Cécile Duflot fragilise-t-elle sa propre décision en bloquant les loyers à la relocation par un décret ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Cécile Duflot, la ministre du Logement, veut bloquer par décret les loyers à la relocation dès la rentrée, pour lutter contre leur "emballement".
Cécile Duflot, la ministre du Logement, veut bloquer par décret les loyers à la relocation dès la rentrée, pour lutter contre leur "emballement".
©Reuters

Sur la forme

Cécile Duflot, la ministre du Logement, veut bloquer par décret les loyers à la relocation dès la rentrée, pour lutter contre leur "emballement". Mais opter pour le décret plutôt que pour une loi pourrait bien finalement s'avérer contre-productif.

Vincent  Canu

Vincent Canu

Vincent Canu est avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit immobilier, membre du comité de rédaction de la Revue des Loyers, de la revue Administrer, du dictionnaire permanent de gestion immobilière, et du guide du logement.

Il est également responsable de la commission des baux d’habitation du barreau de Paris.

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Le journal Libération laissait entendre qu'il n'était pas certain que Cécile Duflot (ministre de l'Égalité des Territoires et du Logement) puisse assurer la mise en application du décret sur le blocage des loyers. Pour apporter réponse à cette question, il convient donc de s'en référer aux législations passées et en vigueur.

Le blocage des loyers est en effet une mesure qui a déjà été pratiquée à de nombreuses reprises dans la passé. Une loi du 3 janvier 1979, promulguée par le gouvernement de Raymond Barre avait ainsi prévu qu’au cours du premier semestre 1979, aucun local à usage d’habitation dont le dernier bail avait pris fin depuis moins d’un an ne pouvait être loué à un prix supérieur au prix résultant de l’ancien bail.

Puis, alors que la loi Quillot était en préparation, une loi du 30 décembre 1981 décidait qu’à compter du 7 octobre 1981 et jusqu’au 30 avril 1982, les loyers et indemnités d’occupation des locaux à usage d’habitation pouvaient être révisés, mais sans excéder 80% de la variation de l’indice du coût de la construction publié par l’Insee. Le communiqué publié à la suite du Conseil des ministres qui avait décidé de cette mesure, demandait instamment aux propriétaires d’appliquer immédiatement cette limitation afin d’écarter tout litige et d’éviter des régularisations ultérieures…

En cas de nouvelle location ou de reconduction du contrat, le nouveau loyer ne pouvait être fixé à un montant supérieur au dernier loyer du contrat précédemment en cours.

Puis c’est la loi du 30 juillet 1982, qui édictait les deux mesures suivantes :

  • Le montant des loyers dus pendant la période du 11 juin au 31 octobre 1982, ne pouvait être supérieur pour le même local ou immeuble au dernier loyer du contrat en cours à la date du 11 juin 1982 ;

  • Les majorations de loyer devant intervenir entre le 11 juin et le 31 octobre 1982 au titre de la révision du loyer ou lors de la conclusion ou du renouvellement du bail, ne pouvait prendre effet qu’à compter du 1er novembre 1982.

Ces mesures autoritaires étaient destinées à éviter les hausses de loyers.

Puis la loi Quillot du 22 juin 1982 édictait un article 56 prévoyant que si des circonstances  économiques graves l’exigeaient, le taux maximum d’évolution des loyers pouvait être fixé pour un ou plusieurs secteurs locatif par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale des rapports locatifs.

C’est dans le cadre de cette mesure qu’un décret du 29 décembre 1982 prévoyait des majorations maximums pour tous les logements répartis en quatre secteurs.

Par exemple, dans le secteur 4, concernant les bailleurs privés, en cas de changement de locataire, une majoration du loyer pouvait être pratiquée à condition qu’elle ne dépasse pas 6% du dernier loyer du précédent contrat.

La loi du 6 juillet 1989 a instauré un mécanisme identique, puisque l’article 18 de cette loi, aujourd’hui en vigueur, prévoit que dans la zone géographique où le niveau et l’évolution des loyers comparés à ceux constatés sur l’ensemble du territoire révèlent une situation anormale du marché locatif, un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de concertation peut fixer le montant maximum d’évolution des loyers des logements vacants et des contrats renouvelés.

Ce décret précise sa durée de validité qui ne peut excéder un an, et peut prévoir des adaptations particulières, notamment en cas de travaux réalisés par les bailleurs ou de loyers manifestement sous évalués.

C’est dans le cadre de ce dispositif que tous les ans depuis plus de 20 ans, sont promulgués des décrets limitant la hausse de loyer à 50% de la différence entre le nouveau loyer et l’ancien, en cas de loyer manifestement sous évalué, le dernier en date de ces décrets étant celui du 26 août 2011.

On peut imaginer que le gouvernement prenne un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de concertation pour fixer le montant maximum d’évolution des loyers des logements vacants et des contrats renouvelés, mais il peut y avoir une difficulté juridique en ce que l’article 18 ne vise que le loyer des logements vacants définis à l’article 17 b, qui contenait des dispositions applicables jusqu’au 31 juillet 1997.

Depuis le 1er août 1997, la fixation des loyers d’origine est donc entièrement libre, de sorte que seule une loi pourrait revenir sur ce dispositif.

Quant à l’article 17 c, il s’agit des loyers manifestement sous évalués et non pas des loyers trop élevés par rapport à la situation du marché locatif. Il est donc inadapté à l’objectif aujourd’hui poursuivi.

Il est donc possible que le gouvernement renonce à utiliser ces dispositions pour prendre un décret qui risquerait d’être annulé, et préfère plutôt le vote d’une loi qui aurait l’avantage de pouvoir s’appliquer d’une manière rétroactive, ainsi que l’avait fait la loi du 30 décembre 1981.

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