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Ce qui se cache derrière l’étrange élimination par la Chine de ses meilleurs athlètes olympiques
©STR / AFP

Mainmise de l'Etat

Un mouvement de grogne est né en Chine après l'élimination des meilleurs nageurs chinois - dont un médaillé olympique - des championnats nationaux après leur échec à des tests d'aptitude physique bizarres qui n'avaient rien à voir avec la natation.

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron est géographe et spécialiste de la Chine contemporaine. Il a enseigné la géographie et la géopolitique de la Chine à l’INALCO de 2014 à 2018. Il est enseignant-chercheur associé à l'Ecole navale.

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Atlantico : La semaine dernière, plusieurs athlètes de haut-niveau de l’équipe de natation chinoise ont raté de manière étrange leur tests pour concourir au championnat national. Des nageurs ont par exemple été disqualifiés après des tests d'endurance en course à pied. Pourquoi  l’administration générale des sports chinoises a-t-elle refusée la qualification au concours à ces sportifs ? 

Emmanuel Véron : Le sport est indéniablement un vecteur de puissance, en particulier dans des logiques de compétition internationale et dans un contexte où le système international est de plus en plus polarisé par, d’un côté, la puissance américaine et de l’autre la puissance chinoise. Il est clair que le sport d’une manière générale, comme outil d’éducation et de « bonne santé » physique des masses est un objet que le régime scrute avec attention, a fortiori concernant des compétitions internationales où l’image de la Chine est en jeu.

En ce sens, il est éloquent d’observer les Jeux olympiques de Pékin en 2008 et le haut degré d’exposition du « sport chinois », autant que du peuple chinois et du régime de Parti-Etat dans l’organisation et le déroulé d’une compétition mondiale. La bataille pour remporter le plus de médaille par tous les moyens (ou presque) possibles est cruciale. L’objectif est de détrôner la puissance américaine, celle qui accumule le plus de victoires dans la plupart des disciplines sportives.

Par là-même, le contrôle des autorités dans la fabrique des champions est fort. Depuis plusieurs années, elle est redevenue en quelque sorte quasi absolue : contrôle stricte des athlètes (Etat civil, biographie, pensée, activités etc.) Le cas des nageurs est exemplaire. Le contrôle du régime va très loin, jusque dans la sélection des athlètes en dehors de compétences propres aux sportifs de haut niveau. L’objectif réside dans la création d’un être atteignant la perfection des codes du Parti-Etat, pouvant vaincre les athlètes des pays étrangers, pour ensuite servir d’objet de propagande au PCC comme vecteur d’exemplarité.

Le gouvernement chinois exprime son emprise à de nombreuses reprises sur un grand nombre de secteurs sans que cela n'émeut la population, pourtant dans ce cas précis un grand nombre de voix s'est fait entendre sur les réseaux à propos de cette disqualification. Pourquoi le sport est-il le seul secteur où la population chinoise dénonce le gouvernement ? 

D’une manière générale, la population chinoise est muselée par un système répressif, accru depuis ces dernières années. Les mécontentements sont en réalité permanents, massifs et virtuels, c’est-à-dire strictement réduit à l’espace numérique des réseaux sociaux. Ces mécontentements ou revendications n’ont plus la possibilité de se structurer dans l’espace public comme ce fut le cas place Tian’anmen en 1989 où plus tard en 1999 avec les fidèles du mouvement Falungong. En effet, suite à ces divers et très importants mouvements de protestations, matérialisés dans l’espace public, à Pékin aux portes du pouvoir central, le régime a veillé à sécuriser l’espace et rendre impossible ces mouvements par regroupements. Plusieurs lois interdisent les regroupements, les dispositifs de sécurité intérieure (budget plus important que celui de la défense, plus 200 milliards de dollars par an) avec le développement des caméras de vidéo-surveillance, de reconnaissance faciale, de policiers en civil ou non, et de suivi systématique de la population par les réseaux sociaux et plus généralement sur Internet ont réduit l’espace de grogne sur les réseaux sociaux. Plus encore, cela permet, quel que soit la revendication (tous les motifs et types de mécontentements) de contenir le mouvement sur les réseaux sociaux, WeChat en premier lieu, de saisir l’ampleur et les principaux individus (perçus comme les plus subversifs), puis d’interpeller et de mettre au secret ces derniers, avant de fermer les réseaux de manière temporaire et de détourner l’attention de l’opinion par d’autres nouvelles… L’exemple des revendications, des lanceurs d’alerte et de l’émoi populaire après l’arrestation et la mort des médecins à Wuhan lors des premières semaines de l’épidémie de la Covid-19 en témoignent.

La bureaucratie chinoise devrait-elle faire attention à ses interventions sur le milieu sportif pour maintenir sa mainmise sur la population chinoise ? 

La bureaucratie chinoise, par définition agit dans le sens qui est le sien : le contrôle et la diffusion de message politique émanant des choix du PCC. A plusieurs égards, ces lourdeurs et actions brutales peuvent sembler contre-productives. Dans les faits, sur le sujet du sport, plusieurs autres facteurs doivent entrer en considération. Le premier est celui du poids du nombre. Il faut bien comprendre que pour mettre toutes les chances de son côté, le régime travaille à la formation de plusieurs milliers d’individus par discipline sportive. Seuls les meilleurs sont sélectionnés pour ensuite être utilisés pour une compétition internationale. Rares sont les sportifs que l’on retrouve d’un JO à un autre, une fois tous les quatre ans. D’autre part, le régime a mis en place un formidable système de captage des entraineurs (étrangers) pour former et apprendre dans des disciplines où traditionnellement la Chine n’a pas de culture sportive : escrime, voile, athlétisme (la grande majorité des disciplines), sports d’hiver (la quasi-totalité des disciplines), vélo, équitation, etc. Puis, il y a, pour certain sport collectif, l’achat de sportifs internationaux. C’est particulièrement vrai pour le football.

Le sport est un enjeu important pour le régime chinois, dans ses projections de puissance comme de contrôle de sa population. Cette dernière extrêmement muselée suit avec beaucoup de passion les sports, et de plus en plus des disciplines inattendues. Le régime le sait et manie l’ensemble en soufflant le chaud et le froid.

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