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Casser le thermomètre ne fait pas baisser la fièvre
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Sondocratie

Critiquer les méthodes des sondages est une démarche vaine. Il conviendrait plutôt de disposer de toutes les données des enquêtes pour mieux en souligner les biais. Les Sénateurs ont voté en ce sens. On attend l'avis des députés...

Anthony Hamelle

Anthony Hamelle

Anthony Hamelle est un communicant curieux.

Chargé de cours au Celsa (Université Paris IV Sorbonne), il s'intéresse aux sciences humaines et sociales (anthropologie, sociologie, droit, sciences politiques,... ).

Il est responsable de la communication numérique "Villepin 2012".

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"Lies, damned lies and statistics", ou "mensonges, satanés mensonges et statistiques" en français dans le texte. Tel serait l'anathème lancé par Benjamin Disraeli, illustre homme politique britannique du XIXe siècle, aux prophètes se fondant sur le calcul mathématique. Cette thèse soutient que les chiffres sont trompeurs et qu'ils peuvent dire tout et leur contraire, n'ayant ainsi qu'une intégrité égale à celle de leur auteur ou de leur "manipulateur".

La première faiblesse germe dès la genèse d'un projet statistique, lors de la sélection des données que l'on va utiliser et, par conséquent, de celles que l'on va laisser de côté par convenance. D'autres carences apparaissent ensuite à chaque choix, qui est aussi un renoncement. Disons le plus clairement au travers d'un exemple : on ne peut que se réjouir de l'objectif de baisse du déficit public affiché par le gouvernement, mais l'on travestit la réalité en omettant de souligner qu'en dépit de cette baisse la dette publique et sa charge continueront d'augmenter. La première assertion est juste, elle donne néanmoins une vision biaisée de la réalité.

Plus la construction compte d'étages, plus les biais sont nombreux. Ainsi des sondages d'opinion, édifices statistiques des plus complexes faisant appel à la loi des grands nombres, à des méthodes concurrentes d'échantillonnage et de recueil, à des intervalles de confiance, à des marges d'erreur, à des aléas et biais de questionnement ou encore à des redressements. Bref, tout sondage, quel que soit son mode de recueil, comporte des biais, le tout étant de les décrypter. Pour ce faire il serait utile de disposer, pour chaque sondage publié, de toutes les données brutes permettant d'analyser les arbitrages, de déceler les renoncements et d'interpréter les sondages quant à ce qu'ils disent ou ne disent pas. C'est tout le sens d'une proposition de loi adoptée le 14 février dernier par le Sénat qui obligerait instituts de sondages et médias à partager certaines des clés - à commencer par les fameux redressements - qui permettraient d'exposer leurs biais et subtilités. Que l'Assemblée Nationale s'en saisisse pour régler un peu mieux ce vieux problème et nous pourrons enfin y voir plus clair.

Pourtant, si de nombreux députés s'époumonent ces jours-ci pour saper les fondements d'un sondage plaçant Marine Le Pen en tête des intentions de vote pour le premier tour de la présidentielle, ils ne se précipitent guère au bureau de leur chambre pour faire inscrire à son ordre du jour le texte voté par les sénateurs. Pourquoi diable si peu d'empressement ? Pour la simple et bonne raison que si chiffres et sondages mentent, leurs détracteurs se délectent en réalité de cette ambiguité de laquelle on ne sortirait qu'à leur détriment. En 2002, personne ne voulut admettre publiquement la tendance sondagière des deux dernières semaines de campagne qui annonçait Jean-Marie Le Pen au second tour. En 2005, les tenants du "non" au traité constitutionnel critiquaient les sondages tant qu'ils leur furent défavorables tandis que les tenants du "oui" prenaient leur suite dans le déni une fois que les sondages dévoilèrent l'inversion du rapport de force. Et nous voilà en 2011, en pleine crise économique, dans une période propice aux mouvements populistes partout en Europe ou aux Etats-Unis avec les Tea Parties, à un moment où la majorité UMP choisit de fuir en avant plutôt que d'affronter les véritables enjeux. Tous apportent de l'eau au moulin populiste de Marine Le Pen et réfutent les sondages qui, bien qu'imparfaits, rendent compte de cette pression. Qu'ils continuent à vouloir casser le thermomètre, la fièvre ne baissera pas pour autant.

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