Boucherie politique en vue sur la loi Climat : ces pièges pour la démocratie semés par Emmanuel Macron depuis le début de son quinquennat<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron présente la convention citoyenne pour le climat.
Emmanuel Macron présente la convention citoyenne pour le climat.
©IAN LANGSDON / POOL / AFP

Une convention citoyenne tortueuse

Alors que le chef d’Etat avait promis aux citoyens de la Convention climat de reprendre « sans filtre » la quasi totalité de leurs propositions, le projet de loi présenté cette semaine par Barbara Pompili est très édulcoré. Rien que de très normal dans une démocratie où le Parlement a son mot à dire et où les intérêts contradictoires de la société civile doivent être conjugués. Le problème, c’est qu’un certain nombres des « habiletés » du président de la République pour se tirer de mauvais pas politiques sont aussi des mauvais coups portés à une démocratie déjà affaiblie.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : La Loi Climat commence son chemin parlementaire considérablement amputée de ses ambitions initiales. Emmanuel Macron a-t-il utilisé l’outil de la Convention Citoyenne pour se donner une image démocratique sachant pertinemment que ça n’était pas faisable ?  En promettant que les mesures de la Convention seront prises sans filtre alors que le Parlement les a retoquées, alimente-t-il un clivage entre les citoyens et leurs représentants ?

Christophe Bouillaud : La stratégie présidentielle sur cette Convention Citoyenne parait pour le moins tortueuse, et je vais essayer de la rappeler dans les grandes lignes, pour répondre à votre question.

Probablement, au moment de son lancement au printemps 2019, faire appel à cet outil consiste à essayer de trancher le nœud gordien qu’a constitué la crise des Gilets jaunes pour le sujet de la réaction de la France à l’urgence climatique et de la manière de tenir les engagements de l’Accord de Paris (2015). Il faut en effet se souvenir que le motif immédiat du déclenchement de cette crise de l’automne 2018 est une hausse de la taxe carbone sur le diesel. On se rappelle que se vulgarise alors l’opposition entre la «fin du monde » (entendu comme l’obligation de limiter nos émissions de CO2) et les « fins de mois » (compris comme les problèmes de pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes). Comme la solution libérale classique, proposée de très longue date par les économistes d’une hausse des taxes sur le CO2 émis par chacun, semble désormais difficilement praticable en France, que faire pour tenir les engagements français en la matière, sinon aller chercher d’autres solutions, cette fois-ci validées par le consensus citoyen ? Pour motiver à la fois les citoyens tirés au sort et pour donner du poids à leurs préconisations à venir, le Président de la République promet alors de reprendre « sans filtre » leurs propositions. Sans doute, parce qu’Emmanuel Macron n’a pas bien étudié lui-même le dossier du changement climatique, il sous-estime sans doute le sérieux des citoyens ainsi mis en demeure de trouver des solutions.

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Par ailleurs, toujours en ce printemps 2019, la majorité présidentielle a encore de fortes ambitions pour les élections municipales de 2020, et croit pouvoir occuper le centre de l’échiquier politique et séduire l’électorat préoccupé par le climat. Le départ de Nicolas Hulot à l’automne 2018 ne diminue en effet pas l’affichage d’une priorité en ce sens dont fait partie le lancement de cette Convention citoyenne. Or, aux élections européennes de 2019, Emmanuel Macron ne peut que constater que cette stratégie de séduction des électeurs de centre-gauche préoccupés par le climat ne fonctionne pas. Au contraire, il a réussi à assécher l’électorat de centre-droit et de droite qui s’est détourné des listes LR pour venir donner aux listes LREM une courte victoire aux élections européennes. La Convention Citoyenne continue cependant à travailler de son côté. Le début de la pandémie de Covid-19 perturbe largement ses travaux, et elle rend du coup sa copie à la fin du mois de juin 2020. Largement trop tard pour donner au Président l’image d’écolo qu’il attendait pourvoir utiliser pour la campagne des municipales de LREM. Au total, les municipales de 2020 sont un désastre total pour LREM qui rate totalement la conquête de toute mairie importante, et surtout, bien plus significatif pour la suite, l’électorat de centre-gauche sensible à ces questions de climat préfère d’évidence la version originale proposée par EELV au bien terne « greenwashing » des candidats « marcheurs ». Les électeurs sensibles à la question du climat ne sont pas laissés égarer. C’est d’ailleurs socialement explicable, car ils sont plus jeunes et/ou éduqués que la moyenne des électeurs français et savent donc déjouer la communication présidentielle, finalement assez fruste.

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Autrement dit, la cible électorale d’Emmanuel Macron a fortement changé entre le début du printemps 2019, où il pensait pouvoir encore maintenir sa coalition électorale initiale de 2017 allant du centre-gauche au centre-droit, et l’automne 2020 et plus encore ce début d’année 2021, où il mise tout sur un étouffement de la droite d’opposition, voire de l’extrême-droite, en lui prenant tous ses thèmes un à un, et semble avoir fait son deuil des électeurs écologistes. Il laisse ainsi son Ministre de l’Intérieur dire à la cheffe du principal parti d’extrême droite qu’il la trouve « un peu molle » sur ses thèmes de prédilection à elle. Du coup, conformément à ce virage à droite toute, Emmanuel Macron a dû défaire petit à petit tout ce que la Convention Citoyenne propose d’un peu dérangeant pour les habitudes et les intérêts dominants. Il a ainsi accepté que tous les lobbys, qui ne veulent pas être gênés par l’ampleur de l’action climatique à mener, détricotent une à une les propositions de la Convention. Les avis autorisés, comme ceux du Haut Conseil pour le Climat, sont du coup tous défavorables, mais, du strict point de vue électoraliste, Emmanuel Macron pourra dire qu’il a fait le maximum sur le climat - soit disant en accord avec ce que veulent les citoyens de la Convention-, tout en ayant récupéré à sa cause tous les électeurs qui, en pratique, ne veulent rien faire.

