Bilan 2020 : ne pas lutter contre des forces archi-puissantes ; la FED, la montée de la Chine, les conséquences de la baisse des taux, le génie de l’individu créateur et les préoccupations "vertes"<!-- --> | Atlantico.fr
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Chine économie covid-19 coronavirus
Chine économie covid-19 coronavirus
©Anthony WALLACE / AFP

Leçons des douze derniers mois

A l'occasion de la fin d'année, Atlantico a demandé à ses contributeurs les plus fidèles de dresser un bilan de l'année 2020. Mathieu Mucherie revient sur les dossiers économiques majeurs.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Plutôt qu’un résumé ou un bilan, je vous propose quelques remarques dans le désordre animées du même mantra : ne pas lutter contre des forces archi-puissantes ; la FED, la montée de la Chine, les conséquences de la baisse des taux, le génie de l’individu créateur, les préoccupations « vertes » :    

1/ Annus horribilis ? Pas pour tout le monde. Si vous êtes actionnaire de Tesla, pas trop parano sur le Covid, économiste pro-Chine, fan de SpaceX et titulaire d’un CDI à la française, l’année fut plutôt prolifique ; modulo le fait que vous avez l’impression de vivre dans un régime de plus en plus décadent aux mains d’une (piètre) agence de communication. Bien entendu, il ne fallait pas en 2020 être actionnaire de Aéroport de Paris, Unibail ou Société Générale, être âgé et/ou craintif, complotiste anti-Chine, fan de Virgin Galactic et profession libérale (ou pire : en intérim, en CDD). Mais j’anticipe déjà sur 2021 et 2022…

2/ Même un très gros choc d’offre négatif ne provoque plus aucune inflation... Cette dernière est bien un phénomène monétaire (la déflation, aussi).

3/ Pour la 1ère fois, les émissions annuelles globales de Co2 ont été conformes à la trajectoire des Accords de Paris. Il faudra donc un Covid tous les ans, pendant 40 ans ?

4/ Nous savons désormais que la Révolution n’arrivera pas, en dépit de la baisse tendancielle des profits en France. Car dans la situation la plus favorable à un renversement du régime (perte de 10 points de PIB, gouvernement incapable, absence de tous les corps intermédiaires) : aucune révolte, rien. Le Kapital a définitivement gagné, et il est de plus en plus âgé pour ne pas dire buté : il tolérait encore une inflation de 4%/an à la fin des années 80, de 2%/an ensuite, maintenant un retour statistique à 1% fait écrire à sa presse des bêtises sur la reflation spectaculaire de l’économie...    

5/ Pour résumer, le Coronavirus, c’est comme la déflation : il faut frapper vite et fort pour s’en débarrasser ; c’est la méthode chinoise qui est efficace et pas la méthode de l’autruche eurolandaise, un quantitative easing en 2008 et pas en 2015, une politique épidémiologique vigoureuse entre janvier et mars 2020 et non des mesurettes décousues tout au long de l’année.

6/ La dette énorme produite par les pays OCDE en 2020 est, encore plus que d’habitude, dénuée de collatéral. Elle sert essentiellement à verser des salaires ou plutôt des indemnités, elle ne bâtit rien. Le problème n’est pas son remboursement (les taux sont nuls), c’est son existence : « faux droit » au sens de Rueff, si tout se passe à peu près bien (le Japon), moyen fabuleux de chantage pour la BCE, si tout se passe moins bien (la Grèce).   

7/ Comme toujours lorsque les choses deviennent sérieuses, tout est dans Pareto. Quand on dit par exemple que 90% des contaminés Covid le sont pas 10% des gens, des superspreaders, ça ne vous rappelle rien ?

8/ Je le dis depuis quelques années : les seules choses que les historiens du futur retiendront du début du XXIe : la montée de la Chine et les progrès de SpaceX. En 2020, pleine confirmation, SpaceX délivre l’ISS, déploie le réseau Starlink et teste la grande fusée au méthane pour Mars ; la Chine nous met 10 points de PIB dans la vue. Surtout, l’Occident n’a plus le monopole des vies sauvées. Derrière la claque épidémiologique, une claque épistémologique : une Chine experte, qui nous dépasse dans tous les tests éducatifs, qui trouve des vaccins avant Sanofi, qui dispose de la 5G avant nous, qui diffuse les véhicules électriques avant nous, qui sera sur Mars avant nous. Et qui peut-être demain dominera la finance. Il est déjà un peu anachronique que 60% de la planète financière se concentrent sur quelques rues de New-York, un district du Connecticut et trois institutions washingtoniennes. Mais nous en reparlerons dans quelques jours avec les perspectives pour 2021. 

