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Ce qui se passerait vraiment si on augmentait le SMIC de 20% ( à commencer pour les moins favorisés sur le marché du travail)
©ERIC FEFERBERG / AFP

Mauvaise idée ?

Lors d’une interview donnée à France Inter, le député du Loir-et-Cher, Guillaume Peltier, réputé proche de Laurent Wauquiez, a déclaré : « J’entends tous les jours nos travailleurs souffrir. Ils travaillent pour une rémunération dérisoire. Vous croyez qu’on peut vivre en France, décemment avec 1 200 euros net par mois ? » avant de proposer « un électrochoc » de 10, 15 ou 20% d’augmentation du SMIC, tout en baissant les charges des entreprises d’une façon « drastique ».

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Quels seraient les effets d’une telle mesure dans le contexte économique que connaît la France aujourd’hui ? Quels sont les risques de voir les populations ciblées par une telle mesure en devenir les victimes ? 

Michel Ruimy : Si proposer une hausse, ne serait-ce que de 20%, est politiquement légitime, cette initiative ne serait pas sans danger. Elle serait même économiquement néfaste pour de nombreuses raisons.
Il faut garder en mémoire qu’en l’espace d’une trentaine d’années, le niveau du SMIC a augmenté une fois et demie plus vite que le salaire moyen, ce qui a eu pour conséquence que les salariés faiblement qualifiés ont été rattrapés peu à peu par le minimum légal. Ils ont vu ainsi disparaître leurs perspectives d’évolution salariale. Avec une telle mesure, c’est la rémunération de près de 40% de salariés français qui serait impactée !
La première raison est que cette initiative est mauvaise car elle est destructrice d’emplois. Les hausses du SMIC se répercutent d’autant plus fortement et d’autant plus haut dans l’échelle des salaires que les branches conventionnelles couvrent un grand nombre de postes rémunérés au voisinage du SMIC et que les minima salariaux des grilles conventionnelles de branche sont proches du SMIC. De plus, l’effet à court terme d’une augmentation est fort sur les salaires les plus proches du SMIC mais décroît rapidement au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie des salaires et s’atténue considérablement au-delà de 1,5 SMIC. On estime, aujourd’hui, qu’une augmentation de 1% du SMIC correspond à une destruction de près de 1,5% des emplois situés au salaire minimum, soit environ entre 15 000 et 20 000 postes perdus. Je vous laisse calculer ce que pourrait donner une hausse de 20% !
La deuxième raison est que pour lutter contre la pauvreté au travail, le SMIC n’est pas le meilleur instrument. En effet, si on parle de 1 200 euros net par mois, ce n’est vrai que si le travailleur est à temps plein. Or, le problème n’est pas le niveau du SMIC mais le fait qu’un trop grand nombre de « smicards » ne travaillent pas assez d’heures ou de jours dans l’année. Près d’un quart de cette population travaille à temps partiel voire en intérim car nombre de secteurs proposent, de plus en plus fréquemment, des contrats à temps partiel (22 heures, par exemple), en particulier dans les services et la grande distribution. Il faut donc trouver le moyen d’augmenter le nombre d’heures travaillées plus que le niveau du SMIC. 
Enfin, cette mesure coûterait doublement à l’État en tant qu’employeur et en tant que garant d’une protection sociale. En tant qu’employeur – important -, il rémunère une partie des agents de la fonction publique au salaire minimum : un peu moins de 1 million de personnes sont dans ce cas. De fait, une hausse du salaire minimum signifie qu’il devra débourser plus pour payer ces agents : 1% de hausse équivaudrait à 300 millions d’euros supplémentaires. Ensuite, la hausse du SMIC a un impact sur les baisses de charges. La France mène depuis des décennies une politique d’exonération de charges sur les bas salaires, destinée notamment à compenser le niveau élevé du SMIC français en Europe. L’État ne perçoit donc pas de cotisations sociales sur les salaires au niveau du SMIC et jusqu’à 1,6 fois ce dernier. Ceci représente un manque à gagner qu’il doit compenser à la Sécurité sociale. Une augmentation du SMIC signifie donc un accroissement de ce manque à gagner. On peut estimer qu’au total, une hausse de 1% équivaudrait à un alourdissement de la dépense publique de 800 millions d’euros.
Dans ce contexte, la revalorisation de la hauteur du SMIC conduirait à l’exclusion du marché du travail des jeunes peu diplômés, pour qui la marche à franchir pour entrer sur le marché du travail serait encore plus haute, ainsi que les salariés peu diplômés et plus âgés, qui risqueraient de perdre leur emploi et d’avoir très peu de chances d’en retrouver un autre. En proposant une telle mesure, on peut dire que c’est un choix pour une aggravation du taux de chômage.

Quelles en seraient les conséquences du point de vue des entreprises et de la compétitivité du pays ? 

