L’Etat a-t-il vraiment intérêt à lutter contre les fumeurs ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le marché de la cigarette a connu une baisse de 5,1 % au dernier trimestre 2011.
Le marché de la cigarette a connu une baisse de 5,1 % au dernier trimestre 2011.
©Reuters

Fumer tue... les finances de l'État !

Selon une étude d'Atladis Distribution France publiée ce mardi, le marché de la cigarette a connu une baisse de 5,1 % au dernier trimestre 2011. Une bonne nouvelle pour la santé publique, mais l'État y trouve-t-il son compte d'un point de vue économique ?

Christian Ben Lakhdar et Nicolas Vaillant

Christian Ben Lakhdar et Nicolas Vaillant

Christian Ben Lakhdar est enseigant à l'Université catholique de Lille. Il est spécialisé dans l'économie des drogues et des addictions.

Nicolas Vaillant est enseignant à l'Université catholique de Lille. Il est spécialisé dans l'économie de la vie quotidienne (santé, criminalité...).

 

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Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la consommation de tabac est la première cause de décès évitables dans le monde. On s’attend à ce que le tabac tue plus de 100 millions d’individus au cours du XXIème siècle. En France, on estime à 60 000 le nombre de décès attribuables à la consommation de tabac par an. Le coût social du tabac, autrement dit la somme des coûts directs et indirects supportée par la collectivité en raison de l’existence même du tabac, a été évalué à 47,7 milliards d’euro en 2003. Cette somme renvoie aux dépenses directes de santé associées au traitement des pathologies résultant de la tabagie, ainsi qu’aux coûts indirects supportés par les ménages, les entreprises et l’Etat, ou encore aux conséquences collatérales de la consommation de tabac, par exemple les incendies qu’elle est susceptible d’induire. A titre de comparaison, le coût social de l’alcool a été estimé à 37 milliards d’euro en 2003 et celui des drogues illicites à moins de 3 milliards d’euros.

D’un côté, la consommation de tabac représente un coût très important pour la collectivité. Mais de l’autre, les ventes de tabac génèrent des ressources. D’abord, le tabac compte parmi les biens les plus lourdement taxés. Sur la période récente, les recettes fiscales issues des produits du tabac sont évaluées entre 13 et 14 milliards d’euro par an. Ensuite, certains fumeurs décèdent précocement, c’est-à-dire avant d’avoir profité de leurs années de retraite ; leurs pensions ne sont alors pas versées et sont donc économisées pour la collectivité, ou réallouer à d’autres usages. Enfin, n’oublions pas que fumer est source de satisfaction pour les fumeurs, ce qui a une valeur économique (preuve en est qu’ils paient pour pouvoir fumer). Au total, en contrebalançant le coût social du tabac de ses « avantages », le bilan est sans appel selon Pierre Kopp (Université Paris 1) et Philippe Fénoglio (Université de Nancy 2) : le tabac ne rapporte absolument rien à la collectivité, il ne fait que coûter.

Dans ces conditions, l’Etat a-t-il intérêt à obtenir un monde sans cigarettes ? D’un point de vue strictement économique, la question ne se pose pas en ces termes. Même en supposant que cet objectif est réalisable, il n’est pas forcément désirable dès lors que ce monde s’obtient à un coût prohibitif. La lutte contre le tabac doit être poursuivie tant que chaque euro supplémentaire dépensé à cette fin apporte d’avantage qu’il ne coûte, évalué en terme d’utilisation alternative de ce même euro. On parle de minimisation du coût social des drogues, ce qui signifie qu’il existe un niveau optimal de consommation de tabac. Si l’on ne remet pas en cause la mutualisation des dépenses de santé (en l’occurrence la prise en charge des dépenses de santé des fumeurs par les non fumeurs) et que l’on ne laisse pas jouer la responsabilité civile et l’assurance, pourquoi, alors, ne pas interdire le tabac ? Simplement parce qu'interdire un comportement, ce n’est pas l’empêcher…

La stratégie de l’Etat doit donc être de réduire le stock de fumeurs à son niveau optimal. Celui-ci est-il atteint en France sachant que les ventes de cigarettes diminuent à l’heure actuelle ? Il semblerait que non : d’une part, les ventes de tabac à rouler augmentent et d’autre part, les prévalences tabagiques sont aussi en augmentation selon le Baromètre Santé 2010.

Ainsi, pour réduire ce stock, la France, signataire de la Convention Cadre pour la Lutte contre le Tabac de l’OMS, dispose d’une série de mesures. Certaines sont déjà en vigueur, comme l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif, interdiction de vente de tabac aux mineurs, l’utilisation de photo-chocs et messages sanitaires sur les paquets de cigarettes… Pour aller plus loin, la prise en charge du sevrage tabagique, aujourd’hui remboursée à hauteur de 50 euros seulement, pourrait être totale.

Une autre piste est d’harmoniser les taxes, à deux niveaux : d’une part, entre les différents produits du tabac, pour éviter les effets de report des cigarettes vers le tabac à rouler ; d’autre part, au niveau européen pour éviter les achats transfrontaliers de cigarette. Finalement, les augmentations des taxes sur les produits du tabac restent le moyen de lutte contre la consommation de tabac le plus efficace. Elles permettent non seulement de réduire (voire d’interrompre) la consommation des fumeurs actuels, et surtout de dissuader les non fumeurs (les jeunes en particulier) à commencer.

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