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CEDH : Emmanuel Macron osera-t-il mettre les pieds dans le plat de cette Cour de justice qui soumet la France à ses dérives idéologiques grandissantes ?
©Reuters

Sujet sensible

Emmanuel Macron est attendu à la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) où il vient défendre sa loi antiterroriste.

Pierre Lellouche

Pierre Lellouche

Ancien député, Pierre Lellouche a été secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes puis secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur au sein du gouvernement Fillon.

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Le Président Emmanuel Macron devrait donner un discours à la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH), première historique pour un Président français. Il s'agira pour lui, une nouvelle fois, de défendre sa vision pro-européenne. Mais la CEDH est régulièrement critiquée pour ses prises de position idéologiques et son ingérence dans les jurisprudences nationales. La CEDH serait-elle une "métonymie" du problème européen ?

Guillaume Jeanson Comme vous le suggérez dans votre question, il convient de distinguer la CEDH des institutions de l’Union Européenne. La CEDH est une juridiction internationale rattachée au Conseil de l’Europe et ne dispose d’aucun lien avec les institutions communautaires. Il ne faut donc ni confondre le juge de Strasbourg avec celui du Luxembourg, ni le droit de la Convention avec celui de l’Union Européenne. Une fois cette distinction faite, on ne peut ignorer que certaines des critiques soulevées à l’encontre des ingérences dans le droit national français des instances communautaires et de la jurisprudence de la CEDH sont comparables. Elles traduisent généralement une inquiétude forte d’une partie de l’opinion et de ses représentants politiques devant ce qui lui apparaît comme un recul de la souveraineté nationale et une perte de contrôle démocratique sur des sujets qui peuvent cependant revêtir une importance considérable.
Les critiques à l’encontre de la CEDH ne se limitent pas à la France. Bien au contraire. Le Royaume-Uni a ainsi refusé de modifier sa législation sur l’interdiction générale du droit de vote des détenus condamnés, jugée contraire à la CEDH par quatre arrêts de la CEDH entre 2005 et 2015. Le Brexit a par ailleurs quelque peu éclipsé un autre engagement qu’avait pris, en son temps, David Cameron : celui de modifier les rapports de la Grande Bretagne avec la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Le gouvernement britannique voyait alors dans les jugements de la CEDH une forme de « gouvernement des juges », les juges de Strasbourg inventant les règles de droit au lieu de se contenter, selon l’office qui devrait être le leur, de faire respecter les règles inscrites dans la Convention et auxquelles les gouvernements nationaux avaient consenti en ratifiant cette dernière. Le programme présenté par le parti conservateur avant ses élections prévoyait ainsi de supprimer le Human Rights Act de 1998 et de le remplacer par un Bill of rights britannique, afin de « faire à nouveau de la Cour Suprême britannique l’ultime arbitre en matière de droits de l’Homme au Royaume-Uni ». Plus récemment, c’est Theresa May qui a fait part de son souhait d’exempter les militaires britanniques du droit humanitaire européen pour leur éviter des poursuites abusives à la suite d’opérations extérieures.
La France ne semble pas s’inscrire dans une démarche comparable. Emmanuel Macron avait déjà tenu à souligner son fort attachement à la juridiction de Strasbourg en recevant Guido Raimondi, son Président, peu après son élection, le 13 juin dernier. Son discours devant la CEDH apparaît donc probablement comme une nouvelle manifestation très forte de son attachement à cette institution. 
