Campagne d’Eric Zemmour : Sarah Knafo, une stratège saluée… même dans la défaite<!-- --> | Atlantico.fr
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Ava Djamshidi et François-Xavier Ménage publient « L'intrigante Sarah Knafo » aux éditions Robert Laffont.
Ava Djamshidi et François-Xavier Ménage publient « L'intrigante Sarah Knafo » aux éditions Robert Laffont.
©bERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Ava Djamshidi et François-Xavier Ménage publient « L'intrigante Sarah Knafo » aux éditions Robert Laffont. A moins de trente ans, une jeune femme s'est invitée dans la campagne présidentielle en fabriquant un objet électoral inédit : Eric Zemmour. Enarque, brillante, Sarah Knafo a bouleversé les équilibres de la droite et du paysage politique français. Extrait 2/2.

Ava Djamshidi

Ava Djamshidi

Ava Djamshidi est grand reporter pour le magazine ELLE et couvre l'actualité politique en France et à l'étranger. Elle est l'auteure, avec Nathalie Schuck, de Madame la présidente (Plon, 2019).

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François-Xavier Ménage

François-Xavier Ménage

François-Xavier Ménage est grand reporter pour TF1. Il a réalisé plusieurs documentaires sur la présidentielle de 2022 et couvre l'actualité internationale. Il est l'auteur de Fukushima, le poison coule toujours (Flammarion, 2016) et Les têtes baissées (Robert Laffont, 2022).

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Dans le cœur d’un militant, il y a toujours la possibilité d’un miracle. Ce 10 avril 2021, les proches du candidat de Reconquête ! partagent sous le manteau les premières tendances et les derniers espoirs. Ces indicateurs ne disent rien de bon. Beaucoup y croient encore pourtant. Qui sait… Mais la tendance se confirme. À 18 heures, Sarah Knafo n’a plus de doute. L’homme à la croisée de ses vies privée et professionnelle est éliminé de la course à l’Élysée. La déception affleure mais n’a pas le temps de la déstabiliser, pas encore. Il faut travailler, préparer la sortie d’Éric Zemmour, ses adieux à la présidentielle de 2022. Chez elle, tous deux confectionnent en tête-à-tête ce texte auquel ils songent depuis des jours déjà. Plusieurs trames ont été envisagées en fonction des scénarios. Le pire pour eux  : une qualification de Jean-Luc Mélenchon qui, à leurs yeux, leur aurait fait porter le mauvais rôle. Celui de priver Marine Le Pen de second tour et, ce faisant, leurs électeurs d’une figure nationaliste face à Emmanuel Macron dans le duel final.

À 20 heures, le couperet tombe. Très loin des 17 % que lui promettaient des sondages éblouis deux mois plus tôt, Éric Zemmour n’a convaincu que 7 % des électeurs. Un ratage sans appel. La preuve que les Français n’ont pas adhéré au « grand remplacement ». Le score n’est même pas assez reluisant pour faire croire à des lendemains enchantés…

Il faut parler pourtant. Prononcer cette allocution minutieusement préparée pour remercier ceux qui y ont cru, quand bien même ils sont moins nombreux qu’espéré, et leur indiquer la marche à suivre le 24  avril, quoique, pour ces électeurs d’extrême droite, elle semble évidente. À 20 h 50, le polémiste nationaliste apparaît, mine contrite, épaules affaissées, sur la scène de la Mutualité, à Paris, pour s’adresser à ses sympathisants et les inviter à voter pour Marine Le Pen. La défaite est amère, Éric Zemmour se réconforte comme il peut : « Merci de la confiance que vous me donnez ce soir. Je continuerai de défendre la France et nos idées. Je suis certain que bientôt nous l’emporterons. » Quand ? Comment ? Rien de tangible, des mots faibles pour masquer la déconvenue d’une aventure politique qui se voulait une guerre éclair.

La grande prêtresse de cette campagne absorbe chacun de ses mots, chacune de ses inspirations. Son visage reste impassible. Caméras et objectifs curieux traquent stigmates et émotions dans cette salle habituée aux gifles électorales. Cinq ans plus tôt, c’est ici que Benoît Hamon a appris son score, 6,3 %, le plus faible jamais enregistré par le parti socialiste jusque là. Les militants zemmouristes, eux, font contre mauvaise fortune bon cœur. À 22 heures, ils sont encore là, à tenter de digérer ensemble cet échec.

Au cinquième étage, à l’intérieur de la loge Poissy, des stores en bois voilent les fenêtres. L’heure est à l’exégèse de la campagne. Sur les canapés noirs sont installés le candidat malheureux et sa conseillère si spéciale, Philippe de Villiers, ainsi que le général Bertrand de la Chesnais, le directeur de campagne. Ils n’ont pas le cœur à savourer les sablés d’artichaut truffés, le crémeux de chèvre frais, ni à picorer des fraises disposées sur la table. Ils refont le match, triturent le cours de leur petite histoire. Si tout pouvait être réécrit, qu’auraient-ils fait différemment ? Que pourraient-ils changer ? Si les débats sont animés, souvent, leurs regards se noient sur la moquette crème. Ils n’ont aucun regret pourtant, et se le répètent à voix haute.