De fait, en raison de ce cheminent tortueux, j’aurais plutôt tendance à dire qu’Emmanuel Macron s’est réaligné sur la majorité de nos concitoyens qui croient pouvoir lutter à bon compte contre le réchauffement climatique, tous ces gens qui restent dans l’illusion d’un « quick fix » à ce problème du siècle. L’intérêt du dispositif de la Convention citoyenne était pourtant de montrer que, si un citoyen ordinaire est bien informé par des scientifiques qui posent devant lui les données du problème, il se rend vite compte que des vrais efforts sont nécessaires pour éviter le désastre climatique qui vient et que le « business as usual », même assorti de voitures hybrides ou électriques, ne suffira pas.

Le Président de la République a-t-il trop tendance à vouloir réaliser des coups politiques s’appuyant sur une image de démocratie directe, comme la Convention Citoyenne ou le grand débat national, sans en calculer les conséquences réelles à long terme sur le système démocratique ?

Oui, dans le fond, nous retrouvons dans ces deux cas la même méthode. Le Président perçoit bien qu’il est contesté, qu’il se trouve en minorité dans le pays. Son parti, LREM, de création trop récente, est incapable de lui donner une assise populaire. Du coup, il cherche un moyen de faire légitimer ses décisions par un dispositif de ce genre. Il veut donner l’impression d’écouter le peuple, mais ensuite il ne fait pas grand-chose de cette écoute.

Le problème est peut-être plus d’ailleurs du côté du Grand Débat que du côté de la Convention Citoyenne. En effet, au moins la Convention Citoyenne a produit des propositions, mais Emmanuel Macron les rejette largement, comme je l’ai dit, parce qu’il cherche à se construire une identité politique susceptible de faire de lui le meilleur Président de droite possible pour la France – quitte d’ailleurs une fois réélu en 2022 à rechanger ensuite d’identité politique. Pour le Grand Débat, où probablement les sujets traités étaient plus larges, il n’en est vraiment rien ressorti.

Bien sûr, tout cela donne l’impression de consulter fictivement le peuple. Et, par ailleurs, toutes ces nouvelles manières de consulter le peuple entérinent de fait une évidence, qui ne devrait jamais en être une : ni le Président ni les parlementaires ne représentent donc plus le peuple. Comme nous sommes dans une démocratie représentative, ce genre de mise en exergue, certes involontaire, de la non-représentativité de fait des élus par rapport au peuple dans sa diversité pose vraiment problème. La solution existe pourtant : des élections parlementaires anticipées, éventuellement en changeant le mode de scrutin pour la proportionnelle la plus large, ou l’usage du référendum tel que prévu dans la Constitution sur initiative présidentielle, voire même la démission du Président pour permettre une nouvelle élection.

Et, au total, à force d’avoir à chaque instant cette situation, ainsi officialisée à grand coup de consultations citoyennes, de non-représentativité du peuple par les élus, la France baigne dans un océan de défiance, que mesurent les sondages année après année.

En s’arrogeant le monopole de la représentation démocratique et en le déniant de fait à ses adversaires, tout en les choisissant tour à tour, Emmanuel Macron met-il en danger les institutions de la Ve République ?

Il ne les met en danger que dans la mesure où il les radicalise. Ce n’est pas Emmanuel Macron qui a inventé la Constitution actuelle, dénoncée en son temps comme le « coup d’Etat permanent ». Ce n’est pas lui qui a inventé les « députés godillots », les lointains ancêtres des « députés playmobils » de sa majorité. Ce n’est pas lui qui a mis en place le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Ce n’est pas lui qui a inventé l’hyperprésidence. Ce n’est pas lui qui a laissé se concentrer les grands médias privés dans quelques mains souvent bien trop contentes de jouer aux oligarques auprès du pouvoir de l’heure. Ce n’est pas lui qui a entériné l’abandon par la télévision publique de toute mission d’éducation populaire et d’information un peu sérieuse et rébarbative. Ce n’est pas lui qui a laissé la France au milieu du gué en matière de décentralisation. Emmanuel Macron  arrive après des décennies de dérive, et il se contente donc de pousser jusqu’au bout la logique du pouvoir d’un seul inscrit dans nos pratiques institutionnelles et sociales. Certes, nous restons un Etat de droit, nous restons soumis au droit européen, nous ne sommes pas une dictature, mais le régime de la Vème République sous Emmanuel Macron est devenu de plus en plus semblable à sa caricature. La manière de lutter contre la pandémie de Covid-19 constitue une illustration quotidienne de cette « verticalisation » et « monopolisation » du pouvoir autour d’un chef que certains de ces plus zélés partisans semblent croire désormais omniscient.

A cela s’ajoute que la base électorale et sociale du « macronisme » reste extrêmement étroite. Si l’on compare la France avec d’autres pays européens où un seul parti et son chef incontesté dominent l’Etat et la vie politique, le Royaume-Uni, la Hongrie ou la Pologne, par exemple, on s’aperçoit tout de suite que la base électorale du parti au pouvoir y est bien plus large que celle qui soutient Emmanuel Macron. C’est bien aussi pour cela que Emmanuel Macron veut absolument remplacer les LR dans leur espace politique afin d’être au moins un Président de droite comme un autre, et non plus un Président élu au centre sans plus aucun électeur de gauche ou de centre-gauche pour le soutenir.

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