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Ce à quoi se condamnent lentement mais sûrement les Gilets jaunes
©Valery HACHE / AFP

Grand débat

A l’exception de quelques figures médiatiques modérées tels Jacline Mouraud ou Benjamin Cauchy, la lettre d’Emmanuel Macron aux Français a été accueillie avec beaucoup de scepticisme par les Gilets jaunes comme le révèlent les sondages d’opinion ou les reportages sur le terrain.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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A l’exception de quelques figures médiatiques modérées tels Jacline Mouraud ou Benjamin Cauchy, la lettre d’Emmanuel Macron aux Français a été accueillie avec beaucoup de scepticisme par les Gilets jaunes comme le révèlent les sondages d’opinion ou les reportages sur le terrain.

Mais si on s’est beaucoup concentré ces dernières semaines sur l’impuissance politique qui frappe le Président, l’heure sonne désormais de celle qui menace les Gilets jaunes. Le Grand débat national est une solution dont on peut douter de la capacité à recréer de la confiance et à construire une majorité sociologique de Français unis dans un diagnostic et un projet global commun. Les failles dans la méthode de consultation ou dans la prise en compte finale de ses conclusions sont multiples. Mais le Débat existe. La sincérité du gouvernement dans l’exercice se mesurera au fil de l’eau mais quelle autre solution peut-il exister à court terme maintenant que les dés sont jetés et que le Grand débat, tout critiquable qu’il soit, est la voie choisie par le gouvernement ?

La crise de défiance qui ravage la société française est tellement profonde que c’est un peu comme si nous étions dans la phase sans culotte de la Révolution. Mais celle-ci n'a-t-elle pas trouvé sa résolution dans la violence de la Terreur ?

Lire aussi : Petit mémoire sur le prix que la France a dû payer pour sortir de la phase sans-culottes

Sur quels scénarios politique en leur faveur pourraient compter les Gilets jaunes à court voire moyen terme ? A priori aucun...

Soit la violence continue et la France s’enfonce dans le chaos, auquel cas il y aura un réflexe légitimiste en faveur d’Emmanuel Macron. Et si lui n’en bénéficie pas, un général ou une figure d’autorité (voire autoritaire) quelconque finira par incarner le parti de l’ordre. Car la France est un pays trop riche pour que ceux qui ont à perdre quelque chose ne finissent pas par s’allier contre le chaos, qu’on le prenne sous l’angle de l’ordre public ou de l’atteinte-même relativement limitée- au fonctionnement de l’économie.

Au-delà de la colère ou de la défiance envers le pouvoir, le refus de participer au Grand débat pourrait avoir un sens stratégique, un peu à l’image d’une majorité qui gagnerait des législatives après une dissolution et refuserait d’envoyer un premier ministre pour jouer la crise de régime et la démission du président.

Mais si le souhait des Gilets jaunes de voir Macron dissoudre l’Assemblée ou même démissionner se réalisait, les probabilités qu’ils se retrouvent avec un nouveau pouvoir 100% Gilets-jaunes compatible sont faibles. La lettre aux Français de Laurent Wauquiez ne semble pas avoir déclenché un mouvement d’adhésion massif aux Républicains et le RN comme La France insoumise souffrent toujours des mêmes plafonds de verres, à la fois dûs aux failles ou défauts personnels de leurs dirigeants et à la mécanique institutionnelle française.

Le mode de scrutin français et les rapports de force politiques actuels empêchent d’imaginer une alternative solide au parti des « modérés » à court terme. Aucun parti en effet ne peut être plus fort que Macron en étant seul -ou que quiconque incarnant la position centrale de l’échiquier politique français. Or il se trouve qu’aucune alliance n’est possible -ou souhaitée par les impétrants- en l’état, que cela concerne le RN et la LFI, le RN et LR, la LFI et la galaxie de la gauche issue de l’explosion du PS. Une partie du caractère explosif de la crise se trouve d’ailleurs dans cet état de congélation forcé des lignes politiques. La révolution En marche devait refonder le système, elle l’a mené dans une impasse.

D’autant que les oppositions se sont montrées incapables de proposer de nouvelles offres politiques adaptées au monde dans lequel nous vivons. A défaut de pouvoir miser sur des alternatives crédibles, les élections nationales à venir -celles qui ont un vrai impact immédiat et perceptible sur le quotidien des électeurs, pas celles qui peuvent servir de défouloir comme les Européennes- verront probablement une majorité relative de Français se mobiliser pour sauver un système auquel plus grand monde ne croit mais qui bénéficie de la prime à l’évitement du grand saut dans l’inconnu.

Dernier scénario possible en théorie mais quasi inimaginable dans la réalité tant LREM est politiquement faible dans son personnel comme dans son offre idéologique : le putsch au sein de la majorité qui contraindrait Emmanuel Macron au changement malgré lui.

L’une des revendications centrales des GJ porte sur une exigence de dignité. Dans leur majorité, ces Français qu’on n’entendait plus ne revendiquent pas un accroissement de l’Etat providence qu’ils voient déjà podagres. Ce qu’ils veulent n’est pas la réforme incrémentale ou cosmétique du modèle économique et social dans lequel nous sommes installés mais sa refondation. Son changement profond afin de retrouver la capacité à vivre de leur travail sans dépendre de transferts sociaux et sans voir leurs adresses les condamner à un destin de seconde zone, tant l’éloignement des centres-villes des grandes agglomérations exclut du dynamisme de l’économie mondialisée et de l’accès au meilleur des services publics.

On s’en souvient, en Espagne, seul le manifeste « Prendre les choses en main : convertir l'indignation en changement politique » publié sur un journal en ligne près de 3 ans après l’occupation de la Puerta Del Sol a permis de donner aux Indignados un débouché politique avec la création de Podemos sur une ligne proche de l’extrême-gauche. 5 ans plus tard, le mouvement a trouvé d’autre issues, de centre-droit (Ciudadanos) ou d’extrême-droite (Vox). Mais il a fallu l’implication de figures, intellectuelles ou politiques venues des élites... Qui serait en état de le faire aujourd’hui ? Comme l’a montré l’étude du Cevipof, l’état de pourrissement du système politique est tellement avancé qu’aucune figure établie ne parvient plus à être émetteur de confiance.

En attendant, non pas Godot, mais la maturation du mouvement des Gilets jaunes, la rage seule ne fera pas gagner beaucoup plus aux Gilets jaunes que ce qu’ils ont déjà obtenu. Aucune baguette magique n’existe, il faudra du temps avant le retour à une société de la décence véritablement soucieuse de l’humain et dans laquelle seraient gommés les effets pervers des disruptions de l’économie numérique ou les excès du capitalisme financiarisé et de la concurrence déloyale générée par des traités ou des pratiques de libre-échange mal négociés.

Qui d’Emmanuel Macron ou des Gilets jaunes atteindra le premier la maturité politique et la capacité à être intelligent pour deux ? La question est certainement provocatrice mais elle est ouverte.

Quoique veuille en reconnaître le chœur des indignés des atteintes à l’ordre établi, c’est bien la violence qui a commencé à débloquer le système français. N’attendons plus qu’il en faille plus pour aller au-delà. Le gouvernement se piègera lui-même et nous piègera tous s’il mène le Grand débat dans un objectif cynique de sortie de crise à son profit exclusif. Mais les Gilets jaunes ne rendront service à personne et certainement pas à eux s’ils s’enferment dans la logique stérile du tout, tout de suite.

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