Guylain Chevrier : Bien que n’étant pas un organe de l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’Homme est à l’image de sa construction. Dans le domaine précis qui est le sien, elle surplombe les Etats faisant jouer à la Convention européenne des droits de l’homme un rôle qui s’impose aux institutions nationales et même, indirectement à travers certains arrêts, à leurs constitutions. Elle peut contester à elle seule une loi adoptée par le législateur en passant allègrement au-dessus de la représentation nationale et du Conseil constitutionnel lui-même, censé veiller au respect de la constitution. L’Union européenne a pour principe la supranationalité et l’effacement des Etats à la faveur d’une gouvernance de plus en plus centralisée, qui enjambe allègrement la souveraineté des peuples. 
C‘est dans ce contexte, que rendez-vous a été pris par le Président de la République, européen convaincu, avec la CEDH ce 31 octobre. Emmanuel Macron prononcera un discours devant la Cour, ce qu’aucun président français n’a jamais fait. Dans un contexte de défiance (de Moscou toujours dans son collimateur et d’Ankara, qui entend réintroduire la peine de mort, à Londres, qui s’attaque régulièrement à la CEDH sous le signe du Brexit), le discours du président français revêt une haute importance. Un discours pour rappeler « l'attachement de la France aux droits fondamentaux », selon l'Elysée. Il espère en obtenir de ne pas rencontrer d’obstacle concernant la loi antiterroriste qui remplace l’Etat d’urgence, en intégrant certains dispositifs de ce dernier. Il a été l’objet de demande de dérogations incessantes à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’Homme, s’il était nécessaire de rappeler l’état de soumission dans lequel se trouvent les pays européens à cette instance. Mais le risque est bien là que cette loi ne soit pas du goût de la CEDH, dont la France dépend là du point de vue de sa sécurité, au regard d’attentats qui ne devraient pas laisser à un organe tiers hors de nos frontières, la liberté de fixer la limite à ce qui peut nous protéger contre le terrorisme. C’est ubuesque !
Il s’agit d’y rappeler selon l’Elysée l’attachement à « l’Etat de droit ». Précisément, en reprenant la définition de « l’Etat de droit », on est renvoyé au véritable problème que pose cette situation de soumission de la France à la CEDH au regard de décisions aussi importantes que la sécurité. L’Etat de droit se définit ainsi : il produit la loi, il agit par le moyen de la loi, mais condition fondamentale, il est lui-même soumis à la loi dont il a la garde. Et qui donc est le gardien de ce gardien dans notre Constitution ? Le peuple comme source du pouvoir politique, qui renvoie à la souveraineté de la nation. Une souveraineté  justement intimée de s’effacer devant les prérogatives exorbitantes de cette institution supranationale. Si la souveraineté de la France ne représente pas grand-chose ici, c’est en reflet du fait qu’aucun peuple ne participe de désigner sous une forme ou sous une autre cette instance qui n’est contrôlée elle, par personne. Les peuples ont depuis longtemps été évacués de ce qui est censé avoir pour eux valeur de liberté : s’ériger en corps politique souverain pour décider de leur destin, à travers à tout le moins, le choix de leurs représentants, dans le cadre d’institutions démocratiques. C’est bien là que le bât blesse, dans ce dessaisissement qui approfondit le fossé qui se creuse entre les peuples et l’Europe, des peuples auxquels cela donne de la fièvre, dont la montée de l’extrême droite est une sorte de thermomètre assez parlant et inquiétant.    

