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Bruno Retailleau : « Chez LREM, le néolibéralisme économique et financier fusionne avec le gauchisme culturel »
©LUDOVIC MARIN / AFP

Grand entretien

"Se refonder ou s'effacer. Aujourd'hui, la droite est à la croisée des chemins", écrit Bruno Retailleau dans son nouveau livre, Refondation (éditions de l'Observatoire). Le président du groupe LR au Sénat s'est confié à Atlantico sur ces changements qu'il appelle et sur le climat politique actuel.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Bruno Retailleau

Bruno Retailleau

Bruno Retailleau est sénateur (élu en Vendée), président du groupe Les Républicains au Sénat et président du mouvement Force Républicaine, fondé en 2002 par François Fillon.

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Jean-Sébastien Ferjou : Le livre que vous publiez s'appelle Refondation (éditions de l'Observatoire)mais c'est aussi largement une entreprise de démolition que vous proposez, que ce soit dans votre description des deux premières années du quinquennat Macron ou de l’état de la droite que vous qualifiez de féodalisée. Cédez-vous vous aussi à ce dégagisme version « chic » qui a permis à Emmanuel Macron de se faire élire ?

Bruno Retailleau : Non, je ne m'inspire pas de la méthode Macron (rires) ! Mais Emmanuel Macron a gaspillé ses deux premières années. Il a beaucoup dit mais très peu fait. Cela étant dit, je lui donne une circonstance atténuante, c'est que les conditions de l'élection présidentielle ne lui ont pas permis d'exposer correctement, avec clarté, les enjeux à venir.

En ce que concerne Les Républicains, je ne démolis rien mais je considère qu’il faut affronter la réalité de nos échecs. Si on remonte dans le temps, on voit que la droite a d’abord fui le débat d'idées par peur du magistère intellectuel, universitaire et médiatique de la gauche. Elle s'est alors réfugiée dans l’économisme, et a voulu être gestionnaire. Malheureusement, une fois au pouvoir, elle est souvent apparue en mauvaise gestionnaire. 

Dans un deuxième temps, elle a cessé de réfléchir reprenant même des idées de la gauche, des mots de la gauche. Lorsque j'ai entendu un certain nombre de mes amis critiquer François-Xavier Bellamy, par exemple, ils le critiquaient dans le langage de la gauche, avec les mots de la gauche. Il ne faut donc pas s'étonner si notre électorat a été totalement déboussolé. Dans un autre registre, les relations de Nicolas Sarkozy avec Emmanuel Macron ont aussi perturbé certains de nos électeurs. 

Ce qui est grave, c’est qu’au fil des années, la droite a abandonné tout un champ idéologique et sémantique : l'idée de transmission, de nation, de liberté. La droite française est sans doute la plus étatiste du monde et quand je reverrai Finkielkraut je lui dirai d'écrire non pas un livre sur l'identité malheureuse mais sur la liberté malheureuse.

Justement cette bataille sur les mots vous en parlez dans votre livre, notamment sur les mots piégés que sont à vos yeux les mots conservatisme et progressisme. Ce faisant, ne cédez-vous pas un peu au même travers ? Pourquoi ne pas aller au bout des choses en assumant d’être conservateur ? D’autant que vous écrivez en conclusion que la droite doit s’appuyer sur la liberté et l’identité... libéral identitaire, est-ce vraiment un qualificatif moins piégé que liberal-conservateur ?

C'est simple, ces mots sont piégés et ils empêchent dans le débat politique français de poursuivre un raisonnement. Ils ne sont pas faits pour qualifier une pensée mais pour la disqualifier avant même que vous n'ayez pu commencer à convaincre. 

Ensuite, c'est parce que je me méfie des mots en -isme. Disraeli se présentait lui-même comme le plus progressiste des conservateurs avec cette phrase « réformer ce qu'il faut et conserver ce qu'il vaut ». Je pense que lorsque l'on parle de liberté comme d'identité, l’une comme l’autre sont multiples. Les libertés sont nombreuses : les néolibéraux, par exemple, veulent la liberté, or la liberté qu'ils veulent n'est pas la liberté que je veux, je veux une liberté enracinée. 

