Ce budget 2024 qui rapproche encore la France de menaçantes « trente douloureuses » <!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de l'Economie et celui des Comptes publics ont dévoilé les détails du budget 2023 à l'issue du Conseil des ministres, ce lundi
Le ministre de l'Economie et celui des Comptes publics ont dévoilé les détails du budget 2023 à l'issue du Conseil des ministres, ce lundi
©Mehdi FEDOUACH / AFP

Mur de la dette

Le projet de Loi de finances pour 2024 sera crucial tant les équations économiques et financières qui s'imposent à notre pays sont délicates à dompter. De surcroît, la France devra faire face à l'irruption de variables porteuses de périls. Il suffit de citer ici la persistance des tensions inflationnistes et le contexte géopolitique énergétique.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Un environnement constitutionnel difficile   

Le premier quinquennat d'un Chef de l'État suppose de parvenir à remplir une obligation de moyens. Le deuxième mandat est un exercice historiquement plus délicat et fait davantage appel à la notion d'obligation de résultats. Forcément réjoui par sa réélection, le président Macron a pensé pouvoir se dispenser de mobiliser ses électeurs lors du scrutin législatif. Le résultat est connu avec cette Assemblée improbable car composée de plusieurs députés marqués par des pratiques qui flirtent avec un penchant d'inspiration rebelle et une majorité relative. C'est ainsi que le Conseil des Ministres du mercredi 27 Septembre 2023 a autorisé le Gouvernement à recourir aux dispositions de l'article 49-3 en matière de procédure parlementaire visant le PLF 2024.

Un budget sans assentiment citoyen

Ce budget n'aura pas l'assentiment d'une large partie de l'opinion alors même qu'il implique des efforts qui ne seront pas validés par les citoyennes et les citoyens. Le bruit médiatique des opposants systématiques va couvrir le langage de la rigueur ( nota : je n'écris pas austérité ) qui, seul, peut nous éviter le gouffre du déficit budgétaire et le mur de la dette que Jacques de Larosière et d'autres éminents esprits ne cessent de voir se rapprocher.

Un budget insincère ?

Dans ces conditions, il ne me semble pas souhaitable qu'un Gouvernement entre dans l'arène du débat sur un PLF en sachant qu'il peut déjà configurer la sortie, par le 49-3, qui autorise – dans la pratique – une ossification de la pratique des amendements. La loi sur les retraites a parfaitement démontré que des amendements adoptés en première lecture sont finalement repoussés par un Exécutif habile voire manœuvrier.

Ce point juridique allié à la contestation des hypothèses économiques sous-jacentes au PLF font proclamer qu'il serait insincère. Je ne partage pas du tout cette conclusion qui est excessive. L'État retient des variables ( par exemple le taux de croissance ) et élabore son PLF. Cela n'a rien à voir avec la notion de non-sincérité des comptes publics qui porte une dimension intentionnelle de tromperie. De plus, pour recourir à un terme utilisé en audit légal des comptes privés, le seuil de signifiance est rarement atteint. Dire que le PLF 2024 est frappé de non-sincérité est un slogan d'estrade et un cri stérile d'opposant. Ce qui ne permet pas toutefois de qualifier le PLF 2024 d'exact.

Quand le HCFP a encore raison

Le Haut Conseil des Finances publiques présidé par Pierre Moscovici a rendu, le 22 Septembre 2023, un avis n° 2023-7 relatif à la révision du projet de Loi de programmation des Finances publiques pour les années 2023 à 2027.

" L'estimation de l'écart de production et celle de la croissance potentielle constituent le fondement du scénario macroéconomique 2023-2027. Dans les deux cas, elles apparaissent optimistes. …/… Le scénario de croissance associé est lui aussi optimiste."

Quand une institution comme le HCFP, qui a su s'installer avec raison dans notre paysage administratif, parle d'optimisme, il faut comprendre qu'il ne valide pas, quant au fond, l'hypothèse gouvernementale. Or, nous savons que le taux de croissance est une variable-clef pour déterminer l'évolution nominale du PIB et l'évolution des recettes fiscales.

Autant dire que la trajectoire des Finances publiques 2023-2027 ne reçoit pas quitus du HCFP et que la sémantique prudente de l'Institution ne masque guère la censure intellectuelle qu'elle porte.

Un point est à souligner : l'Exécutif table sur un repli progressif du taux d'épargne des ménages qui est, pour l'heure, vivement démenti au détriment direct de la consommation des ménages. Rappelons que celle-ci, dans l'alimentaire, a régressé de – 4% , en volume, sur le dernier semestre.

De même – et là il y a une sorte de farce étatique – le HCFP s'étonne " de la contribution positive du commerce extérieur " allié au " maintien à un niveau élevé du taux d'investissement des entreprises ". Pour celles et ceux qui escomptaient une parole churchillienne et des actes, les voilà contraints d'entendre " la vie en rose " d'Edith Piaf ou de Grace Jones.

Le couperet du HCFP est limpide autant que tranchant :  " Le projet de Loi de programmation ne prévoit pas de retour rapide vers l'objectif d'équilibre des Finances publiques. "

L'analyse du Haut Conseil est partagée par nombre d'économistes à l'exclusion de ceux qui sont redevables à l'envi de la commande publique.

Il est patent qu'une prévision de croissance " optimiste " change le panorama de notre situation budgétaire et financière comme ne manqueront pas de l'intégrer dans leurs travaux les Agences de notation d'autant que le HCFP est explicite sur la dette.

