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Ce que l’Etat pourrait vraiment faire pour Whirlpool sans jouer au pompier social
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Angle mort

Emmanuel Macron s'est rendu à Amiens. Il a notamment rencontré les salariés de Whirlpool. Le président a rappelé que ce n’était pas "la faute de l’Etat" si le site n’avait pas trouvé de repreneur. Emmanuel Macron pourra-t-il mener à bien la promesse libérale de son quinquennat ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : Devant les salariés de Whirlpool, Emmanuel Macron a rappelé que ce n’était pas « la faute de l’Etat » si le site n’avait pas trouvé de repreneur. Si l’on peut accorder au candidat Emmanuel Macron de n’avoir jamais promis d’être industrialiste ou un « pompier » social, on peut s’interroger sur ses capacités à mener à bien la promesse libérale de son quinquennat. 

Un projet économique libéral se construit autour de trois éléments : la mise en place de normes juridiques et fiscales favorables aux entreprises, éventuellement des réformes structurelles pour améliorer l’efficacité de certains marchés, et la maîtrise du contexte macroéconomique.De ces trois éléments, n’est-ce pas le dernier qui manque à Emmanuel Macron ?

Michel Ruimy : Tout à fait. Les trois éléments que vous citez permettentnotamment d’identifier les problèmes structurels de l’action politique d’aujourd’hui.Pour compléter, il faudrait, en plus, tenir compte de deux niveaux de problèmes. D’un côté, il y a une grande diversité de questions : la lutte contre le chômage, la mise en place d’un système de santé, etc. D’un autre côté, ces questions apparaissent dans un cadre spécifique : la mondialisation de l’économie d’une part, mais aussi l’Union européenne d’autre part, qui est une autre contrainte pour les Etats-membres, dont la France.

Pour bien comprendre cela, il faut partir de l’Etat-nation. Le type idéal de l’Etat-nation est défini par l’adéquation de ces trois sphères. En termes idéaux, un Etat-nation est caractérisé par la concordance, dans les limites d’un même territoire, entre un Etat souverain, une économie et une culture nationales. 

Le problème de l’Etat-nation est que, de nos jours, une telle configuration est désormais impossible. En raison du processus de mondialisation, la Société se développe comme un réseau universel de coopérations et de compétitions tandis qu’Etat et communautés historiques demeurent particuliers. C’est dans un tel contexte qu’apparaissent des problèmes comme la crise des identités nationales, la question du contrôle politique des processus économiques, la question d’une démocratie transnationale, etc.

La mondialisation est donc un fait décisif car l’action politique se transforme et est obligée de se réinventer, où le passage à une forme d’action dans laquelle la valeur des arguments l’emporte sur les rapports de force.

Mais, la question est de savoir si, depuis près d’une trentaine d’années, une véritable « communauté internationale » - qu’elle soit européenne ou mondiale - est possible ou pas. Car, dans la prise en compte de ces contraintes, l’enjeu de l’action politique est son action elle-même, son avenir et ses conditions de possibilité. En d’autres termes, il s’agit de la possibilité d’une maîtrise politique des processus socio-économiques. 

Est-ce lié au fait que ce qui est de l’ordre du macroéconomique n’est plus, pour une grande part, une compétence de l’Etat mais est confié à la BCE ou à l’Union Européenne ?

En effet. L’Union européenne intervient dans un nombre croissant de domaines en fonction des compétences que les États membres lui ont déléguées dans les traités successifs. Plus récemment, le traité de Lisbonne (2007) a prévu l’extension de ses compétences dans des domaines sensibles liés à des risques nouveaux (santé publique, énergie, protection civile). Ainsi, l’articulation européenne des politiques économiques nationales a profondément évolué, en zone euro,entre le début des années 1970 et aujourd’hui. Les institutions prévues pour les encadrer prennent à chaque étape une importance plus grande. Plus particulièrement, la monnaie uniqueet la Banque centrale européenne sont de grands projets et nous avons peut-être moins conscience, actuellement, de l’audace qui a présidé à leur conception. 

Mais, en regard de cette construction, le budget européen est inexistant, le rapprochement des systèmes fiscaux et sociaux presque nul et la solidaritéinterétatique exclue. En près d’un demi-siècle, c’est plutôt la continuité de l’articulation européenne despolitiques européennes qui est frappante : elle n’a fait que s’adapter à un régime monétaire enévolution sans réellement s’approfondir. Or, le régime monétaire et financier joue un rôle déterminant car il modifie les marges de manœuvre des États et les effets externesdes politiques nationales. 

