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Ce malaise qui vient quand on écoute Emmanuel Macron…
©Capture d'écran TF1

Vieille rengaine

On écoute Macron (difficile d’y échapper, tant la couverture médiatique dont il bénéficie est grande) et ce moment suscite toujours le même étrange malaise que celui qui étreint le visiteur d’un parc d’attractions. Bien sûr, c’est plaisant, bien sûr, c’est agréable, bien sûr, c’est professionnel et remarquablement conçu. Mais est-ce bien la réalité ? Que cache vraiment le décor ?

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Le malaise sur le travail

Par exemple, Emmanuel Macron se présente comme le "candidat du travail". C’est évidemment ce qu’on a envie d’entendre. Bravo ! Même si le parcours personnel du candidat ne le pose pas naturellement dans ce rôle. Et justement, quand on écoute les propositions de Macron sur le sujet, elles ont ce petit côté "note de synthèse" à l’ENA qui installe le malaise.

Bien sûr, on les connaît bien, ces propositions (qu’on me permette de le dire) éculées sur les trappes à pauvreté, les trappes à chômage, et le fameux laïus complètement cramé sur : "il faut que reprendre un travail à temps plein rapporte plus q’un travail à temps partiel", etc. Depuis quinze ans, et même plus (croyez-en un ancien élève qui est entré à l’ENA en 2000, c’était déjà un lieu commun !), le même disque tourne en boucle. Il y a vingt ans, c’était moderne. Et dans la bouche de Macron, le même mot de "modernité" est resté scotché sur ces propositions qu’il discutait, pondérait, décortiquait en deux parties et deux sous-parties lorsqu’il faisait Sciences-Po, il y a plus de quinze ans. C’est là que le malaise vient : Macron est jeune, certes, mais il n’est plus à Sciences-Po, ni à l’ENA, et parfois on se demande s’il s’est vu vieillir ou pas.

Car, qu’il le présente comme il le veut, avec les mots "parc d’attractions" qu’il veut, le discours de Macron sur le travail ne dépasse guère les rapports de "séminaire ENA", ces espèces de dossiers d’entraînement que les élèves de l’école rédigent en groupe pour se faire les dents avant d’entrer dans un corps d’inspection. Sur le papier, les propositions marchent toujours très bien, et comme elles sont évaluées par des énarques, elles ont ce petit parfum de consanguinité tout à fait inimitable – le même que les interminables palabres de la noblesse byzantine avant la chute de Constantinople. Quel peut être leur impact sur la réalité ? La question reste ouverte, et le naufrage français, confirmé constamment depuis qu'Emmanuel Macron est sorti de l’ENA, n’est pas fait pour nous rassurer sur ce point.

Le malaise sur la fiscalité

Le même malaise vient quand on essaie de mettre bout à bout les propositions de Macron sur la fiscalité. On préfèrerait que le candidat joue franc jeu en expliquant clairement sa vision (s’il en a une, bien sûr) sur ce que doit être la stratégie fiscale française. Comme Macron "parc d’attractions" se propose d’abord de nous vendre un rêve, il fractionne en mille morceaux son discours sur le sujet, et, du coup, on est contraint à supputer.

Aujourd’hui, on apprend qu’il veut transformer le CICE en baisse pérenne de "charges". D’accord, bien sûr, M. Macron, mais c’est l’objet d’un décret, d’une mesure réglementaire, de gestion. Cela ne fait pas un programme, et, sur le fond, c’est une mesure d’affichage qui n’ajoute ni n’enlève aux volumes fiscaux payés par les entrepreneurs. Pas de quoi faire un fromage, à moins, bien sûr, que l’espérance de guérir ce pays malade soit si faible qu’un médecin qui change une perfusion de bras se sente déjà obligé de le claironner comme un retour vers la bonne santé.

Quant à la proposition déjà formulée cette semaine de remplacer les cotisations salariales par de la CSG, soyons francs : elle passe à côté de la plaque. Elle serait novatrice si elle remplaçait non pas les cotisations salariales mais les cotisations patronales par de la CSG. Mais elle deviendrait politiquement incorrecte parce qu’elle consisterait à demander aux salariés de payer sur leurs deniers des cotisations prises en charge aujourd’hui de manière invisible par leurs employeurs. Et être politiquement incorrect, c’est tout ce que Macron ne veut pas, malgré ses appels plastiques à la révolution.

Dans les coulisses d'Emmanuel Macron

En fait, pour comprendre les propositions de Macron, il faut souvent entrer dans un labyrinthe : on connaît l’entrée, mais on ne connaît pas la sortie. C’est d’ailleurs en cela qu'Emmanuel Macron n’est pas moderne : il pratique la même vieille politique opaque que ses prédécesseurs, même si formellement il en brise les codes.

Par exemple, ses propositions sur le chômage : il propose de transformer le système actuel en régime de solidarité. Voilà une proposition bien anodine qui semble probablement énigmatique pour beaucoup de Français. Incidemment, il habille cette idée obscure avec un blabla sur le droit à la mobilité et autres déclarations d’intention qui ne mangent pas de pain.

Mais il n’explique pas clairement la perspective globale de cette proposition, qui consiste à faire du régime chômage une sorte de nouveau minima social. Les cadres seront par ailleurs libres de s’assurer au-delà de ce régime contre le risque chômage. Ce système existe déjà pour les entrepreneurs, sous le nom d’AGS. Et lorsqu'Emmanuel Macron évoque l’idée d’étendre la protection chômage aux entrepreneurs, c’est évidemment ce système-là qu’il a en tête : un régime de base public, et des régimes complémentaires privés.

On préfèrerait que ces choses-là soient dévoilées clairement et sans ambages. Nous sommes tous d’accord pour dire que ce dévoilement premier est une prise de risque dans la mesure où il peut susciter des levées de boucliers très rapides. Mais vaut-il mieux vaincre les obstacles au début (en perdant un peu de temps et parfois en transigeant), ou, comme dans le cas de la loi Travail, donner le sentiment de vouloir empapaouter son petit monde et finir complètement stérilisé par des semaines de manifestation et de contestation ?

Au-delà des médias, quelle crédibilité populaire ?

Dans la pratique, Emmanuel Macron constitue l'énième redite d’une mécanique dont les derniers mois ont montré qu’elle s’enrayait. Il est soutenu par les médias, et les médias ont décidé d’en faire le candidat qui affrontera François Fillon au second tour de la présidentielle. Quel peut être l’impact véritable de cette fabrication sur mesure ? Les phénomènes Trump ou Fillon ont montré qu’il y avait parfois loin de la propagande médiatique à la réalité du vote.

Les médias ont d’ailleurs peu relayé le nombre de spectateurs de son meeting (toujours mystérieusement financé, ce qui pose un véritable problème) qui sortaient de la salle avant la fin du discours. En réalité, il est très difficile de savoir dans quelle mesure la candidature Macron "mord" effectivement sur l’opinion. Et sur ce point, la démocratie ne se porte pas bien lorsque plus aucune jauge crédible et impartiale ne permet la mesure.

Cet article a également été publié sur le site d'Eric Verhaeghe, et est disponible ici.

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