Si on devait désigner l'orientation idéologique de la CEDH aujourd'hui, quelle serait-elle ? 

Guillaume Jeanson Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour, déplorait dans un entretien accordé au journal le Monde en novembre 2011 que : « l’opinion se dit parfois que la Cour a plus de tendresse pour les canailles que pour les honnêtes gens, alors qu’il ne s’agit que de protéger les libertés fondamentales. » 
De fait, en matière pénale, certains criminologues tels que Xavier Bébin, reprochent aux membres de cette institution d’être « généralement vigilants à l’égard des risques d’abus de l’état, mais peu sensibles à la sécurité des citoyens ». Ce souci quant aux risques d’abus de l’état se traduit par l’interdiction ou la limitation progressive de certains types de sanctions telles que la peine de mort et les peines de prison (véritablement) perpétuelles. Il se traduit aussi par la suspension de certaines mesures telles que des mesures d’expulsion. On songe ici par exemple à celle qui visait Djamel Beghal, accusé de faits liés au terrorisme, que Chérif Kouachi présentait comme une « référence ». Un exemple dénoncé par le Général Bertrand Soubelet dans son livre « tout ce qu’il ne faut pas dire » comme « révélateur de décisions juridiques qui mettent en danger notre société ».
Le contentieux CEDH cristallisé autours de l’article 3 de la convention, relatif à l’interdiction de la torture et des traitements inhumains, s’est quant à lui traduit par l’émergence d’un droit pénitentiaire européen. Ce droit s’est par exemple intéressé aux questions de l’hygiène et de l’isolement cellulaires, des mauvais traitements infligés par des gardiens et des codétenus ou encore de la question des transfèrements répétés d’établissements pénitentiaires. La France a ainsi été plusieurs fois condamnée par la Cour de Strasbourg pour usage abusif des fouilles corporelles, et notamment des fouilles intégrales, avec mise à nu du détenu. Le législateur français a donc dû encadrer la fouille des détenus par l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 qui dispose que : « Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. » Ce nouveau régime a suscité de la part des acteurs de terrains les plus vives réserves tant la démonstration en justice de preuves justifiant un tel recours peut s’avérer en pratique délicate. L’équilibre à trouver demeure en réalité difficile entre la nécessaire limite à apporter à des comportements pouvant évidemment se révéler attentatoire à la dignité humaine et les besoins de protection croissant du personnel pénitentiaire et des détenus eux-mêmes devant une situation carcérale qui ne fait que se détériorer. Pour mémoire, cet été 75 armes ont été saisies et on a relevé une tentative d’assassinat. Dimanche dernier, selon le syndicat FO pénitentiaire, une arme artisanale a été découverte en début d’après-midi, au centre de détention de Val-de-Reuil. Une famille tentait de faire passer un coupe-papier de 21 cm, à un détenu. La veille, un détenu du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier aurait tenté d’assassiner un surveillant. Cette actualité brûlante interroge. 
Toujours en matière pénale, une autre orientation de la jurisprudence de la Cour est palpable : celle qui tend à opérer une mutation vers un système dit accusatoire. Interrogé en octobre 2014 par l’IPJ, Patrice Ribeiro, commandant de police et Secrétaire général de Synergies Officiers dénonçait déjà cette tendance en ces termes : « la plupart des dernières réformes ont été induites par des jurisprudences ou des directives européennes, sans aucune considération pour le système inquisitoire français, de droit latin et reposant sur l’écrit. » Les conséquences qu’il en tirait alors étaient pour lui préoccupantes : « Il en ressort un code de procédure pénale dont la phase policière est devenue incohérente, avec la lourdeur policière de l’inquisitoire et les avantages de l’accusatoire pour les délinquants et leurs défenseurs. C’est un prétendu système contradictoire dont s’enorgueillissent des élites déconnectées et qui pratique l’entre-soi, de la place Vendôme en passant par le Parlement et jusqu’à Bruxelles. Ce sont ces réformes qui ont induit une telle lourdeur procédurale, et qui paralysent les services d’enquête. »
Guylain Chevrier : Elle suit une interprétation des droits de l’homme tout d’abord assez sélective. On a le sentiment que ce sont généralement les pays les plus démocratiques comme la France, qui se trouvent condamnés, au nom de grands principes qui ne sont que peu respectés dans d’autres. Mais surtout, on oublie une condition essentielle des droits de l’homme, qui a sa source dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont tous les autres textes dans ce domaine ont découlé, le fait qu’elle ait pour sens de donner des droits et des libertés qui sont autant de devoirs pour tous, ce qui est largement passé à la trappe.  
Les droits de l’homme ont pris avec la CEDH une connotation humanitaire qui n’a rien à voir avec ce qu’ils sont vraiment, avant tout une responsabilité politique.
Les Etats ont par exemple, envers leurs membres, la responsabilité  de mettre en matière d’immigration le curseur à une certaine limite. Ils ne peuvent accueillir sans compter, car cela engage non seulement les moyens de l’accueil de populations, de leur intégration économique et sociale, mais aussi comme membre d’une société, comme citoyen, ce qui ne se fabrique pas en un jour ou avec une fiche de paie. On ne peut à ce compte accepter d’accueillir tout le monde, sous le signe du terme générique de réfugiés, derrière quoi il existe une minorité de demandeurs réels du droit d’asile et une large majeure partie de migrants économiques. Comme le fait que 72% d’entre eux soient des hommes, selon l’ONU (2015), en témoigne.  
La CEDH ne cesse de condamner divers pays européens dont la France, sur ce sujet, dont au nom du principe « de non refoulement » des migrants que cette instance a validé. Ce qui signifie tout simplement, qu’après que l’Europe ait retiré aux 27 pays de l’Union européenne leurs frontières, l’UE n’a elle-même plus de frontières, pas plus si on suit cette logique d’ailleurs, que l’ensemble des pays européens, les 47 qui siègent  au Conseil de l’Europe. Ce qui fait écho à la déclaration d’un Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, selon lequel les frontières nationales constituent "la pire invention de tous les temps". Ce qu’il a exprimé en août 2016 dans un contexte migratoire particulièrement tendu à travers le continent européen. "Nous devons combattre le nationalisme, nous avons le devoir de ne pas suivre les populistes, et aussi de leur barrer la route", a-t-il ajouté. Mais c’est en pratiquant ainsi, en invitant par cette lecture des droits de l’homme de la CEDH à la levée des frontières, que le populisme trouve précisément son meilleur terreau.
Cela fait tout simplement appel à une idéologie mondialiste qui favorise la circulation des individus, parallèlement à celle des capitaux, des individus potentiellement employables dans un contexte de concurrence internationale, où l’économie devient tout et les Etats plus rien.