Je pense que la pathologie du monde occidental -et ce qui crée d'ailleurs parfois un désir de démocratie illibérale- c’est qu’on est parvenu à une forme d'exaltation libertaire de la liberté qui ne reconnaît plus aucune limite. Moi je veux la liberté mais avec des limites. 

Je ne veux pas une société de marché mais une économie de marché. Je pense que tout ce qui est possible avec la technique n'est pas souhaitable humainement. Il faut que la rhétorique des droits individuels soit bornée par la possibilité de construire quelque chose de commun. 

L’enjeu de la décision du conseil constitutionnel sur le texte anti-casseurs était celui-là : savoir où l’on place le curseur entre la possibilité pour la démocratie française de se défendre contre les blacks blocs et les cagoulés d’une part et la défense de la liberté individuelle de manifester y compris en cassant d’autre part. Je me félicite que le Conseil constitutionnel ait rejeté la plupart des arguments des détracteurs du texte et validé la création d'un nouveau délit de dissimulation du visage. Le Conseil constitutionnel confirme donc que notre démocratie peut se donner les moyens de lutter contre l'hyper-violence. 

Donc quelle liberté aujourd'hui ? Beaucoup s'en réclament mais ma liberté à moi n'est pas celle des néolibéraux. Pour l'identité c'est la même chose. Que met-on dans l'identité ? Moi j'y mets par exemple la république laïque. Je ne veux pas qu'on touche à la loi de 1905, je ne veux pas que l'on crée un islam de France notamment pour des raisons d'efficacité. Notre identité c'est tout autant un modèle social, j'y tiens, que des droits civiques. 

On a besoin de la liberté et quand on lit les grands philosophes de la liberté, il faut parfois protéger la liberté contre ses fanatiques. Aujourd'hui on en est là.

Vous parliez d’Islam, cette semaine, à l'Assemblée Nationale, Mme Belloubet a déclaré que la France avait toujours été multiculturelle. Quand vous entendez par ailleurs Mme Loiseau dire que le voile de Mère Teresa a la même signification qu'un voile islamique, que vous inspirent ces propos ?

Vous avez là l'exemple typique du fait que, chez un certain nombre d'hommes et de femmes politique, le clivage gauche droite ne veut plus rien dire. Il y a, par exemple, une convergence idéologique entre Mme Belloubet qui vient de la gauche et Mme Loiseau qui vient de la droite et qui était juriste sur ce thème précis. 

Chez LREM, le néolibéralisme économique et financier fusionne avec le gauchisme culturel, ce libéralisme libertarien, culturel et multiculturel. 

Il y a pourtant une incompatibilité dans les propos de Mme Belloubet, elle devrait relire ses textes : en France on ne peut pas être laïque et multiculturaliste. Il faut choisir. L'incompatibilité est totale car nous ne sommes pas un archipel de communautés.

La laïcité c'est cette idée que l'homme particulier peut se déployer dans un espace privé mais que le citoyen, lui, est universel, et dans l'espace public il relaye au second plan ces choix personnels. 

Le multiculturalisme est une émanation du modèle anglo-saxon, c'est en ça que Régis Debray avait traité un jour Emmanuel Macron de galloricain. Quand Macron fait l'éloge du multiculturalisme à la tribune du Congrès aux Etats-Unis, il sort du modèle français, qui est l'assimilation, pour embrasser le modèle anglo-saxon. 

La contrainte c'est d'assimiler nos valeurs : je pense que le mot assimilation dit beaucoup plus que le mot intégration - on n'intègre pas des valeurs comme la liberté de croyance, l'égalité hommes-femmes ou la fraternité, on les assimile. L'assimilation, c'était des contraintes et de l'autre côté une promesse. Quand on devient français par le cœur et l'esprit en acceptant l'héritage et en entrant dans le destin commun on est alors totalement français.

Comment trouver un équilibre ? La laïcité est une notion profondément chrétienne dans son histoire mais aussi parce que le catholicisme n'est pas une religion fondée sur l'observance. Si vous faites le carême ça ne va pas beaucoup se voir. Si vous êtes musulman ou juif, forcément l'observance a une forme de visibilité. En tant que croyant, ne peut-on pas accepter que les autres puissent s'inscrire dans la logique de leur religion dans la mesure où ça ne remet pas en cause les valeurs fondamentales de la République française ?

