Benoît Rayski : “Tout le monde n’a pas la chance d’avoir eu comme patron un ancien garde du corps de Trotski”<!-- --> | Atlantico.fr
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Léon Trotski Max Théret journalisme Le Matin de Paris François Mitterrand médias Benoît Rayski
Léon Trotski Max Théret journalisme Le Matin de Paris François Mitterrand médias Benoît Rayski
©AFP

Bonnes feuilles

Benoît Rayski publie "Instantanés" aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. Souvent une photo dit mieux les choses qu’un long discours. Benoît Rayski dévoile ces portraits sur le vif de grandes personnalités qui ont façonné un demi-siècle de l'Histoire contemporaine. Un témoignage souvent satirique parfois féroce par un journaliste de haute volée. Extrait 1/2.

Benoît Rayski

Benoît Rayski

Benoît Rayski est historien, écrivain et journaliste. Il vient de publier Le gauchisme, maladie sénile du communisme avec Atlantico Editions et Eyrolles E-books.

Il est également l'auteur de Là où vont les cigognes (Ramsay), L'affiche rouge (Denoël), ou encore de L'homme que vous aimez haïr (Grasset) qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant.

Il a travaillé comme journaliste pour France Soir, L'Événement du jeudi, Le Matin de Paris ou Globe.

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Tout le monde n’a pas la chance d’avoir eu comme patron un ancien garde du corps de Trotski. J’ai eu – pas assez longtemps à mon goût – ce privilège. Proche de Mitterrand, Max Théret, aidé par de riches mutuelles dévouées au parti socialiste, avait racheté à Perdriel Le Matin de Paris. Le journal était rocardien. Mitterrand n’aimait pas Rocard. Théret voulait lui faire plaisir. Et Le Matin de Paris devint mitterrandien.

Après deux entretiens destinés à vérifier si j’étais bien de gauche, j’y fus accepté. Un ami, trotskiste comme Théret, avait plaidé ma cause. Avant de devenir millionnaire, le nouveau propriétaire du Matin de Paris eut une vie qui traversait le siècle en rouge.

Tout jeune, il avait été membre des Jeunesses socialistes. Pour lui il n’y avait pas de Pyrénées: il naviguait entre la France et l’Espagne. Pendant la révolte des Asturies en 1934, il fit le coup de feu contre les hommes de Franco. Et en 1938, il s’engagea du côté des républicains anti-franquistes, jusqu’au bout, jusqu’à leur défaite.

Dans son esprit, la révolution se devait d’être sans frontières et permanente. Ainsi l’avait théorisée Trotski. C’est donc très naturellement qu’il devint un de ses gardes du corps pendant son exil parisien. Ça lui valut d’être exclu des Jeunesses socialistes. Il était très à gauche, trop à gauche pour le parti de Léon Blum.

Avec son ami André Essel, trotskiste comme lui, il fonda alors les Jeunesses socialistes révolutionnaires. Après la guerre, c’est avec lui qu’il créa la Fnac. Une étonnante aventure économique : l’entreprise se voulait agitatrice de prix (vers le bas) et d’idées (vers le haut qui était rouge). Si on était de gauche, il fallait acheter à la Fnac. La droite alléchée y vint aussi. Quand Théret céda la Fnac, il était devenu très riche. Il fut le principal financier du PS.

Certes, il ne pouvait rien refuser à Mitterrand. Mais il n’avait pas apprécié que le président de la République lui impose son ancien porte-parole, Max Gallo, comme directeur de la rédaction du Matin de Paris. En plus, Gallo avait amené dans ses bagages quelques « bébés Mitterrand », dont un petit gros du nom de François Hollande. Théret manœuvra tant et si bien que Paul Quilès, par le truchement d’une société ad hoc, entra au capital du Matin de Paris. Lui et Gallo ne brûlaient pas d’amour l’un pour l’autre. Max, le grand Max comme nous l’appelions (Gallo était très grand), comprit que son heure avait sonné. Je lui demandai d’où Quilès tirait son argent. « Il a été à la tête d’un ministère gras», me répondit-il, avec une petite grimace amère. Quilès avait été ministre du Logement et des Transports...

À la rédaction, nombre de journalistes étaient membres de l’Organisation communiste internationaliste (OCI), une petite poussière ardemment sectaire de la galaxie trotskiste. Quand Perdriel avait vendu Le  Matin de Paris, il avait emmené les meilleurs avec lui au Nouvel Observateur dont il était le propriétaire. Eux, les bras cassés, étaient restés...

Je fus par eux cordialement détesté. J’étais un professionnel sans âme. Et surtout, contrairement à eux, je ne faisais pas de la libération de la Palestine mon objectif prioritaire. Ils me cousirent vite une étoile jaune sur mes vêtements...

J’en parlai un jour à Max Théret: « Ils sont trotskistes comme vous! » «Mon cher Benoît, ce sont des tordus. Trotski a eu des enfants légitimes, mais aussi des bâtards. »

Longtemps après que Le Matin de Paris eut disparu, j’allai voir Max Théret. Je lui suggérai d’écrire ses mémoires: «Vous avez eu une vie magnifique que nous sommes nombreux à vous envier. » Il me répondit par la négative. «Si j’écris, il faudra que je raconte tout. Y compris comment j’ai pris dans la caisse de la Fnac pour arroser les mouvements trotskistes. Et ça s’appelle abus de biens sociaux. Ça peut aller jusqu’à cinq ans de prison. »

Théret, qui s’y connaissait, m’expliqua que la prescription pour abus de biens sociaux était de six ans. Mais pas à compter des faits. Six ans à partir de la révélation des faits. «À mon âge, je n’ai guère envie de passer devant un tribunal. » Théret n’a pas écrit ses mémoires. Il est mort sereinement.

Extrait du livre de Benoît Rayski, "Instantanés", publié aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.

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