Pierre Lellouche : C'est une jurisprudence qui m'étonne et me surprend parce qu'à force de pousser une bien-pensance nous arrivons à des choses complètement absurdes. Aujourd'hui nous nous occupons davantage des terroristes que des victimes que ces derniers ont pu faire.

On renverse l'équation des victimes. Cela n'a pas toujours été le cas. Il y a eu cette dérive ces dernières années qui est parallèle avec la mise en œuvre du protocole n°11, c'est-à-dire la saisine directe. La Cour s'est attribuée des droits qui n'ont rien à voir avec ce pour quoi l'Europe est faite. Et même, elle est entrain de fabriquer un sentiment anti-européen très fort. Peu à peu, les Français prennent conscience qu'ils sont complément corsetés par les règles de Schengen qui ne sont pas appliquées, par l'absence de contrôle, de coordination, et par une juridiction qui prend des décisions complètement baroques et dangereuses pour la sécurité nationale. Le problème du positionnement de la France par rapport à la CEDH se pose.

Quels sont les domaines dans lesquels l'action de la CEDH est la plus contestable aujourd'hui ? A quel domaine d'action devrait se circonscrire cette cour ?

Guillaume Jeanson Le domaine d’action doit être celui de la convention. Strictement entendu. Le problème tient donc davantage à la façon dont la Cour conçoit son office. Comme l’écrit Yannick Lécuyer, « beaucoup de droits, totalement absents du texte de la Convention, ne doivent leur existence qu’à la conjugaison de l’interprétation dynamique, évolutive et finaliste pratiquée par la Cour et de l’autonomie des notions conventionnelles ». Comme l’indique la Cour elle-même dans son arrêt du 25 avril 1978 Tyrer c/ Royaume-Uni, la convention est un « instrument vivant » à interpréter « à la lumière des conditions de vie actuelles ». La Cour n’est ainsi pas tenue par sa propre jurisprudence et certains de ses raisonnements « acrobatiques » peuvent poser question. Pourquoi la Cour a-t-elle ainsi pu juger pendant près de cinquante-huit ans que l’absence d’avocat en garde à vue était conforme à la Convention avant de soudainement juger le contraire ? C’est peut-être simplement parce que derrière le pouvoir judiciaire qui lui est conféré, se niche en réalité un véritable pouvoir politique.
Bien sûr, comme l’écrit Xavier Bébin, la Cour ne prend pas toujours de mauvaises décisions, loin de là. Mais « bonnes ou mauvaises, ces décisions relèvent fondamentalement des choix des citoyens. On ne peut pas, lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre entre liberté et sécurité, laisser une petite élite, si éclairée soit-elle, prendre des décisions majeures. Seuls les citoyens sont à même de s’exprimer sur le risque qu’ils souhaitent le moins courir : celui d’être victime d’un abus de pouvoir de l’Etat, ou celui d’être victime d’une infraction grave. »  Dans son livre « Quand la Justice crée l’insécurité », le criminologue poursuit son analyse par une mise en garde : « en exaspérant les citoyens, en leur retirant le droit de choisir leur propre politique pénale, ces dispositifs pourraient même faciliter l’arrivée au pouvoir d’un populiste qui promettra d’en finir avec ces constructions antidémocratiques et déconnectées des attentes des citoyens. »

Une autre inquiétude tient à la légitimité, souvent critiquée, des juges de la CEDH. La légitimité dont dispose ces juges est bien sûr celle que leur confère leur nomination. La Cour est composée de 47 juges, un par Etat Membre du Conseil de l’Europe. Chaque Etat propose trois juges et c’est l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui élit le titulaire parmi les trois noms proposés. Mais certaines personnalités du sérail ne cachent pas elles-mêmes leurs interrogations quant à la compétence de certains des juges. En octobre 2016, l’ancien président de la CEDH Jean-Paul Costa s’ouvrait à ce sujet dans le journal La Croix : « la Cour a encore d’excellents magistrats mais le niveau se détériore sérieusement depuis une quinzaine d’années ». Plus inquiétant encore, Jean-Claude Mignon, ancien président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, révélait quant à lui que « la procédure de sélection des juges est une véritable loterie. Nous n’avons aucune garantie sur la qualité des candidats proposés. » La prudence voudrait donc peut-être que le vocable « droit de l’homme » ne suffise plus nécessairement à présumer irréfragablement du « progrès » induit, pour le droit des états, de l’apport de la jurisprudence évolutive de la CEDH.

