra révèle au prince ce qu’il sait au fond depuis longtemps et refuse d’affronter, déjouant ainsi, et radicalement, les euphémismes du conte. Car il ne suffisait pas de moderniser le langage, de contemporanéiser les costumes d’une époque fantasmée mais ancienne, de renoncer à la citrouille et au carrosse pour rendre à ce conte sa méchanceté et sa profondeur, pour nous rappeler que Cendrillon, est une fille de cendres.

Pour métamorphoser aussi le conte en “littéralisant“ le malentendu, pour nous parler du poids des mots, de la lâcheté – celle du père bien vivant– de l’envie, de la cruauté, de la solitude, du deuil et de la mort. Pommerat rend Cendrillon à une familiarité tissée de désirs inavouables, de culpabilité et de trivialité, de poésie aussi et nous délivre des couleurs pastels et des souris de Disney, sans renoncer à la gravité.

Spectacle pour enfant ? En tout cas c’est bien une histoire qui nous est contée ici, une histoire qui montre qu’il n’est pas facile d’être orphelin, ce que nous finissons tous par être un jour, c’est-à-dire de sortir de l’enfance. Une histoire qui fait rire, émeut et transporte.

UNE PHRASE

« Dans l’histoire que je vais raconter, les mots ont failli avoir des conséquences catastrophiques sur la vie d’une très jeune fille. Les mots sont très utiles, mais ils peuvent être aussi très dangereux. Surtout si on les comprend de travers. Certains mots ont plusieurs sens. D’autres mots se ressemblent tellement qu’on peut les confondre. C’est pas si simple de parler et pas si simple d’écouter. »

L'AUTEUR

Auteur ou écrivain de spectacle, ainsi qu’il le dit lui-même, Joël Pommerat noue ensemble l’écriture et la mise en scène. Après Le Petit chaperon rouge qui, en 2004, qui lui avait apporté la notoriété, et Pinocchio en 2008, il créé Cendrillon en 2011 au Théâtre de la Communauté française.

Reprise en 2017 et 2022, la pièce connait un succès constant, comme la totalité de ses spectacles. Car si Pommerat est un conteur d’histoires, il a montré avec Ça ira (1) Fin de Louis qu’il était aussi un magistral conteur d’Histoire.

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