Le HCFP et la dette 

La dette est une question frappée de nouveautés. Tout d'abord, l'évolution contemporaine des taux d'intérêt ne nous est pas favorable. L'exemple de l'immobilier montre que des hausses de taux d'intérêt impactent le marché lui-même. D'autre part, le ratio dette sur PIB ( ou dette sur facultés contributives fiscales de la Nation ) ne saurait s'améliorer compte-tenu du climat récessif qui circule en zone Euro. Dès lors, une prime de risque pourrait significativement affecter les 285 milliards d'Euros que l'Agence France Trésor va avoir pour mission de lever. Dans ces conditions, l'hypothèse d'un ratio de 109,4% de dette sur PIB à fin 2024 ( source gouvernementale ) semble illusoire d'autant que nos emprunts sont désormais, chaque année davantage, souscrits à taux variable. Le parapluie allemand a des limites…

Sur la dette transgénérationnelle 

Le PLF 2024 et la trajectoire jusqu'à 2027 démontre l'incapacité de la France à réussir les prouesses allemande et portugaise. Nous sommes comme englués au-delà de 100% du PIB en guise de notre dette primaire.

Parallèlement, la charge de la dette qui était voisine de 30 Mds en 2022 sera de 55 Mds en 2024 et est annoncée par le Gouvernement comme susceptible d'atteindre plus de 71 Milliards d'Euros en 2027.

C'est une perspective bien sombre qui montre que cette histoire de dette est désormais incontestablement une question pour notre génération mais aussi pour celle qui nous succèdera. Selon les rédacteurs du Code civil, la gestion du " pater familias " consistait à ne pas laisser d'ardoise à sa descendance. Là, nous manquons à nos devoirs. Le HCFP énonce que " l'inflexion modeste de la trajectoire de dette expose au risque d'une divergence accrue avec le reste de la zone Euro ".

Serons-nous le pays qui portera gravement atteinte à notre union monétaire ?

Vers l'anatocisme ?

Une charge d'intérêt dépassant 71 milliards en 2027 et migrant ainsi vers le statut peu enviable de premier poste budgétaire de l'État ne sera pas une variable statique.

Le ministre des Finances de cet exercice budgétaire hardi devra réfléchir et soumettre au Chef de l'État des ajustements. L'un d'entre eux pourrait être issu de la signature de conventions d'anatocisme.

En cas de blocage budgétaire, notre pays pourrait en effet être amené à recourir à des mécanismes conventionnels d'anatocisme.

En droit – selon l'ancien article 1154 du Code civil devenu 1343-2 -  "  les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts -, dès lors cela revient à considérer que le service de la dette pourrait – sous réserve d'acceptation du ou des créanciers – être intégré au principal de la tranche d'emprunt considéré. 

Ce n'est pas de bonne gestion – image de la boule de neige qui s'étoffe sans cesse - mais cela éviterait une impasse budgétaire en année n. 

Le banco plutôt que le fiasco ?

Notre pays a connu pendant plusieurs années l'anomalie conceptuelle des taux d'intérêt négatifs ( autour de -0,22% ) qui traduisent derechef la qualité de sa signature même s'il n'est pas interdit de penser que l'épargne française ( supérieure à 5.240 Mds d'€uros hors immobilier ) influence l'appréciation de nos créanciers et endosse ainsi un rôle de caution de fait de la dette publique. 

C'est un point capital pour qui s'interroge sur la soutenabilité de la dette française et garde en mémoire l'emprunt forcé de 1983.

La persistance de l'inflation est un véritable " game changer "

Dans le PLF 2024 comme dans la trajectoire pluriannuelle, le Gouvernement envisage une décrue de l'inflation que nul économiste ne vient contresigner moyennant un prix personnel.

C'est du baratin plus qu'un énoncé doté de certitude.

2024 verra le baril de pétrole retourner vers le pic de 100$ et infligera à l'UE une hausse sérieuse des carburants. Il est loisible de ne pas le dire, il est déraisonnable de ne pas intégrer le numéro de duettistes que la Russie et l'Arabie Saoudite vont imposer  ( infliger ? ) à l'Occident et singulièrement à l'Europe.

Ce point combiné à la lutte sectorielle nationale pour les surmarges  change considérablement la physionomie des hypothèses macroéconomiques du Gouvernement de Madame Borne.

Ceci ne manquera pas d'avoir un impact sur le taux de croissance que l'Insee évalue à 0,9% là où le PLF mise sur 1,4%.

Les agents économiques ont compris que l'inflation est une faucheuse de libertés et une contrainte du quotidien.

Le taux d'usure comme reflet des tensions durables

Dans un pays où le 1er Octobre a vu le taux d'usure encore réajusté à la hausse, il y a plus qu'un défi pour le marché du crédit d'autant qu'il y a un effet d'éviction issu du poids des flux d'emprunts publics. 

L'année 2024 verra un record en matière d'emprunt ce qui n'est pas cohérent avec certains propos décrivant un possible repli de la dette affichée à 3.040 Mds d'Euros.

Avec un déficit public continuellement activé depuis 50 ( cinquante ! ) ans, la France prévoit – 4,4% du PIB comme valeur en 2024.

Les " Trente Glorieuses " de Jean Fourastié, originaire de Saint-Benin d'Azy ( Nièvre ), se sont estompées. Il serait temps qu'une bonne frange de nos élites économiques et budgétaires prennent le temps de relire " Non aux 30 douloureuses " d'Augustin de Romanet qui milite pour un État stratège et non pour une machinerie comptable prise, trop souvent, en défaut.

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