Guylain Chevrier : Pour ne citer que des domaines où cela est éclatant, il y a la sécurité des Etats, comme pour la loi antiterroriste, l’immigration bien sûr comme nous venons de le voir, mais aussi la question des principes et valeurs sur lesquels les Etats se fondent, comme pour la France avec sa laïcité, qui est toujours l’enjeu des décisions de la CEDH systématiquement saisie par les communautaristes. Ils utilisent la CEDH comme le moyen de mener leur guerre avec notre République, qu’ils entendent faire plier à leur loi religieuse en passant par-dessus l’Etat et aussi, les citoyens. Ils sont ainsi arrivés à faire que la CEDH ne considère pas le port du voile comme une forme de prosélyte. Ce qui est bien dommage, car cela aurait permis d’en limiter la manifestation et de clarifier les choses au lieu de laisser libre cours à sa multiplication, nourrissant un communautarisme qui peut ainsi bomber le torse.
Le fait de dessaisir les peuples de leur souveraineté conduit ainsi à favoriser l’initiative de certains groupes de pression, qui peuvent être aussi des humanitaires béats et irresponsables, des lobbies écologistes qui frisent l’intégrisme, jouant leurs bons sentiments contre les Etats, en toute impunité. La CEDH devrait bien plutôt agir pour fédérer les Etats sur ce sujet des droits de l’homme, en les amenant à mettre en commun des projets, des avancées et non à les juger. Des droits de l’homme qui sont loin de faire l’unanimité et d’arriver partout ne serait-ce qu’au niveau de la place qu’ils tiennent en France. Seuls les Etats devraient pouvoir faire appel à elle dans des domaines limités et non les particuliers, qui sont en général l’émanation de groupes de pression. Il serait temps d’interroger ce type d’organe sur son statut, qui échappe à toutes les garanties que l’on demande aux Etats, qui eux, rendent des comptes.
Le sentiment pourrait gagner l’observateur que tout cela finalement ressemble à une sorte de mise en scène, avec distribution des rôles : D’un côté, une mondialisation mise en ordre dans l’espace européen dont le moteur est l’Union européenne, et une CEDH servant la bonne conscience de ce système, en défendant une conception humanitaire des droits de l’homme qui retire aux Etats la responsabilité de leurs devoirs envers les citoyens qu’ils sont censés représenter et protéger. Lorsqu’on pense les individus comme n’ayant plus d’ancrage national, ils n’ont plus d’histoire, plus d’identité, ils ne sont plus que des acteurs économiques sur les marchés où l’on en a l’usage, voire des consommateurs, mais plus des citoyens. On voit bien où conduit cette conception des droits de l’homme, avec la fin des Etats et des peuples, l’initiative donné à toutes sortes de groupes de pression qui sont autant d’intérêts particuliers, rien de moins qu’au risque de la fin de la démocratie et au final, à celui de l’extinction même des droits de l’homme.
Pierre Lellouche : Ces dernières années, la Cour est intervenue dans un tas de domaines en prenant toujours des positions très radicales. Son influence n'a cessé de grandir avec le protocole N°11 qui permet un dispositif de saisine directe de toute personne, quelque soit sa nationalité, présente sur un territoire d'un Etat membre. La jurisprudence de la Cour s'impose à tous avec une application directe, à telle point que les juridictions nationales se réfèrent aux jurisprudences de la Cour avant même que la décision soit discutée au fond dans le cadre national. La Cour se révèle être un vrai gouvernement des juges et un tribunal transnational qui décide de faire la loi dans un tas de domaines. Il s'agit d'un organisme juridictionnel supranational aujourd'hui. Au départ il était limité aux violations des droits de l'homme, aujourd'hui par extension nous y trouvons toutes sortes d'interventions sur une longue liste de sujets :
- le droit de la famille avec des arrêts qui concernent l'obligation de reconnaitre la GPA, alors même qu'elle est interdite en France. Aujourd'hui cette jurisprudence s'applique, sans que le gouvernement français n'ait fait appel dans un délai de 3 mois.