9/ La flexibilité des taux de changes a du bon en cas de crise, faute de flexibilité du facteur travail, pour éviter des millions de chômeurs. Hélas tout le pari de l’euro repose sur le présupposé inverse. Le rapprochement Trésor/banque centrale a du bon en cas de crise, pour faire des chèques aux ménages sans les assommer d’impôts. Hélas tout le pari de l’euro repose sur le présupposé inverse. La monnaie n’est pas qu’un outil trifonctionnel (réserve de valeur, moyen de paiement, unité de compte), c’est aussi un moyen d’apurer les créances, moyen fort utile dans la situation d’endettement sans collatéraux dans laquelle nous sommes tous désormais. Les américains l’ont bien compris, qui épongent régulièrement par le bilan de la FED, les MBS et AIG vers 2008, les dettes étudiantes aujourd’hui, les dettes Covid demain. Hélas, tout le pari de la BCE repose sur le présupposé inverse.   

10/ Hélas, en 2020, ils sont tous keynésiens. Comment reconnaitre un keynésien ? Il croit qu’on lutte mieux contre le cycle avec la politique budgétaire qu’avec la politique monétaire, ce que toute l’expérience réfute systématiquement, depuis un siècle. Comment combattre ce keynésien, alors que la feuille d’impôt est une expérience vécue (40 millions de spécialistes du Budget en France), là où la politique monétaire est mal connue, obscure, contre-intuitive ? C’est très difficile. On pourrait commencer par rappeler qu’une décision monétaire peut se prendre en quelques minutes et impacter l’économie rapidement (la FED en avril dernier…), là où les plans de relance sont négociés pendant 10 mois, et atteignent l’économie au moment précis où elle n’en a plus besoin. On pourrait ajouter que les déficits finissent tôt ou tard en impôts (si la banque centrale ne les annule pas dans son bilan), là où les conséquences de la politique monétaire (inflation, dépréciation de l’euro) sont assez acceptables dans une zone où la cible d’inflation n’est plus respectée depuis 2012 et où la monnaie est beaucoup trop chère.  

11/ L’Angleterre qui aspire à devenir (je cite) l’Arabie Saoudite du vent ! La Chine « neutre Carbone en 2060 » ! Google et Microsoft plus que neutres, « transparents » carbone ! Des avions décarbonés à l’hydrogène ! Il n’y a bien entendu aucune bulle, aucune exagération, aucune surenchère dans le domaine des politiques climatiques et dans les plans de relance « verts ». Tout cela donne envie de shorter la thématique, mais ce serait une grave erreur. Derrière les agences de com’, les déclarations incantatoires et incohérentes (réduire massivement les émissions de CO2, mais viser une croissance de 1,5%/an et fermer 14 réacteurs à horizon 2035…), il y a parfois de belles opportunités d’investissement, dans le stockage de l’électricité comme je vous le disais naguère, dans la séquestration du carbone et les substituts (à la viande, aux plastiques) aujourd’hui, et plein de choses demain si on veut bien abaisser les taux d’actualisation.

12/ Réaction nobiliaire tout au long de l’année des pros de l’investissement devant les nouveaux venus des marchés actions, ces amateurs des plateformes qui font du trend following, qui ne respectent pas la diversification et qui utilisent l’effet de levier. Mieux vaudrait comprendre leurs incitations plutôt que de se moquer d’eux ; ce n’est pas un immobilier cher et un taux sans risque à 0,8% qui va les ramener à « la raison », et ce ne sont pas les performances des professionnels qui vont les impressionner, ni leurs méthodes d’analyse soit dit en passant (actualisation hyperbolique, modèles truquées pour que les taux négatifs n’aboutissent pas à tout placer sur les actions, over-diversification, tyrannie du benchmark, etc.). La diversification à outrance était la bonne attitude vers 2009, pas de nos jours, et utiliser l’effet de levier n’a rien de très illogique avec des taux fixes que l’on dit « bas ». Il est vrai qu’il existe des excès de toutes sortes ; je vous ai déjà parlé de cette coquille vide qu’est Virgin Galactic par exemple. Mais il n’était pas déraisonnable de miser sur un net rebond des marchés, compte tenu de la texture de cette crise :  

