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Boomerang, cette nouvelle appli qui vous permet enfin de comprendre pourquoi personne ne répond à vos mails
©wikipédia

Dans le vent

Il existe mille et une façon d’écrire un mail. Pourtant, il n’y en a qu’une seule qui assure d’avoir systématiquement une réponse de la part de son interlocuteur. Boomerang Respondable, la dernière application du créateur de logiciel Baydin, propose d’évaluer et de guider le rédacteur vers une meilleure production de messages électroniques. Analyse d'une nouvelle forme d'assistanat.

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia est professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI) où il enseigne principalement l'informatique, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives. Il poursuit des recherches au sein du LIP6, dans le thème APA du pôle IA où il anime l'équipe ACASA .
 

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Atlantico : Comment fonctionne l'application Boomerang, et surtout son dernier outil, Respondable, capable de calculer le taux d'attractivité des mails que l'on envoie ?

Jean-Gabriel Ganascia : L’application Boomerang a été conçue par gmail pour faciliter l’utilisation de sa messagerie électronique. Elle permet de planifier l’envoi et la lecture des courriels. Ainsi, supposons que vous écriviez un message le samedi ou le dimanche, voir la nuit, lors d’une de ces insomnies dont vous êtes coutumier, et que vous souhaitiez qu’il parvienne à votre destinataire lorsqu’il sera à son bureau, par exemple le lundi matin, vous pouvez en programmer l’heure d'expédition avec Boomerang. Il est même possible de s’envoyer à soi-même un message depuis son téléphone portable, en programmant là encore l’heure d’expédition, pour se rappeler de quelque chose en temps utile, ce qui apparaît tout de même plus commode que de faire un nœud dans son mouchoir…  A cela, on doit ajouter le suivi temporel du fil d’une discussion, ce qui vous alerte lorsque, au bout d’un certain  temps, le message envoyé n’a pas reçu de réponse. Enfin, vous pouvez décider de laisser des messages reçus en attente avant de les traiter immédiatement ; à cette fin, il suffit d’indiquer l’instant de leur « réapparition » dans votre boite de messagerie. A toutes ces fonctionnalités fort utiles, Boomerang adjoint l’outil Respondable qui constitue une aide à la rédaction comme il en existe déjà beaucoup. Cependant, à la différence de celles qui sont intégrées dans les traitements de textes, celle-ci apparaît spécialisée dans la correspondance électronique et prétend aider à rédiger des courriels plus attrayant pour leur destinataire, parce que mieux écrit, plus concis et plus précis.

L’application met en avant l’usage d’une intelligence artificielle. En quoi consiste-t-elle et à quel moment celle-ci est-elle utilisée ?

S’il est facile de calculer le nombre de caractères du titre, le nombre de mots du corps du message ou le nombre de questions qu’il contient, les autres critères d’évaluation de l’« attractivité » des messages apparaissent beaucoup plus ardus à pondérer. On doit recourir à des techniques de traitement automatique du langage naturel qui, sous certaines hypothèses, autorisent à établir un modèle de « lisibilité », de « positivité », de « politesse » ou de « subjectivité » du texte. C’est ce qui a été fait dans ce logiciel actuel. Toutefois, la tâche paraît quelque peu insurmontable. Ainsi, que signifie la « subjectivité » d’un message ? Est-ce uniquement lié à l’usage du pronom personnel « je » ? Ou, pour la politesse, est-ce que cela tient au lexique, au ton adopté, à la tournure des phrases, à l’emploi de formules introductives ? On conçoit aisément que les techniques du traitement automatique du langage naturel ne suffisent pas à quantifier de façon indiscutable ces critères. Dès lors, on peut être tenté de recourir à d’autres techniques d’intelligence artificielle, en particulier à l’apprentissage machine, qui construit automatiquement ces modèles à partir d’exemples annotés ; c’est ce que suggèrent les promoteurs du projet, sans toutefois indiquer précisément où ils en sont actuellement dans le recours à ces techniques.

Quels sont les différents critères sur lesquels se fonde l'outil de Boomerang pour calculer "l'attractivité" des mails envoyés ? 

L’application Respondable repose sur la mise en évidence d’un certain nombre d’indicateurs censés évaluer l’attractivité d’un courriel. Il en existe quatre en version libre, la longueur du titre, le nombre de mots, le nombre de questions et la « lisibilité ». En payant, l’utilisateur bénéficie de trois autres indicateurs mesurant la « positivité », la « politesse » et la « subjectivité ». La publicité laisse entendre que le score de chacun de ces critères doit correspondre à un (ou éventuellement deux) optimum pour que le message suscite l’intérêt et engage son destinataire à répondre. Si l’on conçoit aisément que, tant les titres que les corps des messages, ne doivent être ni trop longs, ni trop courts, et que l’on ne doive pas assaillir son interlocuteur de questions, les autres critères suscitent des interrogations : en quoi risque-t-on d’être trop poli, ou trop « lisible », ou encore trop « positif » et trop « subjectif » ? Qui plus est, les utilisateurs cités disent avoir appris à corriger leur style d’écriture de message avec ce logiciel, toutefois on s’étonne de ce que ces critères ne prennent en compte ni la personnalité du destinataire, ni le contexte dans lequel le message est envoyé. En effet, on n’écrit pas de la même façon un message à son patron, à ses amis ou à sa famille…

Cet outil ne remet-t-il pas en cause la sûreté des informations communiquées dans les messages électroniques ? L’application présente-t-elle d’autres failles ?

Si par sûreté on entend le caractère de ce qui est sûr, en l’occurrence, dans le cas des messageries, une communication sans intrusion ni déformation des contenus, il est difficile d’imaginer que nous ayons ici, avec Boomerang, un risque plus grand qu’ailleurs. En effet, tel qu’il nous est présenté, ce logiciel n’interfère pas avec les logiciels de chiffrement utilisés pour assurer à la confidentialité de l’information communiquée dans les messages. Quant aux autres failles des systèmes de messagerie induites par Boomerang, elles paraissent difficiles à évaluer de prime abord. En somme, le plus grand risque tient ici à l’inutilité des aides à la rédaction et des différentes fonctionnalités offertes

N’existe-t-il pas d’autres moyens pour écrire correctement ses mails afin de recevoir systématiquement, et rapidement, des réponses de la part des destinataires ?

Le meilleur moyen d’écrire correctement ses mails, c’est certainement de bien rédiger et, surtout, de s’adapter au contexte en respectant des règles classiques de clarté, de concision et de correction. À cela, on peut ajouter un rhétorique particulière qui tient à la structure des mails dont on lit d’abord le titre, qui doit être succinct et informatif, puis le texte, qui demande à être court, puisqu’il sera lu rapidement, tout en contenant toutes les informations utiles à son lecteur. Mais, bien évidemment, ces règles s’infléchiront selon la situation et le destinataire, sans compter qu’un courriel traduit la personnalité, et qu’il faut se garder d’adopter un format trop conventionnel ou un ton trop convenu, car, pour citer Nicolas Boileau, « Un style trop égal et toujours uniforme

En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme. » Ajoutons que, si le logiciel Respondable est loin d’être parfait, il a au moins le mérite de nous inciter à nous relire, à couper, à ajouter, à préciser, bref, toujours pour reprendre Boileau, en le paraphrasant, à se hâter lentement, et, sans perdre courage, à vingt fois sur le métier remettre son ouvrage…

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