Sarah Knafo continue de sourire et de songer à des jours meilleurs pour leur famille identitaire. L’action et l’avenir en ligne de mire comme remèdes pour éviter de ressasser : « Maintenant, on fait quoi ? Maintenant, c’est le parti, les législatives. On y va ! On y va ! » Son candidat et elle admettent tout de même qu’il convient de souffler. « Un temps de repos, un temps de recul », disent-ils. La mécanique très froide et lucide de la conseillère saisit le général. « Elle n’a jamais de ressentiment », note-t-il, admiratif.

Ces dernières heures, ces derniers jours, les collaborateurs de la campagne scrutent sa cheville ouvrière avec plus d’attention encore. Sarah Knafo continue de les fasciner. Certains soldats n’hésitent pas à lui manifester leur reconnaissance. Le baisemain d’Olivier Ubéda, avant l’entrée en scène d’Éric Zemmour dans le Palais des Sports, pour le dernier meeting, à trois jours du premier tour. L’émotion déborde alors la conseillère qui laisse échapper quelques larmes, aussi discrètes qu’inhabituelles.

À la Mutualité, dans une petite salle, ce soir de débâcle, Sarah Knafo tombe sur le responsable des parrainages, Dénis Cieslik, très droit dans son costume cravate. « Merci patronne, merci de m’avoir donné ma chance », lui dit-il. Son aînée (d’un an) sourit avant de tourner les talons. Lui enfile les éloges : « Elle a tout compris. Même dans les moments durs, elle sait où elle va. » Par-dessus tout, elle sait fédérer, galvaniser. Malgré ce score étriqué, il en est convaincu : « L’avenir de la droite, c’est nous. » Il est vrai que la candidate des Républicains, Valérie Pécresse, n’a même pas réussi à passer la barre des 5 %. Ce qui fait croire aux zemmouristes qu’ils pourraient désormais constituer le premier parti de droite en France. Mais ils ne considèrent pas un instant que les deux candidats qui accèdent au second tour, Emmanuel Macron (27,8 %) et Marine Le Pen (23,1 %), représentent eux-mêmes cette partie de l’échiquier politique. L’admiration peut rendre aveugle.

D’autres collaborateurs, plus rares, sont moins dithyrambiques à son propos. Sarah Knafo est parfois jugée cassante. Son omniprésence irrite. Le soir de la déroute, l’une des pièces maîtresses du dispositif verse quelques larmes d’amertume en évoquant son nom. Elle incrimine l’intransigeance, le ton tranchant, les mots blessants… Mais la majorité de ses soldats vantent ses qualités, comme s’ils étaient ensorcelés. Son ami Julien Madar célèbre avec emphase sa « mécanique intellectuelle hors norme ». Rien de moins. Tous l’encensent avec grandiloquence dans une débauche de superlatifs.

Ils sont beaucoup moins diserts sur les messages qu’elle adresse à ses proches depuis des semaines. Ses doutes, ses interrogations. Elle peine à trouver un moyen d’enrayer la chute de son champion dans les enquêtes d’opinion, conséquence de la sanglante invasion russe en Ukraine. La campagne présidentielle ne pardonne pas les fautes de carre, et celle d’Éric Zemmour ne sera jamais parvenue à inverser la tendance.

Très vite, Sarah Knafo mesure pourtant les conséquences des missiles russes pour leur propre destinée. Le 23  février, à la veille de l’intervention militaire déclenchée par Vladimir Poutine, le candidat est au seuil du second tour dans les enquêtes d’opinion. Dix-sept pour cent… Ils n’ont jamais été si proches. Dans les cercles politiques et médiatiques, la perspective commence à faire frémir, comme si elle était envisageable désormais. Dans les sondages, sa courbe, ascendante, croise celle de Valérie Pécresse, en chute libre, et de Marine Le Pen, en baisse. Éric Zemmour peut se prendre à rêver. Jusqu’à ce que l’autocrate préféré du polémiste ne prenne la décision funeste de faire tonner les canons. « Merde », lâche-t-elle lorsque le maître du Kremlin décide d’envahir l’Ukraine. À ses proches, elle dit avoir compris ce jour-là que la qualification pour le second tour était compromise.

Un mauvais « coup du destin », dixit la conseillère. Elle en est convaincue, la sociologie des potentiels électeurs d’Éric Zemmour –  cette droite conservatrice et bourgeoise qui avait plébiscité François Fillon en 2017 – ne va pas suivre. Ces derniers, très préoccupés par l’actualité internationale, ne sont pas allants à l’idée de changer de capitaine en pleine tempête, quand bien même ils ne partagent pas les vues de l’homme à la tête du navire France.  Son analyse  : les « CSP + », ces catégories socioprofessionnelles supérieures, vont placer les enjeux diplomatiques et militaires avant les considérations internes. Au fil des jours, l’intuition de Sarah Knafo se confirme dans les enquêtes d’opinion. Éric Zemmour entame sa descente. Marine Le Pen – dont les électeurs sont prioritairement plus concernés par les questions de pouvoir d’achat, elle, reste stable. La directrice de la campagne en tire cette conclusion : leur défaite n’est pas stratégique, mais sociologique. On se console comme on peut…

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Ava Djamshidi et François-Xavier Ménage publient « L'intrigante Sarah Knafo » aux éditions Robert Laffont

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