Blocage des sites pornos : ces solutions dont les rapports officiels soulignent qu’elles ne fonctionnent pas. Mais vers lesquelles nous fonçons néanmoins<!-- --> | Atlantico.fr
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Le logo du site pornographique Pornhub.
Le logo du site pornographique Pornhub.
©Ethan Miller / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Protection des mineurs

Au nom de « sa mission de protection des mineurs » le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a sommé cinq sites pornographiques d’empêcher l’accès des mineurs à leurs contenus. En cas de non-respect de cette obligation dans les quinze jours, les sites s’exposent à un blocage total de leur accès en France. Ces mesures et les recommandations de précédents rapports sont-elles inefficaces ?

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

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A l'occasion de l'été, la rédaction d'Atlantico republie les articles marquants de ce début d'année 2022

Atlantico : Depuis le 30 juillet 2020 en France, le fait pour un site pornographique de laisser des internautes accéder à ses contenus sans vérifier leur âge constitue un délit. Par quels moyens les sites pornographiques peuvent-ils vérifier l’âge d’un utilisateur ? Existe-t-il des failles pour contourner ces vérifications ?

Pierre Beyssac : La loi de 2020 a effectivement supprimé la possibilité pour les sites d'autoriser les accès à certains types de contenus (pornographie, violence, etc) sur simple déclaration ("j'ai 18 ans oui/non"). Des vérifications plus complètes sont donc désormais recommandées pour éviter une responsabilité pénale.

Il n'existe cependant aucun moyen de vérification d'âge satisfaisant. Les moyens disponibles à ce jour reposent sur la communication de pièces d'identité ou de cartes bancaires, deux procédés sujets à de nombreux risques, dont celui de la constitution de fichiers nominatifs sur l'orientation sexuelle, extrêmement sensibles et dont la fuite serait dramatique. En théorie, cela pourrait être mitigé en passant par des intermédiaires de confiance, mais aujourd'hui il n'en existe aucun.

Les failles de ces systèmes sont, de plus, énormes, puisqu'il suffit à un mineur de fournir la carte bancaire ou preuve d'identité d'un majeur.

Les britanniques se sont cassé les dents sur ce même sujet en 2019 avant d'abandonner purement et simplement en raison des risques encourus par tous pour un résultat peu convaincant.

Ces sites pornographiques pourraient avoir à demander aux utilisateurs des documents officiels comme une carte nationale d’identité ou un passeport. Présenter de tels documents comporte-t-il des risques ?

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Il n'est évidemment pas sérieusement envisageable que les sites pornographiques demandent eux-mêmes de telles pièces. Cela encouragerait le vol pur et simple de ces documents par des sites porno frauduleux créés dans ce but.

Un cas de vérification d'âge s'est présenté avec la vidéo de campagne d'Éric Zemmour, que Youtube a jugée violente. Youtube réclame donc désormais une pièce d'identité pour y accéder. La loi est déjà très préoccupante par la constitution de fichiers d'identité qu'elle encourage de la part des grandes plateformes. On n'imagine pas tous les sites porno souhaitant être accessibles en France procéder de la même façon.

En 2019, l'inspection générale des finances a travaillé sur un rapport titré "Prévention de l’exposition des mineurs aux contenus pornographiques sur internet", comme l'a révélé le site spécialisé Nextinpact, pour servir de base de réflexion à la loi de 2020. On y lit que « les associations rencontrées par la mission ne sont pas demandeuses de la mise en œuvre de ces mesures de protection [vérification d'âge] estimant qu’elles ne parviendront pas à empêcher l’accès des mineurs qui le souhaitent à la pornographie, et que la pédagogie doit être préférée ».

Pour bloquer les sites pornographiques, le CSA pourra saisir le président du tribunal judiciaire de Paris, afin qu’il les rende inaccessibles. Le blocage de sites pornographiques pour les mineurs se heurte-t-il à des problèmes techniques ?

Le procédé couramment utilisé pour bloquer des sites en France sur demande de la justice ou de l'administration est à la discrétion des opérateurs, et passe en général par le blocage du nom de domaine des sites concernés. Ce blocage est assez facile à contourner mais il y a consensus pour le considérer suffisant.

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Cependant, ce procédé bloque évidemment un site pour l'ensemble du public, pas seulement les mineurs. Il n'est donc utilisé que pour les sites illégaux, ce qui n'est pas le cas des sites pornographiques.

La justice devra donc évaluer si la protection supposée des mineurs justifie d'entraver la liberté de communication pour l'ensemble des adultes.

Enfin, le blocage généralisé de sites à forte fréquentation pourrait populariser auprès des utilisateurs les moyens de contournement des blocages, restés jusque là relativement confidentiels.

Au vu des nombreux problèmes mis en cause, peut-on parler d’acharnement des pouvoirs publics ? S'apprête-t-on à mettre en place des mesures inefficaces ? Des solutions existent-elles pour avoir un réel contrôle ?

Malgré tous les avertissements et précédents défavorables, le  législateur a préféré persister dans cette voie, encouragé par le gouvernement, les associations familiales et l'industrie du porno payant qui peut entraver ainsi la concurrence des sites gratuits.

On peut effectivement parler d'acharnement, car cette décision s'inscrit dans une longue lignée de mesures. La première intention est de restreindre la pornographie sur Internet en général et pas seulement pour les mineurs. Ensuite le gouvernement souhaite développer l'industrie et les pratiques de vérification d'identité sur Internet, pour faciliter le contrôle et la censure des contenus utilisateur en érodant le pseudonymat et l'anonymat.

Concernant la pornographie, il existe des solutions moins dangereuses pour les libertés publiques : les outils de contrôle parental permettant aux responsables légaux des enfants de protéger, s'ils le souhaitent, les accès. Ces solutions ne sont pas idéales car elles habituent nos enfants à la censure automatisée, et il faut donc toujours leur préférer la pédagogie. Mais elles ont l'avantage de relever d'un choix individuel des parents plutôt que d'une censure étatique sans nuance.

Il existe une proposition de loi pour encourager le contrôle parental, issue d'élus de la majorité, qui sera examinée à partir du 12 janvier 2022. Elle a besoin d'être affinée car elle introduit des obligations fortes pour les fournisseurs de terminaux qui pourraient ne pas être compatibles avec la législation européenne et, là encore, la faisabilité, mais elle pourrait permettre de refermer la boite de Pandore de la vérification d'âge.

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