Il est urgent pour l’Europe de tirer les leçons de ce constat, maintenant que nul ne peut plus ignorer la responsabilitédes déséquilibres macroéconomiques et financiers à l’œuvre au cœur même de l’Europe. Plus quejamais, la coordination des politiques économiques qui est un engagement fondamental dans le processus deconstruction européenne, ressort comme une nécessité pour parvenir à une croissance forte etéquilibrée en Europe, au service de la prospérité de tous.

Le Président de la République a rappelé le 8 novembre qu’il était favorable à une discussion sur la règle des 3% de déficit public, règle fondamentale en zone euro.A-t-il vraiment des marges de manœuvre dans le cadre de la zone euro pour avoir de l’impact sur ces réalités ?

Le but des critères de convergence est de faire en sorte que les Etats-membres de la zone euro aient, tous, les moyens de supporter la monnaie unique sans appauvrir leurs populations. Pour faire vivre l’euro, il faut que tout le monde ait à peu près le même niveau de vie. C’était le débat du siècle dernier.

Aujourd’hui, pour le président français, le plus grand défi économique de l’Europe est le sous-investissement dans les technologies critiques, alors que dans le même temps, les Etats-Unis et la Chine, qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes, misent des sommes colossales dans les nouvelles technologies pour prendre un avantage décisif. Faute de changer ses propres règles budgétaires, l’Europe préparerait « la prochaine crise ». Pour lui, le déficit n’est pas le souci, mais la solution notamment dans un monde où les taux d’intérêt sont très bas.

Ceci a de quoi surprendre. Comment ne pas voir que le « mur budgétaire » est un obstacle à la« transformation » qu’il défend urbi et orbi ?

En affirmant à The Economist que la règle des 3 % de déficit relevait « d’un autre siècle », Emmanuel Macron risque de trouver bien isolé sur le sujet. Car cette règle de copropriété entre les pays membres de la zone euro ne gêne, en réalité, que la France. En effet, notre pays est le seul de la zone à afficher un déficit supérieur à 3%. Partout ailleurs, les comptes publics ont été assainis tant et si bien que la moyenne des déficits de la zone euro ne dépasse pas 0,8% du PIB européen aujourd’hui.

Cette sortie, qui risque de braquer les États attachés à la discipline budgétaire plutôt que de les convaincre, est un peu simplificatrice. Depuis des années, les règles européennes ont fait du 3% de déficit un maximum. Elles se sont plutôt axées maintenant sur l’évolution du déficit structurel, un indicateur complexe qui tente de gommer les effets de la conjoncture économique sur les comptes publics.Dans le contexte économique actuel marqué par une croissance molle, la France est censée le réduire de 0,5 point par an voire 0,6. L'objectif est d’arriver à un déficit structurel quasiment nul en quelques années. Une règle qu'Emmanuel Macron s’est bien gardé d’appliquer depuis le début de son mandat, considérant qu’une telle réduction du déficit structurel s’apparenterait à de l’austérité budgétaire qui saperait la croissance et aurait des effets contreproductifs sur les comptes publics. L’effort de réduction du déficit structurel est quasiment nul depuis le début de son mandat.

Cependant, il est indubitable que la zone euro a besoin d’un stimulus budgétaire. Elle en a non seulement besoin mais aussi la capacité. Le déficit moyen de la zone euro est inférieur à 1% quand celui des États-Unis est supérieur à 6%. La dette publique européenne culmine à 86% en zone euro en moyenne contre 101% de l’autre côté de l'Atlantique. Quant au solde courant, qui mesure l’excédent d’épargne par rapport à l’investissement, il est largement positif en zone euro (2,7%) alors qu’il est en déficit de 2,5 % aux États-Unis.

La question se pose donc, évidemment. La France doit-elle opérer une relance budgétaire ? Pas forcément. Les pays visés en priorité sont ceux qui ont des marges de manœuvre budgétaires parce qu'ils sont peu endettés comme l’Allemagne et les Pays-Bas ou même l’Union européenne dans son ensemble. C’est bien à eux qu’Emmanuel Macron s’adresse dans ses propos à The Economist. En Allemagne, pays très attaché à la discipline budgétaire, le débat évolue. Les conseillers économiques d’Angela Merkel ont critiqué la règle du zéro déficit (« Schwarze Null »). Même le patronat allemand demande maintenant à ce que la discipline budgétaire allemande soit assouplie. Le problème réside dans le fait que la relance pourrait venir de pays déjà très endettés, comme l’Italie et la France, avec un risque que les taux d’intérêt remontent un jour, malgré les forces qui devraient les maintenir assez longtemps à un faible niveau.

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