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Exilés fiscaux : la campagne présidentielle, concours Lépine de la taxe la plus déconnectée de la réalité
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Compétition

Sarkozy, Hollande comme Mélenchon, tous se trompent dans leur volonté de lier nationalité et fiscalité. Il existe des myriades de cas qui font de ce principe une fausse bonne idée.

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Alors que la dette publique s’élève en France à 85 % du PIB et le taux de prélèvements obligatoires à 45 % (un record en Europe), on aurait pu penser que les candidats allaient rivaliser d’idées pour diminuer la dépense publique. Que nenni ! La campagne présidentielle est devenue un concours Lépine de la taxe la plus créative. Hollande propose, un soir, de passer la tranche supérieure à 75%? Qu’à cela ne tienne ! Au petit matin, Sarkozy décide de créer un impôt spécial pour Google. Taxer (les autres) semble toujours aussi populaire en France.

La dernière mode cette semaine a été de s’en prendre aux Français vivant à l’étranger. Comme s’ils avaient soudain découvert un gisement de pétrole délaissé par leurs prédécesseurs, nos deux candidats ont décidé d’aller chercher au lasso les Français qui osent payer leurs impôts à un autre Etat, en prétendant s’en prendre à « l’exil fiscal », notion commode. C’est une aberration technique et surtout une immense faute historique et morale.

Après la première sortie du président-candidat lundi, l’UMP a immédiatement tenu à rassurer les 2 ,5 millions d’électeurs qui résident à l’étranger. Nathalie Kosciusko-Morizet, proclamée pour l’occasion « porte-parole aux Français de l’étranger », s’est même fendue d’une très médiocre vidéo où elle différencie d’une voix mal assurée le méchant « exilé fiscal » cynique du gentil « expatrié » travailleur dont elle espère bien la voix. Mais hormis une poignée de grandes fortunes armées d’avocats fiscalistes, et qui ne seront pas à mal de semer les inspecteurs des impôts avec leurs gros sabots, comment le fisc pourra-t-il diable distinguer les deux catégories ? Facile, nous répond Nathalie : en taxant les revenus du capital (plus-values, intérêts, dividendes), pas du travail, et seulement lorsque leur taxation est inférieure à ce qu’elle eût été en France. Mais quid des entrepreneurs qui se rémunèrent sur le capital de leur entreprise? Quid des employés qui sont payés en actions ? Quid de ceux qui ont acquis leur capital en travaillant à l’étranger ? Quid des pays qui optent pour un taux plus élevé mais une assiette moins large (ou l’inverse) ?

On le voit, une telle mesure imposera nécessairement que tous les Français de l’étranger remplissent une déclaration de revenus au fisc français, qui exercera ses méninges à distinguer les « bons » revenus des « mauvais », puis à comparer les systèmes d’imposition de 160 pays. Autant dire que les Français de l’étranger auront le bonheur de retrouver à domicile ce pourquoi ils ont souvent quitté leur mère-patrie : les lourdeurs administratives, les paperasses à remplir, les explications à donner. La suspicion du fonctionnaire vis-à-vis de l’homme libre.

Le candidat socialiste, qui avait annoncé lors de son meeting à Londres vouloir « plus d’administration française auprès des Français de l’étranger » (elle nous manquait tant !), a tout de suite vu la richesse bureaucratique de cette idée. Trois jours après, il a promis de faire de même en « élargissant » encore l’impôt proposé par son rival. Plus modeste, il commencera par renégocier les conventions fiscales avec trois pays (Belgique, Suisse, Luxembourg), mais avec en tête d’étendre peu à peu le dispositif au reste du monde. Cela prendra dix ans, a-t-il précisé : en l’espace de deux mandats, chaque Français de l’étranger pourra donc guérir sa nostalgie du pays en conversant tous les mois de mai avec un agent du fisc français.

Qu’on se rassure, ces mesures, comme bien d’autres, ne verront jamais le jour car leur coût serait extravagant et la difficulté de leur mise en œuvre presque insurmontable. Mais elles trahissent, dans leur principe, une profonde ignorance de la France, inquiétante chez des gens qui prétendent la représenter.

Le scandale se résume dans la formule utilisée par Nicolas Sarkozy : « ‪Je souhaite que la fiscalité et la nationalité soient liées ». Comme les Américains, précisa-t-il fièrement, en une (rare) réminiscence de son atlantisme d’antan (les Américains doivent déclarer l’ensemble de leurs revenus à leur administration nationale, où qu’ils se trouvent dans le monde). Or, si ce lien existe aux Etats-Unis, c’est pour une raison historique précise : lors de la fameuse Boston Tea Party de 1773 qui déclencha la guerre d’Indépendance, les Américains contestèrent d’être soumis par les Britanniques à une « taxation without representation », un impôt sans représentation politique. Cet événement majeur dans la naissance des Etats-Unis explique que, depuis, la fiscalité soit associée au sentiment d’appartenance à la nation.

Rien de tout cela en France. Au contraire ! Sous l’Ancien Régime, les récurrentes révoltes paysannes contre la gabelle ou les impôts par capitation ont irrémédiablement lié la fiscalité à une forme d’injustice, à l’arbitraire des puissants. C’est pourquoi la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, sur laquelle tout notre système juridique repose encore aujourd’hui, se contente d’une définition extrêmement pragmatique de l’impôt à son article 13 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ». Autrement dit, l’impôt sert à assurer le fonctionnement de la société dans laquelle on vit, et rien d’autre. En France, la nationalité n’est pas fondée sur l’impôt, mais sur la citoyenneté. Un compatriote vivant à l’étranger peut donc se sentir pleinement Français, tout en payant ses taxes à l’Etat qui assure présentement sa protection, sa santé ou l’éducation de ses enfants.

En liant au détour d’une phrase nationalité et fiscalité, Nicolas Sarkozy, immédiatement suivi par le courageux François Hollande, est donc revenu sur un des principes fondateurs de notre Etat moderne. Le Conseil Constitutionnel l’arrêtera peut-être en temps voulu. Sinon, ce sera l’administration fiscale, débordée par un texte inapplicable. En attendant, les Français de l’étranger exprimeront dans les urnes leur indignation envers des partis qui les méprisent et qui méprisent la France.

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