Si, on le peut mais avec une autre limite, c'est-à-dire celle de la définition moins connue de la laïcité, que j'aimerais voir figurer un jour dans la constitution. 

La définition la plus connue de la laïcité c'est la neutralité : l'Etat ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Mais l'autre définition, qui a été confirmée en 2004 dans une grande décision du Conseil constitutionnel, c'est que nul ne peut, s'appuyer sur sa religion pour échapper à la loi commune. C'est ça la laïcité. 

On ne peut pas refuser de voir un médecin femme dans un hôpital public au motif qu’on est musulman. La loi commune vaut pour tous. La République ne demande à personne d'abdiquer sur ce qu'il est mais il y a une forme de pacte non-ostentatoire qui est important.

Vous parlez dans votre livre de « coup d’Etat intellectuel » au sujet d’Emmanuel Macron. Diriez-vous que le président de la République est une menace pour la liberté ou la démocratie, non pas à cause des lois anti-casseurs dont vous êtes d'ailleurs à l'origine mais peut-être parce qu'il peinerait à respecter la volonté populaire quand elle diffère de ce qu’il considère comme « raisonnable » ?

Ce travers est plus largement celui du progressisme. Pire que de vouloir incarner la raison à tous prix, il s'agit de vouloir incarner le camp du bien. Or, cette rhétorique est dangereuse notamment en ce qu'elle oppose les Français entre eux. 

Quand on a le sentiment d'incarner le bien on a un raisonnement totalement manichéen avec un risque de fracturation de l'Europe comme on n'en a rarement vu. Evidemment, cette espèce de moralisme, de sentiment de supériorité, c’est une forme de négation du débat démocratique. 

Finalement, Emmanuel Macron en prétendant dépasser le clivage gauche droite considérait surtout qu'il récapitulait en lui-même tout débat politique. Il a donné ses initiales à son propre parti politique. C'est nocif pour la démocratie. 

Sa vision de la politique est une menace. Il exprimait une forme de saint simonisme : l'utopie technocratique. L'idée selon laquelle quelques experts éclairés pourraient diriger un pays. C'est la négation du peuple. 

Avez-vous l'impression que chez Les Républicains, vous êtes réellement libérés de cette menace ou de cette tentation ?

On ne se libère que par la réflexion, par l'autodéfinition qu'on peut donner de nous-mêmes. Tant que nous n’aurons pas défini clairement ce que nous sommes -et pas par des mesurettes ou des gadgets- nous serons condamnés à la cacophonie. Pire, nous serons condamnés à nous déterminer quasi exclusivement par rapport à Emmanuel Macron ou Marine le Pen. 

Vous évoquiez François-Xavier Bellamy. Il fait bien mieux que ce à quoi s'attendaient certains à droite -ceux pour qui le conservatisme ne peut pas être une force politique- donc dans leur esprit il y a une dynamique par rapport au score qu’ils lui prêtaient à priori, à moins de 10%. Dans la réalité, il n'y a pas de vraie dynamique dans les sondages même s’il bénéficie de la mobilisation d’un bloc sociologique. Comment passer de ce bloc à un groupe capable de représenter la majorité de la population ?

François Xavier Bellamy a enclenché une dynamique. Il lui reste à se déployer et à devenir une tête de liste qui ne soit pas uniquement LR. Il doit aller au-delà de la simple étiquette. Nous devons avoir suffisamment de modestie pour l'accompagner sans forcément le repeindre à nos couleurs à chaque instant. Quand je me suis présenté à une élection je suis toujours parvenu à aller au-delà de l'étiquette politique. 

Ensuite je pense que le problème de l'archipelisation de la société française que décrit très bien Jérôme Fourquet dans son récent livre est préoccupant. Il faut reconstruire du commun. 

C'est la responsabilité de M. Macron mais c’est aussi la notre à droite. Il faut nous emparer du thème de la liberté, de la remise en marche de l'ascenseur social, du régalien. Je pense que la droite n'a pas à céder à un discours socialiste faussement de gauche, faussement généreux pour reconquérir les classes populaires. On n'a plus le langage de la nation aujourd'hui. Nous pouvons rassembler. Si nous sommes ce que nous devons être, il n'y a aucune raison de ne pas pouvoir prétendre à rassembler une majorité. 

Vous citez Jaurès dans le livre... « Il y a une chose que la classe moyenne des commerçants  perd peu à peu sous la pression des grands capitaux : c’est l’espérance d’arriver haut (…) Pourquoi les y-a-t-il eu une révolution en 1789 contre la féodalité territoriale et mobilière ? Parce que la bourgeoisie française valait mieux que sa condition ». Avez-vous l’impression que Les Républicains peuvent sortir de leur réduit sociologique en se contentant de parler de baisse des dépenses publiques et de répression policière, en étant simplement le parti de l'ordre et de la vertu gestionnaire ?

Il faut que nous soyons le parti de la France et de tous les Français. Et que nous montrions un chemin de prospérité, pour leurs enfants. Car il y a des solutions. Nous devons protéger et réformer. Pas déformer un modèle social. 

Lorsque la sécurité sociale a été inventée par exemple, elle l'a été comme une institution pilier de la démocratie : elle est là pour signifier qu'il y a un lien entre chaque Français. Avec un principe : vous allez cotiser selon vos moyens et vous recevrez selon vos besoins. Je pense qu'on trouvera dans mon livre un corpus qui doit permettre à la droite d'être fière de se s valeurs et de ne jamais oublier que la politique doit aussi prendre soin des plus fragiles. 

A ce titre, la poursuite des déficits est une bombe à retardement pour les plus fragiles. Je pense qu'on a une explication de pédagogie à faire. Elle suppose un énorme travail d'abord sur nous. On convaincra les Français par la sincérité, par un projet très fort, en incarnant un idéal. Et cet idéal pour moi c'est la France. Les Français attendent de redevenir un seul peuple, plutôt que cet archipel de communautés. Je suis convaincu qu'avec un nouveau projet, on peut les convaincre. Mais il faut un projet original, refondé et puis porté fièrement.

Le gouvernement doit présenter cette semaine la synthèse du Grand Débat. Quel « atterrissage » vous paraît-il possible dans la mesure où la crise des Gilets jaunes a révélé que la promesse d'Emmanuel Macron n'a pas vraiment été comprise par les Français ? Quand on voit, de manière répétée dans toutes les enquêtes d'opinion que la politique économique du gouvernement est perçue à la fois comme "injuste" et "inefficace", que pourrait-il dire qui lui permette de refonder son quinquennat sans passer par la case élections ?

Je pense que le retour au calme et la reprise du fil de l'histoire du quinquennat devra passer par les urnes. La légitimité vient des urnes, et un référendum pourrait être une excellente sollution. 

Aujourd'hui, Macron est fortement contesté non pas uniquement à cause de la taxe énergétique mais aussi parce qu'il a très lourdement déçu les Français. Le constat est là. Et c'est pour cette raison, que je pense que rien ne sortira du Grand Débat, notamment parce qu'aujourd'hui s'expriment 30 années de malaise démocratique et de malaise économique. 

Le problème de la société française c'est que nous nous appauvrissons et que l'économie française ne parvient pas à créer suffisamment de richesses pour élever le niveau de vie des Français. On a masqué cette réalité par une avalanche de dépenses publiques et une dette massive. Seulement, lorsque que l'on se compare à d'autres pays, il est évident que notre niveau de vie baisse par rapport à celui des Suédois, des Belges ou des Allemands. Or, tant que l'impôt n'aura pas baisser et que par conséquences les dépenses publiques n'auront pas été réduites, tant que l'on ne fera pas sauter les 35h, on ne s'en sortira pas. 

Emmanuel Macron a trahi deux promesses. Sa première trahison c'est de ne pas avoir transformer la France tel qu'il l'avait promis. Alors qu'il devait être le Mozart de l'économie, la France se retrouve au 25ème rang du chômage au niveau européen. En ce qui concerne les impôts, on est toujours au premier rang des pays occidentaux et sur les dépenses publiques on est au 28ème rang.  Il n'y a donc eu aucun résultat au regard de cette promesse de transformation. 

