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Brexit : ces petits accords bilatéraux qui se trament entre Londres et certaines capitales européennes en l’absence d’avancée de la négociation globale
©Paul Hackett / Reuters

Conseil européen

Les négociations sur l'application du Brexit se sont compliquées avec la perte d'une majorité par Theresa May lors des élections générales du mois de juin dernier. Un accord avec l'Union Européenne n'est pas exclu.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Pourquoi les négociations semblent s'éterniser entre Londres et Bruxelles ? Quelles sont les forces politiques en présence dans le débat des conditions de sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne (et qu'est-ce que cela nous dit sur la position de Theresa May et les compétences de Michel Barnier) ?

Rémi Bourgeot : D’un côté Theresa May est en difficulté politique croissante depuis l’élection générale de juin, qui l’a privée d’une véritable majorité et surtout d’un mandat fort pour négocier le Brexit. De l’autre, le cadre extrêmement contraint qui a été imposé par la partie européenne est impraticable et empêche une véritable négociation. En particulier la segmentation des négociations entre une phase centrée sur la facture britannique puis une seconde sur un accord commercial et la phase transitoire n’a guère de sens, puisqu’il est évident que ces points sont liés si l’on prend le soin de se placer dans la perspective de véritables négociations.

A Westminster, Theresa May fait surtout face à la fronde de membres du parlement qui veulent s’assurer qu’un accord aura lieu. En fait, sur le fond, la position britannique s’ancre de plus en plus, malgré le chaos, dans l’idée d’un accord approfondie avec l’Union européenne. Le discours que la première ministre a donné à Florence visait à donner des gages de bonne volonté, en proposant notamment de payer une facture de 20 milliards d’euros pour pouvoir engager les négociations sur l’accord commercial.

D’un côté, on a une sorte de crise latente à Londres, où les requins accélèrent leur ronde autour du 10 Downing Street. Et à Bruxelles, Michel Barnier doit cocher ses cases les unes après les autres, comme elles ont été déterminées par les Etats membres les plus influents et par la Commission. Michel Barnier a un mandat tellement limité qu’on ne peut véritablement parler de négociation. La procédure est très largement sortie des railles et cela n’est pas que lié à la crise politique londonienne. L’idée européenne était de conduire Londres à des concessions sur le plan budgétaire en particulier, bien que cela ne soit pas de la plus grande importance, pour ensuite lâcher du leste dans la phase commerciale, conformément aux intérêts de toutes les parties, tout en portant atteinte à la City au passage.

La nomination de Michel Barnier reposait sur l’idée de canaliser la formation d’un accord de cette façon sans négociation sur le fond. On peut évidemment être compétent sans parler anglais ; mais il est aussi certain que l’idée de nommer un négociateur en chef qui parle à peine ce qui est tout de même la langue de travail de l’UE et de lui imposer un mandat extrêmement réduit ne visait pas à ouvrir le processus. La possibilité d’évoquer d’autres phases de la négociation, notamment sur une période transitoire, ou de les redéfinir devrait évidemment faire partie des prérogatives des négociateurs. Or, Michel Barnier est simplement censé signaler que les critères ont été remplis pour passer à la phase commerciale. Et évidemment, face au chaos du processus en cours, ce sont les Etats membres qui gèrent le dossier et il semble même que des brouillons d’accord commercial circulent entre les ministères à Berlin…

On pose les questions d'un nouveau référendum, ou d'une annulation du Brexit même si le gouvernement conservateur écarte toute éventualité de ce genre. Cependant, peut-on imaginer un Brexit aboutir sans accords ?

Les principaux acteurs de la vie politique britannique ont reconnu qu’il était impensable d’outrepasser la volonté populaire qui s’est exprimée lors du référendum. Evidemment, le message exprimé par les électeurs britanniques ne visait pas seulement l’Union européenne, mais tout autant la politique de David Cameron et de ses prédécesseurs. C’est la raison qui a poussé Theresa May, avant l’élection catastrophique de juin, à esquisser une nouvelle approche politique, en termes de politique sociale et industrielle notamment.

En ce qui concerne l’éventualité de l’absence d’un accord, elle ne peut résulter que du chaos du processus de négociation qui a été défini d’une façon qui défie la logique et de la faiblesse politique du gouvernement britannique.

Les blocages qui ont lieu à Westminster proviennent actuellement précisément du fait que les parlementaires pro-européens de tous bords veulent s’assurer qu’ils auront leur mot à dire non seulement sur l’accord final mais aussi sur l’absence d’accord et ainsi empêcher le Brexit dans ce cas. Donc en réalité, le monde politique britannique s’affirme de plus en plus fermement pour un accord et une relation étroite avec l’Europe. Il semble, par ailleurs, que les dirigeants européens ne soient pas prêts à laisser la situation complètement dégénérer. Bien qu’ils veuillent exercer une pression maximale, l’absence de cadre au Brexit est difficilement imaginable, puisqu’elle n’est dans l’intérêt de personne.

La situation est évidemment asymétrique, en ce que l’économie britannique souffrirait plus de l’absence d’accord commercial que l’UE prise dans son ensemble. Mais certains pays, comme les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark et la Suède seraient durement touchés et rejettent cette perspective. Il en est de même pour certains secteurs économique, notamment en Allemagne même si le pays dans son ensemble ne souffrirait pas significativement d’un Brexit sans accord.

Par ailleurs l’absence d’accord n’aurait aucun sens sur le plan juridique puisque le Royaume-Uni applique déjà toutes les réglementations européennes. Et politiquement il serait désastreux d’avoir une barrière douanière qui traverse l’Europe occidentale, même si certains rêveraient de pouvoir proclamer que la sortie de l’UE mène directement à l’enfer. Il s’agirait non seulement d’une nouvelle fracture symbolique en Europe mais surtout d’un véritable délitement du cadre communautaire, Londres étant appelé dans ce scénario à prendre la voie résolue d’un modèle offshore reposant sur le dumping fiscal.

Que peut-on attendre concrètement de ce nouveau sommet européen sur des sujets aussi épineux que sont les négociations sur la facture de sortie de l'UE (entre 60 et 100 milliard pour Bruxelles, 20 milliards pour Londres), ou les conditions relatives aux statuts des citoyens européens expatriés ?

Un certain nombre de chefs d’Etat ont émis l’idée que l’accord commercial puisse être évoqué au prochain sommet de décembre. La question de la facture est très importante sur le plan symbolique mais incomparablement moins dans la réalité que celle des modalités d’un accord commercial entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. On devrait donc finir par arriver à un compromis sur le chiffre entre les 20 milliards proposés par Londres et les 60 milliards de la Commission. Laisser dérailler l’élaboration d’un accord sur ce point signalerait une nouvelle étape dans l’aggravation de la crise politique européenne.

En ce qui concerne les citoyens européens, les points débattus ne sont pas si problématiques et concernent surtout la question du regroupement familial en plus de certaines subtilités juridiques. Mais il est évident que les citoyens des divers pays de l’UE pourront rester au Royaume-Uni, et vice-versa. Même en ce qui concerne de nouveaux arrivants, ce point sera inclus dans l’accord final et constitue une ligne rouge puisque Londres veut avoir un droit de regard sur les flux migratoires de l’UE vers le Royaume-Uni, mais on s’oriente très probablement vers un régime libéral.

Il est impressionnant de voir à quel point le monde politique perd de vue le fond et se laisse égarer par la forme.

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