Cartels automobiles : ces scandales que l’industrie allemande ne parvient plus à étouffer<!-- --> | Atlantico.fr
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Rupert Stadler, l'ancien PDG du constructeur automobile allemand Audi, lors de la conférence de presse annuelle de l'entreprise à Ingolstadt, dans le sud de l'Allemagne, le 12 mars 2013.
Rupert Stadler, l'ancien PDG du constructeur automobile allemand Audi, lors de la conférence de presse annuelle de l'entreprise à Ingolstadt, dans le sud de l'Allemagne, le 12 mars 2013.
©CHRISTOF STACHE / AFP

Dieselgate

Volkswagen a reconnu en 2015 avoir équipé 11 millions de ses véhicules diesel de moteurs truqués afin de les rendre moins polluants lors de tests en laboratoire. Lors du procès, Rupert Stadler a plaidé coupable dans l'affaire du Dieselgate. L'ancien PDG d'Audi est devenu le premier dirigeant du groupe Volkswagen à assumer des responsabilités pénales dans le scandale des moteurs diesels truqués.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Le « diesel gate » a eu des effets dévastateurs sur l'image de qualité et de rigueur de l'industrie automobile allemande. Mais comment s'est soldée cette affaire révélée en 2015 alors que l'ancien patron d'Audi, Rupert Stadler, a plaidé coupable ce mardi devant le tribunal de Munich ? Quelles en sont les conséquences réelles ?

Jean-Pierre Corniou : L’industrie automobile allemande aimerait bien oublier ce sombre épisode de son histoire quand fut révélé aux Etats-Unis en 2014 l’utilisation massive d’un subterfuge pour dissimuler les émissions réelles de NOx de ses véhicules diesel. Lorsqu’en 2015 le Président du groupe Volkswagen dut reconnaitre que son groupe avait exploité un logiciel qui optimisait temporairement les émissions du moteur quand le véhicule était soumis à un essai, le Diesel gate éclatait et entrainant des conséquences majeures pour le groupe Volkswagen mais aussi pour toute l’industrie qui se relevait de la crise de 2008. 

C’est aux Etats-Unis que cette fraude fut mise à jour par un organisme indépendant, l’ICCT, The International Council of Clean Transportation en mai 2014. 

A la suite de la publication de cette étude mettant en cause des écarts significatifs de mesure d’émission entre les essais réels et les données livrées par Volkswagen pour son moteur diesel 2 litres, les agences gouvernementales de Californie et l’Agence fédérale de protection de l’environnement demandent au constructeur d’expliquer ces écarts.La stratégie de défense du groupe Volkswagen est confuse et peu convaincante et conduit l’EPA à menacer de ne pas homologuer les modèles du groupe Volkswagen, ce qui alerte bien entendu l’état-major du groupe. Jusqu’en juillet 2015, le groupe, conscient du caractère frauduleux de l’utilisation d’un logiciel truqueur sur les véhicules vendus aux Etats-Unis, persiste dans des réponses dilatoires et ce n’est que le 3 septembre 2015 que le responsable du développement moteur avoue l’existence de ce logiciel. Le scandale est dévoilé par les Etats-Unis lors du Salon de Francfort le 18 septembre 2015 et on apprend en novembre que les moteurs trois litres du groupe font l’objet de la même fraude. Martin Winterkorn, le puissant président du Groupe Volkswagen, est poussé à la démission par ce scandale fin septembre 2015. 

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A la suite de ces révélations, les gouvernements lancent des enquêtes judicaires qui vont conduire plusieurs dirigeants en prison et condamner le groupe à des lourdes amendes pour avoir livré onze millions de véhicules non conformes dans le monde. En marge du dossier des logiciels truqueurs, les constructeurs allemands ont également été poursuivis par l’Union Européenne pour s’être concertés pendant cinq ans sur la gestion en commun, et a minima, des dispositifs de dépollution des NOx. C’est 502 millionsd’amendes que Volkswagen a dû payer en 2021, BMW devant payer 373 millions et Mercedes, bien qu’impliqué, étant exonéré pour avoir dénoncé cette entente illicite. 

Après la COVID, qui a plongé l’industrie dans une nouvelle crise en 2020, on pensait cette affaire réglée, toute l’industrie étant désormais tournée vers l’électrification rapide de ses gammes de véhicules. Toutefois, la justice est venue réactiver le dossier avec l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 21 mars 2023 qui considère que tout acheteur d’un véhicule utilisant ce logiciel a droit à réparation de la part de son constructeur. Outre Volkswagen, plusieurs constructeurs ont également été mis en examen en 2021 comme Renault, Peugeot, Citroën et Fiat. Le groupe Volkswagen a déjà dû payer 30 milliards d’euros, essentiellement aux Etats-Unis. Mais les actions se multiplient 8 ans après le démarrage de l’affaire. Une action collective a été lancée en France en février 2023 pour les véhicules d’entreprises des marques Renault, Stellantis et Volkswagen. Elle pourrait concerner 3,6 millions de véhicules pour une indemnisation estimée à 3 000 € par véhicule

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Or cet organisme à l’origine du scandale, l’ICCT, vient de publier le 22 mars 2023 les résultats d’études exhaustives démontrant que 8 ans après la découverte de cette fraude, la plupart des véhicules diesel Euro 5 circulant en Europe continuent d’émettre du Nox au-delà des normes. Cet organisme estime que 19 millions de véhicules dépassent les normes, dont 13 présentent des émissions dangereuses.Cette aventure du diesel européen, naguère présenté comme une solution, se poursuit en devenant un problème sérieux sans solution immédiate. 

Les réticences de l'industrie allemande à renoncer au moteur thermique ont conduit à un intense lobbying  qui a fait finalement céder la Commission, très partiellement néanmoins puisque les carburant liquides décarbonés ont été admis dans des conditions très strictes. Peut-on considérer que les affaires sont en quelque sorte liées ?

L’industrie automobile européenne a été la seule à miser à grande échelle sur la technologie diesel pour réduire les émissions de CO2. Elle a pensé que son investissement considérable sur ces moteurs lui donnerait une avance suffisante qui lui permettrait de ne pas être contrainte de changer totalement de technologie pour faire face à une réglementation internationale de plus en plus contraignante sur les émissions de CO2 et de Nox. Ce pari industriel sur une seule technologie était osé mais pouvait se comprendre car les investissements mis en en œuvre sur le diesel ont été considérables.Le Diesel Gate a rapidement déconsidéré la technologie diesel, habilement présentée par les constructeurs comme vertueuse car le moteur diesel, consommant moins, émet effectivement environ 20% de moins de CO2. Mais l’usage du diesel produit des gaz toxiques qu’il est difficile et coûteux d’éliminer, les oxydes d’azote. Malgré les efforts des constructeurs, comme PSA, pour démontrer que les moteurs diesel de dernière génération étaient particulièrement efficaces pour éliminer les NOx, le public n’a pas suivi et très vite la part du diesel dans les ventes de véhicules neufs a décru. Les constructeurs eux-mêmes y ont renoncé pour des motifs de coût sur les plus petites cylindrées. Les voitures diesel sont ainsi tombées de 78% des ventes en 2007 à 48% en 2017, puis 21% des ventes en 2021 et 15,6 % en 2022 pour descendre encore à 11% sur les quatre premiers mois de 2023. C’est un changement radical du paysage automobile. 

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Selon les dernières données publiées par l’ACEA -Association des Constructeurs Automobiles Européens - la flotte de véhicules en circulation en Europe (UE + UK + Suisse, Norvège, Islande) en 2021 est de 294 millions de voitures particulières contre 276 millions en 2017, soit une hausse de 6,5% malgré l’impact de la crise COVID sur le marché automobile. Il faut aussi intégrer dans ce parc 35 millions de véhicules commerciaux et 7 millions de poids lourds. Ce parc européen est composé de 42% de véhicules diesel, les véhicules commerciaux étant, quant à eux, à 91% diesel. Compte tenu de l’espérance de vie de ces véhicules, l’électrification représente un chantier considérable qui va prendre plusieurs décennies.  

Pour garder sa suprématie mondiale sur le haut de gamme tout en se pliant aux contraintes de la décarbonation, quelles sont les voies possibles pour l'industrie automobile allemande ?

Dès les années soixante-dix, l’industrie automobile allemande par sa stratégie de montée en gamme a fait oublier la culture de la Coccinelle de l’après-guerre au profit de berlines puissantes, statutaires et hautement rémunératrices dont elle est devenue la spécialiste, détrônant définitivement les voitures américaines et anglaises. Avec ses marques emblématiques telles que Mercedes, Porsche, BMW, puis Audi, elle s’est imposée par le luxe et la puissance de ses motorisations. Elle a également obtenu, par un intense lobby auprès du gouvernement allemand, que l’Allemagne soit le seul pays au monde refusant les limites de vitesse sur une portion significative de son réseau autoroutier en prônant une auto-limitation à 250 km/h de ses véhicules. 

Avec le rachat de Rolls Royceen1998 par BMW et de Bentley par le groupe Volkswagen, elle a triomphé en s’appropriant ses deux concurrents les plus prestigieux après une bataille interne qui a été conclue par un partage des dépouilles de vaincus. 

