Ce que François Hollande va chercher au Kazakhstan (et les pièges dans lesquels il ne devra pas tomber)<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande entame ce vendredi 5 décembre une visite de 48h au Kazakhstan.
François Hollande entame ce vendredi 5 décembre une visite de 48h au Kazakhstan.
©Reuters

L'appel de l'Est

François Hollande entame ce vendredi 5 décembre une visite de 48h au Kazakhstan, accompagné d'une cinquantaine de représentants d'entreprises et d'une vingtaines d'universitaires. Une visite à enjeux multiples qui peut rapporter gros, mais qui n'est pas sans risques.

Didier Chaudet

Didier Chaudet

Didier Chaudet est spécialiste de l’Asie centrale post-soviétique et de l’Asie du Sud-Ouest (Iran, Afghanistan, Pakistan). Il est directeur de la publication du CAPE et chercheur associé à l'IFEAC (Institut français d'études sur l'Asie Centrale). D'octobre 2013 à début 2015, il a vécu en Iran, en Afghanistan ou encore au Pakistan où il a été chercheur invité par plusieurs think tanks locaux. Auparavant, il a été chercheur à l'ISAS (Institute for South Asian studies) en charge de l'anaylse sur le Pakistan et l'Afghanistan. Il a également été enseignant à Sciences Po et chercheur à l'IFRI. 

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Atlantico : François Hollande est attendu ce vendredi 5 décembre au Kazakhstan par le président Noursoultan Nazarbaïev, pour un séjour de 48h. Quel est l'objet de cette visite, et quels sont les principaux enjeux pour la France ?

Didier Chaudet : François Hollande vient au Kazakhstan avec une cinquantaine de représentants d’entreprises, mais aussi à peu près une vingtaine de présidents ou vice-présidents d’universités. Cela illustre parfaitement l’objet de cette visite. Tout d’abord, il s’agit de renforcer les liens commerciaux : en 2013, la France était le 5ème partenaire commercial d’Astana, et en terme d’investissements directs, le 4ème pays le plus important pour le Kazakhstan. Il s’agit donc de renforcer et d’accompagner cette dynamique positive. Mais le but est d’aller au delà des simples transactions commerciales : Paris veut marquer sa différence en investissant dans les échanges universitaires et la formation des futures élites kazakhstanaises. Une façon d’influencer positivement ce pays vers plus de démocratie, tout en s’assurant les moyens d’un soft power durable…

Lire également :  Bienvenue à Astana, Kazakhstan (et ça ne ressemble pas au pays de Borat...)

Après Mitterrand et Sarkozy, c'est la troisième fois qu'un Président français se rend au Kazakhstan. A quand les liens entre les deux pays remontent-ils ? Quels sont  nos atouts sur place ?

La France et le Kazakhstan ont établi des relations diplomatiques dès 1992. Comme évoqué plus haut, nos liens sont d’abord économiques, et ils sont d’importance, pour des raisons évidentes : le Kazakhstan, ce sont les 2èmes réserves d’uranium au monde, et les 9èmes au niveau du pétrole. D’ici 2020, ce pays deviendra le 7ème producteur de pétrole, aidé en cela, notamment, par Total. Le géant français travaille en effet au développement du gisement de Kachagan en mer Caspienne. Areva est pleinement investi dans l’uranium kazakhstanais, et nous avons, plus largement, une centaine d’entreprises françaises actives sur place. On pense tout particulièrement, bien sûr, à Eurocopter. Les Kazakhstanais sont généralement friands de produits français, du luxe à l’armement…

Au-delà des liens économiques qui constituent notre atout principal sur place, il faut également prendre en compte une véritable francophilie des élites kazakhstanaises. Il y a un amour de la langue et de la culture françaises qu’on retrouve d’ailleurs dans tous les pays russophones et post-soviétiques. L’Alliance française est particulièrement active au Kazakhstan, et nombreux sont les étudiant(e)s de ce pays qui veulent faire une partie de leurs études en France.

Quels intérêts le Kazakhstan trouve-t-il dans un rapprochement avec la France ?

Le Kazakhstan souhaite devenir un leader en Asie Centrale, et une nation respectée dans le monde. Astana compte parvenir à ce résultat dans le moyen à long terme en nouant des liens forts avec toutes les Grandes Puissances, qu’elles soient occidentales ou orientales. La France est également vue comme une nation pouvant permettre un transfert de technologie profitable à terme pour la nation centrasiatique. Enfin, Paris est considéré comme un allié potentiel dans les rapports entre Astana et l’Union Européenne. Les Kazakhstanais souhaitent notamment une facilitation des procédures d’obtention de visa pour leurs citoyens. Ils considèrent le régime actuel comme inadapté pour une nation dont 100 000 ressortissants visitent les différents pays européens chaque année.

Les relations avec le pays sont-elles vraiment sans risques ? Qu'en est-il notamment du niveau de corruption ; et le voisin russe pourrait-il voir cette visite d'un mauvais œil ?

On ne peut pas nier que la corruption existe dans le pays, comme dans la région et dans l’ensemble de l’espace post-soviétique. Selon Transparency International, dans son classement de la corruption pour cette année, le Kazakhstan serait à la 126ème place sur 175. Mais cibler le Kazakhstan sur cette question serait lui faire un mauvais procès : si on refuse de nouer des liens avec Astana par crainte de la corruption, autant oublier tout désir d’implantation en Asie Centrale… Le fait est que le Kazakhstan est, avec le Kirghizstan, l’un des pays où les pressions politiques et les problèmes de corruption sont les moins pesants. L’atmosphère générale y est plus favorable qu’ailleurs en Asie Centrale à une implantation économique étrangère.

Quant à la Russie, elle ne s’inquiétera pas outre mesure de la visite du président français. Certes, des sources à Paris présentent ce déplacement comme une façon d’aider le Kazakhstan à sortir de "l’étau" russo-chinois. Mais un tel positionnement montre surtout la connaissance limitée de la situation diplomatique centrasiatique de la part de certains milieux français. Le Kazakhstan n’est pas pris en otage entre Moscou et Beijing. Au contraire, Astana a su jouer habilement des méfiances entre ces deux capitales pour devenir, de fait, le troisième grand Etat de l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS). Plus largement, le président Nazerbayev a mené une politique étrangère équilibrée, depuis l’indépendance de son pays, entre la Russie qu’il ne souhaite surtout pas froisser, la Chine qui est déjà la puissance économique dominante dans la région, et l’Occident. Il évite de cette manière d’être dépendant d’un seul pôle d’influence, et maintient l’indépendance de son pays face à toutes les grandes puissances. La visite du président français s’intègre totalement dans cette diplomatie multi-vectorielle, ni plus, ni moins.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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