Bénéfices records du CAC 40 depuis 10 ans : la victoire du libéralisme… ou son étrange défaite ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Bénéfices records du CAC 40 depuis 10 ans : la victoire du libéralisme… ou son étrange défaite ?
©Reuters

Une histoire de gros sous

Les profits des 40 premières entreprises cotées en bourse ont atteint l'an dernier 93 milliards et 400 millions d'euro. Les montants donnent le tournis.. et pourtant plusieurs éléments de pessimisme sont à souligner.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »

Atlantico : Alors que le CAC 40 vient de réaliser sa meilleure année depuis 10 ans en termes de bénéfices, avec 93.4 milliards d'euros réalisés, quel bilan peut-on réaliser de la représentativité des 40 entreprises ici représentées de l'économie française dans son ensemble ?

Éric Verhaeghe : Un bilan plutôt pessimiste! On ne dispose pas encore de tous les chiffres de l'année 2017, donc il est un peu tôt pour tirer toutes les leçons de l'année qui vient de s'écouler. Mais plusieurs points doivent être rappelés pour que les Français comprennent bien la portée des chiffres qui sont donnés, au besoin en recourant aux études qui portent sur l'année précédente. En particulier, on doit marteler que ces 90 milliards sont à rapporter aux 1.200 milliards de chiffres d'affaires du CAC 40. La marge, comme on dit, des groupes du CAC 40 ne représente donc qu'1/12 du chiffre d'affaires, grosso modo (voire 1/13). Autrement, il faut au CAC 40 dégager 13 euros de chiffres d'affaires pour sortir un euro de profit. On regardera avec intérêt l'évolution de ce taux de marge et de profitabilité des entreprises du CAC 40. Pour mémoire, ces chiffres sont inférieurs aux résultats atteints en 2006, où les profits flirtaient avec les 100 milliards d'euros. Autrement dit, les grandes entreprises françaises n'ont pas encore retrouvé leurs profits d'avant la crise de 2008, ce qui est un premier élément de pessimisme. A cette époque, les chiffres d'affaires étaient pourtant très inférieurs aux taux d'aujourd'hui. Cela souligne l'importante baisse des taux de marge de nos grandes entreprises depuis 2008. Surtout, et c'est le constat qui me paraît le plus inquiétant, la croissance ne se fait plus en France. En 2006, les entreprises du CAC40 réalisaient environ 35% de leur chiffre d'affaires en France. Cette part est tombée aujourd'hui à 25%. L'Europe elle-même représente à peine la moitié du chiffre d'affaires du CAC40. Les progressions sont ailleurs: en Amérique, en Asie, en Afrique. On n'a pas assez cette donnée de base à l'esprit. Mais le CAC 40 réalise désormais l'essentiel de son activité hors de France, et de plus en plus hors d'Europe, avec une part sans cesse plus importante de salariés situés hors de France. Le CAC 40 n'a donc rien à voir avec les PME françaises qui n'exportent pas...

Quels sont les "travers" du fonctionnement de l'économie française qui peuvent caractériser les entreprises du CAC 40 ? En quoi s'opposent-elles à la réalité de la majorité des salariés du privé et de celles des entrepreneurs ? 

​Les entreprises du CAC 40 vivent sur une autre planète que la petite boulangerie ou la petite épicerie du coin. On a parlé de l'internationalisation extrême de l'activité, qui n'a rien à voir avec la vie des petites entreprises familières aux Français. On peut aussi, et bien évidemment, parler de la gouvernance de ces grandes entreprises. Elles sont rarement dirigées par leur fondateur historique. Elles sont plutôt contrôlées par des managers, comme chez Renault, aux salaires extrêmement élevés. Ces chiffres-là n'ont rien à voir avec la réalité des rémunérations perçues par les entrepreneurs moyens français. Beaucoup d'indépendants vivent avec des rémunérations inférieurs à celles de leurs salariés, en partant du principe que leur entreprise leur apportera, le moment venu, une valeur patrimoniale supérieure. En aucun cas, ils ne vivent avec les dizaines, voire les centaines de milliers d'euros perçus par les managers des grandes entreprises. Un autre point porte aussi sur la fameuse distribution des dividendes qui alimente de nombreux fantasmes. C'est une particularité des entreprises cotées sur des marchés réglementés. La SAS ordinaire ne distribue évidemment pas des sommes comparables à celles du CAC 40. Quand je dis qu'elles ne sont pas comparables, cela signifie qu'elles sont sans commune mesure.

Dans quelle mesure le CAC 40 peut-il être considéré comme un "premier de cordée" de l'économie du pays ? Les grandes entreprises françaises ont-elles, en France, ce rôle de courroie d'entrainement qui pourrait profiter à l'ensemble des acteurs économiques ? 

​Ces grandes entreprises occupent 10% de la main d'oeuvre privée en France, soit environ 1,5 million de salariés sur le sol national. Elles en occupent 3 millions à l'étranger. Elles apportent plusieurs externalités positives aux Français. D'abord, elles structurent largement l'organisation économique du pays. Prenons l'exemple emblématique de Renault, on mesure tout de suite comment cette marque et, au-delà, cette entreprise, a un impact structurant sur l'ensemble de l'économie française. Elle draine un réseau de succursales, d'équipementiers, de fans, qui font masse. Mais on pourrait dire la même chose des grandes valorisations financières comme le Crédit Agricole ou Axa, qui parsème le pays d'un réseau d'agences, qui accordent des prêts ou apportent des garanties dans la prise de risque économique. Dans cet ensemble, on comprend le risque qu'il y aurait, pour la France, à perdre ces fleurons, même si on peut en penser beaucoup de mal. De ce point de vue, il ne faut pas oublier que la France a encore la chance de disposer de quelques géants mondiaux capables de rivaliser avec les plus grands dans leurs domaines. Beaucoup de nos voisins ont assisté au rachat progressif de leurs fleurons par des étrangers...

http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2018/03/08/93-4-milliards-d-euros-de-profits-pour-le-cac-40-en-2017_5267523_3234.html

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !