Cartel de la drogue : cette dangereuse capitulation de l’Etat mexicain dont personne ne se soucie <!-- --> | Atlantico.fr
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Des véhicules blindés quittent le bureau du procureur général mexicain chargé des enquêtes spéciales sur le crime organisé à Mexico, le 5 janvier 2023, après l'arrestation d'Ovidio Guzman, fils du trafiquant de drogue emprisonné Joaquin "El Chapo" Guzman.
Des véhicules blindés quittent le bureau du procureur général mexicain chargé des enquêtes spéciales sur le crime organisé à Mexico, le 5 janvier 2023, après l'arrestation d'Ovidio Guzman, fils du trafiquant de drogue emprisonné Joaquin "El Chapo" Guzman.
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Narcotrafiquants

La guerre a déjà fait plus de 400.000 morts dans le pays et ses effets pourraient rapidement s’exporter.

Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève

Pierre-Marie Sève est délégué général de l'Institut pour la Justice. 

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Atlantico : Les informations à ce sujet sont assez peu diffusées à l'international mais le Mexique est en proie depuis plusieurs années à une vraie guerre avec les cartels. Quel est réellement l'état de la situation ?

Pierre-Marie Sève : Le Mexique a toujours eu un problème de drogue. La proximité avec les Etats-Unis, immense marché très consommateur depuis les années 1960, en est la principale cause. Lors de la montée en puissance de la cocaïne au cours des années 1980, la Colombie s’est spécialisée dans la production tandis que le Mexique s’est spécialisé dans le transport et la distribution. 

Pendant longtemps, les cartels mexicains faisaient ce travail et produisaient relativement peu (toutes proportions gardées, avec notamment beaucoup de cannabis tout de même). Les cartels mexicains grandissaient en influence et en pouvoir mais la violence restait à des niveaux bas car le marché était très centralisé : le cartel de Guadalajara dirigeait tout. Additionnellement, l’Etat mexicain, dirigé par un parti unique depuis 70 ans, avait trouvé une sorte de terrain d’entente avec les cartels. 

Mais depuis, le cartel de Guadalajara s’est divisé en plusieurs cartels plus petits ce qui a entrainé des guerres de territoires et l’Etat mexicain a décidé, en 2006, de mener la guerre à ces cartels, ce qui entraine évidemment beaucoup de violences, notamment depuis l’intervention de l’armée régulière mexicaine. 

Aujourd’hui, la guerre contre la drogue continue car l’Etat et les cartels sont (officiellement en tout cas) à couteaux tirés. La violence est donc omniprésente dans les territoires où les cartels sévissent, c’est-à-dire principalement près des frontières Nord et sud du pays. 

Le nouveau président, Lopez Obrador, tente une approche moins frontale et a même déclaré que la guerre contre la drogue était terminée. Mais sur le terrain, rien ne change : une partie de la police et des politiques est corrompue, tandis qu’une autre partie fait clairement la guerre aux cartels, au péril de sa vie. Pensons ainsi à ces 5 juges fédéraux assassinés en 20 ans.

A l'inverse de ce que l'on pourrait croire, le Mexique n'est pas un narco état et le gouvernement et sa police ne sont pas tant corrompus et se battent vraiment contre le cartel. Comment expliquer que la situation ne soit pas maîtrisée dans ce cas ?

La définition de narco-Etat est très compliquée à utiliser. Aucun cartel ne cherche à mener les affaires étrangères ou l’éducation d’un Etat. Il ne remplacera pas l’Etat ainsi. Ce que veulent les cartels, c’est pouvoir faire leurs affaires tranquillement et avec le plus de liberté possible, ce qui inclut la liberté de pouvoir tuer ou voler les concurrents ou les personnes gênantes. 

Aujourd’hui, il y a de tout : des policiers et des militaires se battent vraiment contre les cartels, mais la corruption est également présente. Les policiers locaux dans certaines zones sont notoirement corrompus et le ministre de la Défense a été mis en cause et arrêté par les Américains. Bref, tout n’est pas blanc ou noir. 

Je pense justement que la corruption, si elle n’est pas systématique, est un des principaux obstacles qui empêchent de gagner cette guerre de la drogue. Mais il faut le dire, la mise en cause des cartels est plus que légitime, mais les cartels n’existaient pas avant la révolution hippie des années 1960. Sans consommateurs, il n’y a pas de producteurs et donc pas de cartels.

Comment le pays pourrait-il se sortir de cette sombre période qui en coûte autant au gouvernement qu'aux habitants ?

Je pense qu’une partie de la réponse se situe de l’autre côté de la frontière, côté américain. Si les Américains font un excellent travail du point de vue répressif, ils oublient trop souvent à mon goût, l’idée de la politique culturelle. La consommation doit baisser. La drogue est devenue cool dans les années 1960, lorsque la culture ambiante l’autorisait progressivement, et c’est là que les trafics sont nés. A l’inverse, l’Etat chinois a vaincu l’opium à l’époque où la propagande assimilait la prise de l’opium à un acte de trahison nationale. 

La guerre culturelle est indispensable, et c’est dans les pays consommateurs qu’il faut la mener.

Le gouvernement envisage de libérer el Chapo, qu'est-ce que cela révèle de la perte de ferveur avec laquelle le gouvernement se bat contre le trafic de drogue ?

Le gouvernement mexicain est pris entre deux feux en permanence : les cartels sont là, ils font vivre des gens et donnent du pouvoir à d’autres gens, qui vont l’utiliser pour influencer l’Etat. Sans parler de corruption généralisée, au mieux, le Président mexicain tente de ménager tout le monde y compris les cartels, car il a été élu sur une campagne de fin de la guerre contre la drogue. Je ne suis pas sûr que l’idée soit efficace et elle peut être potentiellement très dangereuse car elle pourrait donner de l’influence aux cartels jusqu’à un point où ils seraient complètement incontournables. 

Quelles leçons tirer de la situation Mexicaine pour la France ?

Arrive en France une immense vague de cocaïne, venue d’Amérique du Sud et notamment des cartels mexicains, qui viennent via l’Espagne ou le Benelux. Si la France veut stopper dès maintenant l’expansion du trafic, je vois 2 solutions : d’abord, une solution répressive qui concerne principalement la Justice. La Justice doit prononcer des peines beaucoup plus fermes qu’actuellement et doit porter une attention particulière à ces trafics. Deuxièmement : le volet culturel. La drogue doit être présentée pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un produit nuisible pour la santé et qui enrichit les pires organisations criminelles. On ne sait pas assez que les cartels tuent, mutilent, torturent leurs ennemis, parfois au hasard. Chaque gramme de cocaïne dans une narine française est un billet de 100€ pour que des trafiquants achètent des armes et tuent des hommes, des femmes et des enfants. Responsabilisons les gens.

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