Les pessimistes finiront par avoir leur moment de gloire, mais en attendant ils ont raté plus d’une décennie de gains exceptionnels aux USA, et un très beau rebond depuis avril aux USA et en Chine (le Nasdaq a fait +41% depuis le 1er janvier, tout de même). Ils diront « je vous avez bien prévenu », mais méfiez-vous des enchaînements qu’ils évoquent, comme ceux qui en 2008 avez bien prévu une crise du dollar (en lien avec le prétendu déficit de la balance des paiements), crise qui n’est jamais arrivée.

Sur ces aspects financiers, je dirais que la diversification et l’indépendance des banques centrales ont suivi un cycle que l’on retrouve un peu partout et qui fait toujours autant de ravages. Au début, une bonne idée, portée par des dissidents. L’indépendance pouvait sembler désirable avec une inflation annuelle à deux chiffres. La diversification, un truc d’universitaires de Chicago complètement négligés avant 1974 (Markowitz, Sharpe, Fama…), introduisait du sérieux dans les portefeuilles. Ces sectes sont devenues des religions, et les soucis ont commencé. L’indépendance est devenu un dogme, ses serviteurs nos maîtres, et la réécriture de l’histoire monétaire a commencé (qui sait de nos jours que la banque centrale allemande lors de l’hyperinflation de 1923 était un modèle d’indépendance ?). La diversification a été poussée très loin, avec les progrès de l’informatique, puis des ETF, puis de la réglementation ; le panurgisme et le cpasmafautisme ont fait le reste. Et enfin ces religions en arrivent au stade théocratique, depuis quelques années. Elles tuent le débat, détruisent de la valeur, nous empêchent de nous adapter aux changements. L’indépendance maximale revendiquée par les gens de la BCE sert surtout à les protéger, les encourage à ne plus respecter leur propre cible d’inflation, les autorise à rejeter toutes les innovations (monnaie hélico, cible de PIB nominal, remise des dettes…). La diversification est l’alpha et l’oméga, et on ne se souvient plus que sa promesse de départ consistait à atteindre la médiane, guère plus ; elle protège son clergé plus que les clients ; elle tue la recherche de nouvelles pistes, conduit au relativisme et à un faux sentiment de sécurité. Vous remarquerez que les préoccupations environnementales suivent la même courbe, hier secte hérétique utile, aujourd’hui nouvelle religion laïque (et source de juteux profits pour l’investisseur avisé, à condition d’éviter quelques bulles), demain théocratie liberticide ?      

13/ On redécouvre en 2020 que ça sert, un Parlement : en Europe les pays qui s’en sortent le mieux dans l’arbitrage économie/pandémie sont ceux où les décisions ne sont pas toutes prises par 10 technos autour du Palais. La Suède fait mieux que nous, en fait tous les pays du Nord. Mais, me direz-vous : nous n’avons plus d’Assemblée Nationale digne de ce nom, certes, mais nous avons une Convention climat. Oui, avec une avalanche de QPC en perspective... Notre pays, qui était déjà peu réformable et inconstructible (d’où les bulles immobilières), va se figer définitivement ; sous l’aimable autorité de gens non-élus (juges, banquiers centraux) qui ne nous rendent pas de comptes (c’est la définition de l’indépendance). Pendant ce temps, aux USA, le Congrès a bien des défauts et des lenteurs, mais il permet un vrai débat, évalue les politiques publiques, et refuse les nominations fantaisiste du Prince (exemple récent de Judy Sheldon pour la FED) (la FED autonome, pas indépendante).

Au total, une année de confirmation, pas de révolution. Une Europe pathétique, mais nous le savions. Un euro trop cher, comme à chaque crise. Une grande habilité dans les décisions chinoises, qui devient presque lassante, et pour nous au fond humiliante (avec quels subterfuges nos journalistes minimisent leur succès face à l’épidémie ! qui serait lié, je cite, à des mesures de tests massifs vers février « contraires aux libertés », parce que notre année 2020 est un grand cru pour les libertés en Europe je suppose !!) (et imaginez juste un instant un maoïste des années 70 face à l’accusation selon laquelle le « tester/tracer/isoler 14 jours » est gravement attentatoire aux libertés !).     

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