Bilderberg 2019 : les fondamentaux quasi-naïfs du groupe qui déchaîne les passions complotistes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Bilderberg 2019 : les fondamentaux quasi-naïfs du groupe qui déchaîne les passions complotistes
©Fabrice COFFRINI / AFP

Dans le secret des dieux

Le groupe de Bilderberg s’est retrouvé ce week-end à Montreux. Comme chaque année, mystère total sur ce que les 130 personnalités les plus puissantes du monde se sont dit.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

Comme chaque année depuis 70 ans, les membres du groupe de Bilderberg se sont retrouvés en conclave à Montreux, en Suisse au Fairmont Montreux Palace, pendant tout le week-end. Et comme chaque année, rien n’a filtré. Pas d’images, pas de presse, pas de réseaux sociaux, donc pas de commentaires, pas de décision. Officiellement, on ne sait rien, ni sur les participants, ni sur les thèmes proposés à la discussion.  

Quand on sait que ce groupe invite les personnalités les plus puissantes, les plus influentes et les plus riches du monde pour un séminaire ultra-chic, mais ultra-fermé et confidentiel, l’opération alimente tous les fantasmes d’une société secrète qui détiendrait un pouvoir occulte mais absolu sur la planète. A côté, le symposium de Davos, c’est du grand spectacle mondain donné en pâture aux cadres sup du capitalisme international. A Davos, plus de 2000 participants se retrouvent avec des représentants de toute la presse internationale, autant dire que tout se sait. A Bilderberg, ils étaient cette année 130 environ, autant dire que ça relève plus du conclave que de l'évènementiel.

Alors pour percer le mystère, il faut gratter, interroger quelques participants qui accepteront de raconter mais sous le sceau du secret le plus total. Pas de nom, pas de source.

Secret total, sauf que cette année, le club a mis en ligne sur son site la liste des participants prévus et inscrits. On n’est donc pas sûr qu’ils soient tous venus. Ceci étant, le ministre français de l’économie Bruno Le Maire était convié, ainsi que le sherpa pour l'Europe et le G20 de Emmanuel Macron, Clément Beaune. Un historien spécialiste de la Chine et conseiller pour l’Asie à l’institut Montaigne, François Godement. Coté PDG de multinationales françaises, il y avait Patrick Pouyanné de Total, Patrice Caine de Thales, Thomas Buberl de AXA.

Coté dirigeants étrangers, il fallait compter avec Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat américain de Donald Trump, Jose Manuel Barroso, l'ancien président de la Commission européenne et aujourd'hui président d'honneur de Goldmann Sachs, le premier ministre des Pays-Bas Mark Rutte, la ministre allemande de la défense Ursula Von der Leyne. On pouvait aussi croiser Satya Nadella, PDG de Microsoft, Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'Otan, Matteo Renzi l’ancien chef du gouvernement italien, Willem Alexander, le roi des Pays-Bas, Jared Kushner le gendre de Donald Trump, Tidjane Thiam, le président du Crédit suisse.

Très compliqué d’avoir une liste exhaustive, d’autant que ce séminaire durait 4 jours et que rares étaient les personnalités à avoir pris les 4 jours complets. Beaucoup plus important est la chartre des travaux et l’engagement de confidentialité pris par tous les invités.

Les participants viennent et parlent à Bilderberg en leur nom personnel, donc ils n’engagent pas les organisations ou les entreprises dans lesquelles ils ont des fonctions. Comme le soulignait l’un des participants, ça ne nous autorise pas, pour autant, à dire n’importe quoi.

Les organisateurs parlent de réunions informelles sans aucune résolution, recommandation ou vote. Dans ces conditions, tout est possible.

Le président du groupe de Bilderberg cette année était un français, Henri de Castries, l’ancien patron d'Axa, et président de l’Institut Montaigne. Lui, d’ordinaire si prolixe et si pédagogique s’est fendu d’un commentaire laconique précisant que les échanges avaient été très fructueux, intéressants et inspirants.

Alors, ne soyons pas naïfs, toutes ces personnalités en profitent pour faire du business, mais l’objectif premier est de vérifier si les diagnostics que chacun fait dans son pays, son entreprise ou son gouvernement sont sur la même longueur d’onde.

Les grandes questions qui étaient à l’ordre du jour ne surprendront personne. Les réponses en revanche sont sans doute plus transgressives et moins politiquement correctes.

Sur l’avenir de l’Europe, on retrouve le clivage entre ceux qui travaillent et aspirent à plus d’Europe et de fédéralisme, et ceux qui limitent l’Europe à une zone de grand marché.

Sur la mondialisation, les freins et les dégâts collatéraux ont été enregistrés, les gilets jaunes étaient dans la tête des Français mais là encore, les dirigeants se partagent entre deux sensibilités. Entre ceux qui rêvent d’une gouvernance mondiale et ceux plus pragmatiques qui estiment que les dysfonctionnements doivent faire l’objet d’accord bilatéraux.

Sur le Brexit, les relations avec la Chine et la Russie, sur les changements climatiques, les cyber- menaces ou l’utilisation des réseaux sociaux, beaucoup de généralités mais on s’aperçoit quand même que des divergences existent plus que par le passé. Autrefois, on pensait que l’effondrement du mur de Berlin allait ouvrir la porte sur un monde nouveau de la concurrence loyale. Un monde où l‘Occident aurait pu faire accepter ses valeurs. Beaucoup reconnaissent qu’ils se sont un peu trompés. Il faudra donc modifier un peu les trajectoires.

Notamment sur la nécessité de la régulation politique. Comme à Davos, les dirigeants du monde ne considèrent plus que le monde a besoin de plus de concurrence, mais sans doute de régulation. Pour plusieurs raisons :

- la finance est omniprésente, et encore beaucoup trop cristallisée sur le court terme ;

- les grandes entreprises du digital sont sans doute trop puissantes, trop globales et difficilement contrôlables 

- la Chine, acteur majeur de la mondialisation, a sans doute commencé à tomber le masque en dévoilant ses ambitions politiques 

- Quant à la lutte contre le réchauffement climatique, on commence à considérer au niveau mondial, que ça n’est pas dans les pays occidentaux qu’il faut faire porter l’effort mais dans les pays émergents. Mieux vaudrait sans doute consacrer des investissements à aider les émergents à développer des énergies alternatives plutôt qu’à faire des économies de bout de chandelle en Europe. Les plus gros pollueurs de la planète sont les Etats–Unis, la Chine et l’Inde. Si on exclut les Etats-Unis qui vont prendre du temps avant de prendre conscience des difficultés, il faut savoir qu’actuellement ni la Chine ni l’Inde n’a les moyens de changer son modèle de production énergétique, sauf à mettre une croix sur leurs ambitions de croissance ce que personne dans le monde ne souhaite. Par conséquent, une campagne intelligente de lutte pour la protection de l’environnement devrait passer par des investissements occidentaux dans les pays émergents.

Compte tenu du poids important des influences américaines dans des groupes de réflexion comme Bilderberg ou comme Davos, on est encore loin de pouvoir amorcer une évolution.

Le club de Bilderberg a donc bien encore cette année alimenté un fantasme sur les questions essentielles comme le multilatéralisme et surtout le climat. Mais que les partenaires les plus concernés aient accepté d’en parler à huis-clos représentent déjà un début d’évolution.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !