Brigitte Giraud, lauréate du Prix Goncourt 2022 pour « Vivre Vite » : l’infiniment intime du deuil et de la littérature<!-- --> | Atlantico.fr
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Brigitte Giraud a remporté le prix Goncourt 2022 avec Vivre vite publié aux éditions Flammarion.
Brigitte Giraud a remporté le prix Goncourt 2022 avec Vivre vite publié aux éditions Flammarion.
©BERTRAND-GUAY / AFP

Littérature

Brigitte Giraud a remporté le 120e prix Goncourt pour son roman Vivre vite, aux éditions Flammarion.

Olivia Phelip

Olivia Phélip

Olivia Phélip est rédactrice en chef de Viabooks.fr et coach professionnel. 

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Brigitte Giraud, qui est la lauréate du prix Goncourt 2022, interroge le destin dans Vivre vite (Flammarion). Hasard ou coïncidence, il s'agit de son treizième livre et elle est la treizième femme à recevoir ce prix. Un chiffre porte-bonheur pour certains, frappé d'une étrange fatalité pour d'autres. Dans Vivre vite, Brigitte Giraud écrit sans le savoir sur le fil de cette ambivalence. Et pour cause. C'est avec ce livre, probablement son plus intime, où elle revient sur un événement tragique, la mort de son mari, qu'elle accède à la lumière suprême, les projecteurs du Goncourt, le Graal des prix littéraires français. Etrange ruse du destin. 

Le destin et les votes ?

D'autant que nombreux sont ceux qui pensaient que ce serait Giuliano da Empoli qui serait lauréat. Il a fallu qu'il emportât le Grand prix du roman de l'Académie française quelques jours plus tôt, pour que la cartographie des votes se transforme. L'élection a eu lieu en quatorze tours, par cinq voix contre cinq, la voix du président comptant double au quatorzième tour, selon le règlement. Le destin encore. Une victoire à un fil. Comme une vie. Ou une mort. 

Une histoire de retournement et de deuil

Le 22 juin 1999, Claude Giraud, le mari de Brigitte, meurt à 41 ans d'un accident de moto. Une fraction de seconde où tout bascule. Vivre vite parle d'une vie à l'ombre de ce mort. De la manière dont le souvenir du disparu se tisse avec le réel d'une vie presqu'ordinaire. Son réel et aussi son imaginaire. Continuer de vivre avec lui et sans lui, dans ce temps perpétuellement suspendu entre la vitesse de la sidération et la lenteur de la disparition. Brigitte Giraud dresse en creux le portrait de celui qui est parti si vite, dans tous les sens du terme. Vite, car son accident l'a fait disparaître en quelques instants. Vite, car il est mort jeune. 

Quitter la maison

Le couple venait d'acheter une maison. Lui, ne l'habitera jamais. Vingt ans après, l'auteure se résout à la vendre. Pourtant ce lieu objectivement inhabité par le défunt est très occupé par son absence. C'est cette maison qui permet à l'auteure de se poser à un point de bascule, entre un avant et un futur après. Cette maison, qui avait été pensée à deux et qui était restée, malgré tout, l'ancrage d'une vision partagée. Pour la quitter, il faut revenir au moment où elle a cristallisé les désirs, mais aussi une tension, une accélération des tâches à accomplir, peut-être jusqu'à cette accélération fatale ? « J’ai été aimantée par cette double mission impossible. Acheter la maison et retrouver les armes cachées. C’était inespéré et je n’ai pas flairé l’engrenage qui allait faire basculer notre existence. Parce que la maison est au cœur​ de ce qui a provoqué l’accident. » écrit Brigitte Giraud. 

Les multiples variations du temps

Vivre vite est un livre sur les variations du temps. Le temps qui s'écoule. Le temps accéléré, pour saisir les instants d'une insouciance qui empêche de penser ; le temps pour se retourner et penser à celui qui s'est écoulé. Vivre vite cherche aussi le rythme juste qui est nécessaire pour enfin s'autoriser à regarder devant. 

« Quand aucune catastrophe ne survient, on avance sans se retourner, on fixe la ligne d’horizon, droit devant. Quand un drame surgit, on rebrousse chemin, on revient hanter les lieux, on procède à la reconstitution. On veut comprendre l’origine de chaque geste, chaque décision. On rembobine cent fois. On devient le spécialiste du cause à effet. On traque, on dissèque, on autopsie. On veut tout savoir de la nature humaine, des ressorts intimes et collectifs qui font que ce qui arrive, arrive. Sociologue, flic ou écrivain, on ne sait plus, on délire, on veut comprendre comment on devient un chiffre. »(p. 23)

A l'ombre de la Ville des lumières

Brigitte Giraud qui vit à Lyon situe son récit dans la capitale des Gaules. Un arrière-plan, comme un décor nuancé et contrasté. A l'ombre de la Ville des lumières, elle raconte un paysage urbain provincial, au miroir d'une vie qui aurait pu être tellement différente, si... Les hypothèses multiples de ces si, composent une litanie, qui montre combien le deuil n'empêche pas la construction imaginaire. Ces vies rêvées de ce qui aurait pu être et qui existent un peu quand même, parce que rêvées.

L'infiniment intime de l'écriture

Comme l'a déclaré Brigitte Giraud, lors de l'annonce de son prix, « Je pense à la littérature, qui montre que les mots peuvent conjurer le sort. » Le texte de Brigitte Giraud parle bien de cette distance entre soi et le texte. Vivre vite est un livre qui, en regardant vers l'intérieur, touche aussi à l'universel, à cet espace qu'on pourrait nommer «l'infiniment personnel». Là où naît la part de l'écriture, qui sublime l'ordinaire et crée une littérature qui fait affleurer l'épiderme sensible du réel, tissé avec celle qui le raconte. 

>Brigitte Giraud, Vivre vite, Flammarion, 208 pages, 20 euros

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