La deuxième trahison repose sur la promesse d'une justice sociale, la promesse d'une réconciliation s'est retrouvée noyée dans l'injustice fiscale. Bien sûr, il fallait mettre la flat tax en place et supprimer l'ISF car les très grandes fortunes y échappaient ce qui était contreproductif pour l'emploi et l'investissement en France ; mais on ne peut pas faire cette politique fiscale qui profite au très riches tout en sur-fiscalisant les retraités. Le résultat, c'est qu'Emmanuel Macron et son gouvernement ont fait bien des cadeaux aux très riches tout en retirant énormément à 98% de la population.

Quelle pourrait être la question soumise à référendum ? 

Il me semble que la crise des Gilets Jaunes est partie de questions matérielles c'est-à-dire de la baisse de pouvoir d'achat, des impôts jugés trop importants... auxquelles sont venues s'accoler d'autres problématiques tel que le mal être et les grandes questions existentielles comme la dépossession identitaire… 

Marcel Gauchet l'a reconnu dans son livre "Le malheur français", c'est sans doute la question de l'immigration qui a depuis 30 ans modifié le plus profondément la société française dans sa perception de son être collectif. Cette question, on a refusé que le peuple en débatte. Elle a été soigneusement écartée par le système médiatique et politique. 

De ce fait, je pense qu'une des questions que l'on devrait poser aux Français serait de permettre au Parlement de fixer chaque année, sous la surveillance du peuple, des quotas d'immigration pour que la politique d'immigration soit débattue de façon transparente. Il n'est quand même pas normal que l'on ait atteint l'an dernier un pic de 252 000 entrées sans compter les entrées illégales. Alors que nous avions précédemment environ 100 000 nous avons bondi de 20% en 2018. Il me paraît donc que questionner les Français à ce sujet s'impose.

Ne serait-ce pas un risque politique car d'une part, bien que la question de l'immigration soit très importante, la priorité des Français semble centrée sur le pouvoir d'achat et d'autre part parce qu’il est difficile de faire respecter les objectifs dont vous parliez ? Est-ce que l'État en a vraiment les moyens ?

Je pense effectivement que l'État en a les moyens, maintenant il faut en avoir la volonté. Il y a par exemple des textes à modifier. Quand j'observe ce qu'ont fait les Danois, ce qu'on fait Suédois qui étaient une grande puissance humanitaire, ce qu'est en train de faire l'Allemagne qui a limité le regroupement familial notamment pour les réfugiés, je constate que la France est devenue le pays européen le plus attractif pour les migrants. La politique peut se réapproprier un processus de décision qui puisse infléchir la réalité des choses.

Il faut bien sûr traiter la question du pouvoir d'achat mais on ne le fera pas par référendum. Ce problème-là se traite de deux manières : en réduisant les dépenses publiques et en mettant plus de travail sur la table. En effet, aucune société ne peut s'enrichir, ne peut se développer, ne peut proposer à sa jeunesse un avenir en se tournant vers le loisir plutôt que le travail. Dans mon livre, je cite le livre de Jeremy Rifkin " La fin du travail" qui a été une grande illusion mais qui a été une escroquerie intellectuelle.

Vous parlez en termes de valeurs, quid des enjeux macro économiques : avez-vous notamment l'impression que l'on prenne suffisamment en compte la question de la création d'emplois en France ? Vous parliez de la baisse des dépenses publiques mais il n’y a pas dans le monde un seul exemple de pays qui ait réussi des réformes structurelles sans avoir eu recours dans le même temps à une forme d'assouplissement monétaire. Les Suédois l'ont fait, le Canada l'a fait, mais ces pays avaient la main mise sur leur monnaie. Est-il possible de réussir le même type de réformes dans le contexte européen ?

Oui, je pense que c'est possible. J'ai une formation économique et je n'ignore pas que les exemples que vous citez, le Canada, la Suède… ont joué d'assouplissement et de commodités monétaires. 

Cependant, aujourd'hui la contrainte monétaire pèse assez peu, notamment car elle s'exprime par des taux d'intérêts qui sont très bas. Prenons l'exemple, de la France et de l'Allemagne au moment du lancement de l'euro. La France avait alors de meilleures performances que l'Allemagne sur le plan de la croissance et du commerce extérieur. Peu de temps après, la loi sur les 35h entrait en vigueur. On a alors choisi d'abdiquer et de céder au malthusianisme en traitant l'économie comme un fromage à partager Au même moment, les Allemands faisaient l'inverse et appliquaient l'agenda Hartz qui leur a vite permis de regagner de la compétitivité. 

