Culture verte : Cécile Duflot réussira-t-elle à apprendre son métier de ministre ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Il ne s’agit pas de renier ses convictions mais d’apprendre l’art et la manière de s’exprimer"
"Il ne s’agit pas de renier ses convictions mais d’apprendre l’art et la manière de s’exprimer"
©Reuters

Passe le oinj'

Cécile Duflot s’est prononcée ce jeudi en faveur de la dépénalisation du cannabis. Une position qui va à l’encontre des annonces de François Hollande et du gouvernement sur le sujet.

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Institut Français de Presse, à l'université Paris-Panthéon-Assas. Responsable de la Licence information communication de l'IFP et chercheur au CARISM, il est aussi président du site d'information The Conversation France.

Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).

Le journalisme, Arnaud Mercier

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Atlantico : Cécile Duflot s’est prononcée ce jeudi en faveur de la dépénalisation du cannabis. Une position qui va à l’encontre des annonces de François Hollande et du gouvernement sur le sujet. Claude Bartolone a déclaré ce vendredi que cela constituait une « erreur de jeunesse gouvernementale ». Partagez-vous l’analyse du sénateur socialiste?

Arnaud Mercier : Je comprends le point de vue de Claude Bartolone qui fait un gentil rappel à l’ordre à la ministre du Logement. L’appartenance à un gouvernement représente traditionnellement un certain nombre d’astreintes et d’obligations quant aux prises de position publiques.

Il est d’usage, quand on renouvelle le personnel politique, de voir des gens qui n’ont pas toujours pleinement conscience de la répercussion que ce qu’ils disent peut avoir, à plus forte raison quand ils ont une étiquette de ministre. On l’a remarqué à l’occasion de l’affaire des « Jupettes » en 1995 qui est un grand classique du genre. Les hommes ou femmes politiques qui exercent des fonctions ministérielles pour la première fois découvrent que très vite, à travers la façon dont la mayonnaise monte autour d’une déclaration, leur statut de ministre change la répercussion médiatique de leurs propos.

De plus, en temps normal, l’action gouvernementale, les coalitions de personnalités, de partis, l’hyperactivité médiatique et les sollicitations permanentes sont autant de machines à fabriquer des « boulettes » en continue.

Cécile Duflot n’était-elle pas aussi forcée de répondre franchement, de peur de se mettre à dos sa base fidèle d’électeurs écologistes ?

Il me parait évident que dès lors que vous rentrez au gouvernement et que vous donnez le sentiment, par plusieurs déclarations, que vous êtes en train de renier ce que vous étiez au nom du devoir de solidarité gouvernementale, ceux qui vous ont soutenu peuvent à bon droit vous en vouloir.

C’était d’ailleurs tout le problème du Parti communiste en 1984 dans le cadre du gouvernement Mauroy puis Fabius. Ils avaient clairement un pied dedans et un pied dehors. Il y avait eu un très bon dessin de Plantu à l’époque sur le sujet. On y voyait Georges Marchais, chaque jambe sur une chaise en lévitation, essayant de tenir l’équilibre.

La position de la ministre du Logement est-elle de nature à troubler les électeurs sur les réelles intentions du gouvernement ? D’autant plus que, selon la configuration des prochaines législatives, d’autres membres de la gauche élargie peuvent également rentrer dans un nouveau gouvernement.

Il y a toujours ce risque. On l’a vu à l’époque de Lionel Jospin et de la gauche plurielle où les tensions et autres dissensions ont abouti au résultat que l’on sait en 2002. La multiplication des voix à gauche avait fini par affaiblir le navire amiral qu’était le Parti socialiste.

Mais je crois que la prochaine fois que Cécile Duflot se prononcera sur le sujet elle sera bien plus prudente. Il ne s’agit pas de renier ses convictions mais d’apprendre l’art et la manière de s’exprimer pour que sa prise de position personnelle ne soit pas perçue comme trop contradictoire avec celle du gouvernement.

Jean-Pierre Chevènement déclarait : "Un Ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne". Que dire de cette citation ?

Schopenhauer disait : « les panneaux indicateurs ne vont jamais à l’endroit qu’ils indiquent ». Au moins, Jean-Pierre Chevènement est un homme cohérent,  il s’applique à lui-même ses préceptes, ayant démissionné plusieurs fois…

Je pense qu’il a dit une vérité. Il exprime simplement le principe de solidarité gouvernementale à sa manière. Je pense néanmoins que cette règle s’applique à des enjeux importants qui mettent soit en place une vision politique ou une vision du monde en général.

Quelles peuvent-être les conséquences sur la communication externe et interne du gouvernement ? Devons-nous nous attendre à un serrage de vis des ministres ?

Je ne crois pas que l’on puisse considérer cela comme un couac. S’il y a un rappel à l’ordre plus strict, il ne sera certainement pas public. Ce n’est clairement pas le moment de faire cela, en pleine campagne électorale. Il ne faut pas non plus apparaitre comme les méchants qui tancent un proche allié électoral.

Personne n’a intérêt à jouer la carte de la dramatisation de cette anecdote, à part l’opposition bien-sûr. C’est ce qu’a compris ce vieux briscard de la politique qu’est Daniel Cohn-Bendit. Il est venu ce vendredi au secours de la ministre avec beaucoup d’humour. Pour lui, ce n’est « ni un pétard, ni une boulette »… Il est complétement dans cette logique de dédramatisation, il trouve ici une occasion de faire un bon mot.

Le phénomène de voix dissonantes à l’intérieur d’un gouvernement n’est pas nouveau. Quel illustre exemple pourriez-vous rapprocher du cas Duflot ?

Le meilleur exemple, transposable en raison du contexte, est celui de la TVA sociale de Jean-Louis Borloo en 2007. Mais pour le coup, la boulette était majeure, beaucoup plus importante. Dans ce cas, le rappel à l’ordre était bien plus clair, Nicolas Sarkozy était véritablement furieux.

Mais encore une fois, le sujet était majeur, très conflictuel. Jean-Louis Borloo venait réveiller une forme d’ambiguïté dans la position du gouvernement. Dans le cas de Cécile Duflot, la ligne de François Hollande est claire depuis des mois et des mois sur la question de la dépénalisation du cannabis. Je pense que ce genre de voix dissonantes ne pose problème que quand cela arrive sur une situation ambiguë et que la prise de parole du ministre donne le sentiment que l’on sort de cette ambigüité pour trancher sur quelque chose.

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

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