- l'introduction des syndicats au sein de l'armée par décision de la Cour Européenne des Droits l'Homme.
-  la fraude fiscale, avec un arrêt problématique qui fait que les fraudeurs à grande échelle sont protégés par la jurisprudence de la Cour et qu'il suffit d'un arrêt pour que les grands fraudeurs puissent échapper aux poursuites.
- La plus problématique d'entre tous est la jurisprudence sur le terrorisme. Les arrêts qui la composent sont très récents. Il existe différentes affaires toutes aussi incroyables les unes que les autres. Notamment l'affaire du Ponant en 2008. Des pirates somaliens ont été arrêtés pour avoir arraisonné un navire français. La Cour a considéré que ces pirates, privés de liberté depuis plusieurs jours, ont été illégalement placés en garde à vue, et présentés trop tardivement à un juge. La France a ainsi été condamnée à verser des dommages et intérêts à la hauteur de 52 000 euros à neuf pirates somaliens en réparation à leur dommage "moral".
En décembre 2009 il y a eu également l'affaire Kamel Daoudi. Il s'agit d'un franco-algérien qui a été condamné pour avoir préparé un attentat contre l'ambassade des Etats-Unis.  Déchu de la nationalité française en 2005, il a été condamné à plusieurs années de prison par les tribunaux français. Il a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme. Cette dernière a jugé que "vu le degré de son implication dans les réseaux de la mouvance et l’islamisme radical, il était raisonnable de penser que du fait de l’intérêt qu’il pouvait représenter pour les services de sécurité algériens, M. Daoudi pouvait faire à son arrivée en Algérie l’objet de traitements inhumains et dégradants". Autrement dit, plus le terroriste est dangereux, moins il peut être expulsé, car les Algériens pourraient "lui faire bobo".
Le cas le plus spectaculaire est celui de Djamel Beghal en décembre 2011.  Il s'agit d'un homme algérien, qui a acquis sa nationalité par le mariage. Il a été condamné en France pour terrorisme et déchu de la nationalité française en 2006. La Cour a bloqué l'expulsion et il a été logé, aux frais du contribuable, dans un hôtel de Murat, dans le Cantal. Hôtel dans lequel il a reçu à plusieurs reprises les frères Kouachi et Coulibaly. Photos à l'appui.
En 2012, le Cour a en outre rendu une décision "Othman (Abu Qatada)" contre le Royaume-Uni. Il s'agissait d'un Jordanien, d'origine palestinienne, reconnu coupable de plusieurs attentats. Les Anglais l'ont condamné et voulaient l'expulser en Jordanie, après avoir convenu d'un protocole avec les jordaniens qui visait à lui interdire la peine de mort. Lorsqu'ils ont voulu l'expulser, malgré cela, la Cour Européenne a bloqué l'expulsion.
Une des décisions les plus récentes remonte au 7 octobre 2014 et concerne l'affaire de Trabelsi, contre la Belgique. Il s'agissait d'un terroriste de nationalité tunisienne arrêté à Bruxelles en septembre 2001 en possession de faux passeports et de plans très détaillés de l'ambassade des Etats-Unis à Paris. Il a été condamné à 10 ans d'emprisonnement en Belgique. Il prévoyait également d'attaquer une base militaire américaine. Les américains ont donc demandé son extradition. Le gouvernement belge a laissé les américains l'extrader, et pour cette raison - parce que la Cour a jugé l'extradition illégale - la Belgique a été condamnée à 90 000 euros d'amende dont 60 000 euros pour dommage moral subi du fait de l'extradition.


Ce système de droit supranational interdit l'extradition de terroristes condamnés binationaux, déchus de leur nationalité, et nous sommes obligés de les garder sur notre territoire à cause de la jurisprudence de la Cour. Ce n'est plus possible d'avoir une jurisprudence qui dérive à ce point ! Avec la saisine directe, ce sont des dizaines de milliers de saisines par an. Alors qu'elle traitait 5 000 requêtes en 1990, aujourd'hui elle en traite 60 000 par an. La Cour est saisie pour tout et n'importe quoi. Sur la lutte contre le terrorisme qui relève vraiment de la sécurité nationale,  cette jurisprudence est complètent baroque.

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