Ensuite nous avons un autre problème. La France, propose des produits à un niveau de gamme comparable à celui des produits espagnols mais à un coût comparable à celui des produits allemands. Naturellement, la compétitivité se dégrade. Voici les deux déficits sur lesquels nos yeux devraient être rivés.

D'une part, le déficit budgétaire est catastrophique. Il va, contrairement à ce que dit Monsieur Darmanin, dépasser les 100 milliards d'euros cette année. C'est-à-dire que l'on a une dette qui galope tout en représentant une abdication de notre souveraineté car elle est en partie détenue par des investisseurs étrangers.

D'autre part, on a le problème du déficit du commerce extérieur. Moi je sillonne la France et je trouve que l'on a un pays extraordinaire. Nous avons des réserves d'énergie avec d'excellents ingénieurs, des entrepreneurs et un savoir-faire qui permettrait assez facilement de relancer la machine. Sur ce point, je suis très optimiste. 

Sans blâmer l'existence de l’euro en tant que telle, faut-il changer le mandat de la BCE qui se concentre exclusivement sur la lutte contre l'inflation et ne prend pas en compte l'objectif du plein emploi contrairement à beaucoup d’autres banques centrales ?

Je pense qu’incontestablement, le président Italien à la tête de la BCE s’est révélé meilleur que son prédécesseur français. Mario Draghi a considérablement assoupli la contrainte des taux et la contrainte monétaire. On peut considérer d'ailleurs que l'inflation sous-jacente est très basse et que la situation en Europe ne dépend pas de l'euro mais de la capacité des pays à conduire leur destin. 

Les deux premières années de François Hollande ont été marqué par 37 milliards d'euros de dépenses publiques supplémentaires. Les deux premières années du quinquennat Macron : 51 milliards de dépenses publiques supplémentaires. Cet homme est un communiquant extraordinaire pour arriver à cacher cette vacuité, mais les Français ont du bon sens et ont ressenti cette fêlure et l'écart entre les discours flamboyants et les actes décevants.

Ne pensez-vous pas que le même procès, la même réalité auraient pu s'imposer à François Fillon car la réalité du pays aurait été la même ?

Non, je ne le pense pas, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, car nous voulions mettre en place les vraies réformes nécessaires dans les six premiers mois pour ensuite laisser le temps à la société française de s'adapter. 

Jamais nous n'aurions utilisé la CSG, qui est une sulfateuse pour le pouvoir d'achat, car nous voulions créer une TVA sociale. Cela aurait été beaucoup plus anodin sur le pouvoir d'achat et nous aurait permis de mettre une barrière vis-à-vis des produits chinois. En bref, l'idée était de faire contribuer les produits chinois et étrangers à la sécurité sociale et de faire payer les 80 millions de touristes qui viennent en France chaque année sans pour autant trahir les Français.

Par ailleurs nous avions un programme d'assouplissement du marché du travail, nous voulions faire sauter les 35h et réduire les déficits… Mais on se souvient que pendant la campagne, la droite a finalement été le pire ennemi de François Fillon car elle ne croyait pas à cette vision. Je le dis dans mon livre, j'assistais un jour -juste après les présidentielles- à une réunion politique LR- lors de laquelle nous devions décider des orientations pour les législatives. C'est alors que nous avons tourné le dos aux options qui avaient pourtant été largement plébiscitées quelques mois plus tôt.

Le problème du programme de François Fillon, c'est que pour briller dans les urnes, il faut briller dans les têtes. Or, je crois que le projet de François Fillon avait été construit, non pas par les élus, mais par la société civile. Il imposait un projet dans lequel les élus ne se sont pas reconnus. Ils ne s'y sont pas reconnus car ils sont dans des chemins de routine, ils ont peur de choquer. 

Pour finir, concernant la candidature LR pour les présidentielles 2022, quelle serait votre préférence : des primaires ou une personnalité forte ?

Ma préférence serait qu'une personnalité s'impose sans passer par les primaires. Nous verrons si c’est le cas. Mais Il ne faut surtout pas que le premier tour de l'élection présidentielle se transforme en primaire de la droite. 

Bruno Retailleau vient de publier "Refondation" aux éditions de l'Observatoire
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