Mais appuyée sur la robustesse de son prestige et des situations acquises sur les marchés les plus rémunérateurs, l’industrie automobile allemande a négligé trop longtemps les conséquences du passage à l’électrification de l’automobile sur lequel misait l’industrie chinoise et un nouveau venu ambitieux, Tesla. De leader elle est devenue challenger.Les codes du luxe en sont bouleversés car pour les clients fortunés et les voitures de haut de gamme des flottes d’entreprise, le choix s’est subitement ouvert. 

La première riposte des constructeurs allemands a consisté à équiper leurs véhicules de moteurs hybrides rechargeables qui, nominalement, font baisser les émissions de CO2 en affichant des chiffres flatteurs selon la norme WLTP. L’expérience démontre toutefois que pour y parvenir réellement, il faut avoir la discipline de recharger régulièrement les batteries pour privilégier l’utilisation du moteur électrique. Mais pour les véhicules de flotte, cette discipline est rarement démontrée ; de fait une voiture hybride rechargeable en mode essence ne présente aucun intérêt et pèse plus lourd qu’un véhicule simplement essence. L’Institut Fraunhofer a démontré en juillet 2022 que les consommations réelles des hybrides rechargeables éraient trois fois supérieures aux données publiées par les constructeurs et cinq fois supérieures pour les véhicules de fonction. De fait, les gouvernements tendent à réduire, voire supprimer, les aides fiscales sur ces véhicules, qui feront l’objet de normes plus strictes en 2025. En Allemagne, le marché des hybrides rechargeables, non subventionné,a chuté de 45% au premier trimestre 2023. En Chine les hybrides rechargeables restent subventionnées, et la demande est en croissance, mais les véhicules chinois sont préférés aux véhicules allemands, leur part étant tombée de 34% à 7% au premier trimestre 2023. 

Il faut donc évidemment développer des véhicules entièrement électriques qui offrent les mêmes prestations de confort et de luxe, mais imposent une maitrise parfaite des batteries et des moteurs qui n’était pas dans le cœur de métier de ces motoristes thermiques au sommet de leur art.

Le groupe Volkswagen, piqué au vif par le Diesel Gate, a été le premier à engager une offensive massive de réorientation de ses gammes vers l’électrique, s’appuyant notamment sur sa connaissance du marché chinois. Mercedes s’est engagé plus tard avec sa gamme EQ  comme BMW, pionnier avec l’i3 lancée en 2013, qui propose désormais sa gamme complète de berlines électriques. Toutefois les constructeurs allemands n’ont pas réussià convaincre les consommateurs chinois des vertus de leurs véhicules hybrides rechargeables, et, ce qui est plus grave pour le longe terme, de leurs véhicules électriques ; les constructeurs chinois qui ont parié sur cette technologie et y démontrent un savoir-faire remarquable – pour 20 000 €, la berline BYD Qin Plus dispose de 120 km d’autonomie en hybride électrique contre 60 km pour le modèle équivalent de VW - dominent leur marché domestique. Volkswagen est ainsi passé de 17% du marché chinois des hybrides rechargeable en 2021 à 2,8% en 2023. 

Enfin, il faut souligner que refusant d’abandonner le moteur thermique à carburant liquide, quelques constructeurs, comme Porsche et Ferrari s’accrochent à une alternative à base de carburants de synthèse modernes ne rentrant pas en concurrence avec les productions agricoles, le e-fuel, qui est un carburant de synthèse produit par combinaison de l'hydrogène, issu de l'électrolyse de l'eau, et de monoxyde de carbone, produit à partir du CO2 émis dans les processus industriels ou capté dans l'air, pour produire un hydrocarbure aux mêmes propriétés que l'essence. Cette technique, qui utilise de l'électricité, mais renouvelable, réduirait de 90% la production de CO2. Cette technologie se heurte à un problème technique, leur production et leur distribution en volume suffisant, et leur prix, plusieurs fois supérieur au carburant fossile qu'elles peuvent remplacer. Le carburant produit, neutre en CO2, n'est pas exempt de toxicité.  Ce serait donc une alternative intéressante sur le plan environnemental s’il était possible de produire de façon économique et en volume ces carburants « décarbonés ». Porsche ou BMW financent des recherches pour produire des e-carburants de façon compétitive tout en continuant leurs efforts pour les véhicules électriques à batteries. Mais il n’est pas aujourd’hui réaliste d’imaginer à grande échelle l’utilisation de ces carburants alors que la production en sera limitée et coûteuse.

Il est donc fort à craindre que l’industrie automobile allemande ait beaucoup plus perdu dans le Diesel Gate que les milliards d’amendes et d’indemnités qu’elle a dû payer aux gouvernements et à ses clients. Elle y a perdu sa crédibilité technique et son aura de confiance.

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