Le SMIC est souvent considéré comme un instrument de réduction des inégalités salariales et de soutien aux bas revenus. En effet, rappelons rapidement les règles sur le SMIC : un employeur ne peut pas verser une rémunération inférieure au SMIC et le code du Travail prévoit que les salariés qui ont un salaire horaire contractuel devenu inférieur au SMIC devront recevoir de leur employeur un complément de rémunération calculé de façon à ce que leur rémunération soit au moins égale au SMIC. En outre, ce même code du Travail prévoit la possibilité de relever le SMIC de 2% lorsque l’indice national des prix à la consommation atteint lui-même une hausse d’au moins 2% par rapport à l’indice constaté lors de l’établissement du SMIC immédiatement antérieur. 
Ainsi, sur la base du SMIC horaire multiplié par la durée du temps de travail hebdomadaire, qui varie selon les pays, et le nombre de semaines qui sera divisé par 12, sept pays membres de l’Union européenne, dont la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Irlande et le Royaume Uni, ont un SMIC horaire mensuel supérieur à 1 000 euros. Une fois revalorisé, le SMIC français devrait être le salaire minimum le plus élevé d’Europe après celui du Luxembourg (environ 2 000 euros). 
Toutefois, bien qu’il occupe une place importante parmi les outils de politique publique, son efficacité est fréquemment débattue. Notamment, ce sont principalement les petites entreprises qui seraient affectées par cette mesure : près de 25% des salariés payés au SMIC travaillent dans les entreprises de moins de 10 salariés contre un peu moins de 5% dans les grandes. Au moment où les PME sont déjà très fragiles, une hausse du SMIC les fragiliserait encore plus. A cela s’ajoute le fait que la hausse du SMIC comprimerait la distribution des salaires et donc freinerait les envies des entreprises d’établir une politique salariale à destination des bas salaires. 
En fait, l’impact précis sur l’emploi d’une hausse du salaire minimum est impossible à déterminer car les entreprises peuvent diversement réagir en fonction de leur environnement. Elles peuvent répercuter la hausse de leurs coûts de production sur les prix de vente de leurs produits, la faisant payer par le consommateur, ce qui conduirait à une hausse de l’inflation si ce phénomène se généralisait. Elles peuvent aussi détériorer les conditions de travail des employés : baisser le chauffage dans l’atelier par exemple, recourir au temps partiel, diminuer l’horaire de travail des salariés au SMIC tout en exigeant d’eux la même productivité, réduire l’emploi des salariés au SMIC, etc.
Même si une hausse du SMIC peut créer des emplois en créant plus d’incitations à travailler, notamment s’il est bas, il ne faut pas oublier que la France possède un des SMIC les plus élevés des pays de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) tant en parité de pouvoir d’achat c’est-à-dire comparativement au niveau de vie ou encore en pourcentage du salaire moyen. Le coût minimum du travail en France est 80% plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE.

Dans un tel cas d’une hausse du SMIC de 20%, en quoi les entreprises pourraient-elles être incitées à délocaliser ou à robotiser des activités qui sont aujourd’hui source d'emploi ?

Une hausse du SMIC n’a pas le même impact pour les emplois des secteurs soumis à la concurrence internationale et pour ceux dits « protégés ». 
L’impact concret d’un niveau élevé est que le travail le moins qualifié est plus cher en France que dans les autres pays européens, ce qui augmente le risque de délocalisation de tout ou partie de ces emplois peu qualifiés en Europe de l’Est, entre autres, où le SMIC mensuel est de l’ordre de 300 euros. 
D’autre part, l’impact d’une revalorisation du SMIC porterait sur les travailleurs ayant, au plus, un diplôme d’études secondaires c’est-à-dire peu qualifiés. En effet, un salaire minimum plus élevé encourage l’employeur à automatiser des emplois, ce qui, au final, pourrait coûter des dizaines de milliers d’emplois à l’échelle nationale. 
Toutefois, les effets moyens masquent une hétérogénéité significative par industrie et par groupe démographique, y compris les effets négatifs importants pour les travailleurs âgés et peu qualifiés dans l’industrie manufacturière. En outre, les effets des hausses du salaire minimum risquent de devenir plus prononcés à mesure que les robots s’amélioreront car ils deviendront de plus en plus économiques de les utiliser. En d’autres termes, avec le développement des technologies d’automatisation, l’impact d’une hausse du salaire minimum est censé être beaucoup plus important. Quoi qu’il en soit, l’automatisation gagne de plus en plus de domaines, même si certains sont plus menacés que d’autres. Ce qui est donc certain, c’est qu’une bonne partie des emplois existants aujourd’hui seront automatisables dans les années à venir avec le progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle et la robotique. Donc, la question mérite d’être étudiée dès maintenant. 
Au final, les hausses du SMIC sont appréciées des hommes politiques parce qu’elles donnent l’impression de faire quelque chose, sans coût, contre la pauvreté. Les dispositifs ayant un véritable effet sur la pauvreté (hausse de la prime pour l’emploi, RSA…) ont un coût immédiatement visible pour les finances publiques contrairement aux hausses du salaire minimum dont les conséquences seront bien plus difficiles à identifier. Les coups de pouce au SMIC permettent de s’acheter une bonne conscience, mais ce n’est pas comme cela que l’on réduira réellement la pauvreté.

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