Avec 30 000 milliards d'euros d'épargne, l'Europe a les moyens de financer sa croissance et sa souveraineté<!-- --> | Atlantico.fr
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Globalement, les pays de la zone euro ont largement de quoi financer tous les besoins de l'économie européenne sans passer par des prélèvements obligatoires, des impôts et des taxes.
Globalement, les pays de la zone euro ont largement de quoi financer tous les besoins de l'économie européenne sans passer par des prélèvements obligatoires, des impôts et des taxes.
©DAMIEN MEYER / AFP

Atlantico Business

Les banquiers européens considèrent que l'Europe a largement de quoi financer un rebond de la croissance, financer la transition écologique et restaurer ainsi sa souveraineté face à la puissance américaine ou au coup de boutoir de la Chine. Encore faut-il organiser l'union des marchés de capitaux. C'est un projet politique.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Alors que les Américains confortent leur potentiel d'innovation et de réindustrialisation à coup de milliards d'euros, alors que les Chinois cherchent à forcer les barrières protectionnistes pour se développer sur le marché européen... à Paris, à Amsterdam, Bruxelles ou Berlin, on considère que l'enjeu des prochaines élections européennes va être de développer l'Union européenne sur le marché des capitaux ; faire en sorte que les pays membres de la zone euro puissent dégager les moyens financiers propres pour financer les investissements capables de booster l'innovation et la croissance sans dépendre du marché mondial, sans dépendre, comme c'est le cas aujourd'hui, de la bourse de New York ou des excédents financiers de la Chine.

Le diagnostic actuel de la situation en Europe est inquiétant : la croissance économique est très faible (entre 0 % et 1,5 %), alors que les États-Unis caracolent à plus de 3 % et la Chine déclare avoisiner les 5 % annuels avec une ambition beaucoup plus forte pour les 5 prochaines années. Donc l'Europe est coincée entre la nécessité d'importer ce qu'elle ne fabrique pas et d'accepter, et même  d'attirer les investisseurs étrangers.

Le résultat d'une telle situation n'est évidemment pas rassurant pour l'avenir... Parce que quand les capitaux étrangers viennent s'investir dans les entreprises européennes, ils viennent très souvent avec leurs administrateurs et l'ambition de prendre le pouvoir. C'est bien pour l'emploi immédiat ,dans les régions où les usines s'installent, c'est moins bien pour le financement du pouvoir d'achat et surtout pour le financement du modèle social et particulièrement pour les retraites de la génération future.

La seule solution pour sortir de ce piège qui nous fait dépendre de l'étranger, c'est-à-dire des financements américains, chinois ou pétroliers, c'est évidemment de s'affranchir de l'épargne étrangère et de privilégier les ressources locales.

Globalement, les pays de la zone euro ont largement de quoi financer tous les besoins de l'économie européenne sans passer par des prélèvements obligatoires, des impôts et des taxes. Ces besoins sont très identifiés : il s'agit de financer les soutiens à la croissance dans les bas de cycle conjoncturel, et l'Europe a su le faire au moment du Covid puisque pour la première fois, l'Europe s'est donné la possibilité de mutualiser un emprunt important puisqu'il atteignait les 800 milliards d'euros (qui n'ont d’ailleurs pas encore été totalement mobilisés faute de projets précis). Mais au-delà de ces réponses conjoncturelles exceptionnelles, les pays de la zone euro ont une masse d'épargne colossale qui pourrait être mobilisée pour financer les investissements de croissance, d'innovation (pour développer de grands projets), mais surtout pour apporter aux entreprises privées des capitaux qu'elles n'ont pas.

La plupart des rapports qui ont été faits, le dernier en date ayant été commandé à Christian Noyer, ex-gouverneur de la Banque de France, et qui vient tout juste de le remettre au ministre de l'Économie... Tous les rapports et toutes les études chiffrent à plus de 30 000 milliards d'euros l'épargne financière des Européens. La capacité d'épargne disponible qui dort aujourd'hui sur les comptes courants des banques ou des organismes d'épargne serait de 13 000 milliards d'euros. On peut aussi considérer qu'il existe une part aussi importante d'épargne qui est investie en obligations d'État pour financer les déficits de fonctionnement dans les pays notamment d'Europe du Sud et en immobilier. Total plus de 30 000 milliards d'euros.

Le plus urgent serait évidemment d'essayer de réduire les déficits de fonctionnement afin de dégager des moyens pour l'investissement et la recherche, mais cela relève des politiques nationales et la France est assez mal placée pour donner des leçons...En attendant, le plus important pour les banquiers et les milieux d'affaires serait de s'entendre en Europe pour créer une union des marchés de capitaux, afin de dégager les moyens de répondre aux besoins des entreprises.

Les entreprises européennes ont besoin de capitaux pour financer le développement des technologies digitales et de l'intelligence artificielle, pour financer toutes les recherches et les systèmes qui participent à la décarbonation, et notamment à l'énergie, pour financer les besoins considérables nécessaires aux infrastructures, au fonctionnement des systèmes de santé et d'éducation.

Les États n'ont pas les moyens de financer ces mutations a partir de leurs recettes fiscales, les entreprises privées pourraient les trouver sur les marchés des capitaux. Si Total, une des toutes premières entreprises françaises, va se faire coter sur New York, c'est bien parce qu'elle n'a pas accès aux capacités européennes. Le résultat, c'est que Total va être détenu à une forte majorité par des fonds étrangers et travailler pour financer la retraite des Américains.

Pour la plupart des chercheurs et des professionnels, il faudrait sans doute desserrer la réglementation qui corsette un peu fortement les banques européennes et qui explique leur timidité relative sur la mécanique des crédits. Notre aversion au risque et le respect caricatural du principe de précaution freinent beaucoup d'initiatives et obligent l'épargne à dormir plutôt qu'à travailler.

Ensuite, et Christian Noyer rejoint là le monde bancaire, il faudra sans doute créer des incitations fiscales à l'échelle européenne pour que les épargnants aient intérêt à sortir prendre l'air sur les marchés de capitaux. On pense évidemment pour la France à l'ouverture des retraites à la capitalisation, mais pas seulement. Il faut évidemment créer des produits financiers qui attirent les investisseurs ; on a très bien su le faire pour financer la dette publique. L'Agence France Trésor sait faire. Enfin, il faudra sans doute libérer les possibilités de titrisation des prêts aux PME et aux ETI, c'est-à-dire permettre aux banques de transformer une créance en produit d'épargne revendable sur le marché européen.

Alors tous les pays de la zone euro ne sont pas enthousiastes à ce type de solutions. Certains s'inquiètent des risques de dérive supprimée, d'autres, comme en Allemagne, en ont moins besoin parce que le tissu de leurs ETI est encore financé par des épargnes familiales très puissantes, parce que l'État est plus rigoureux au niveau des dépenses publiques et sociales, donc moins gourmand en dettes.

Le véritable frein pour libérer le marché des capitaux est évidemment politique, puisque l'union des marchés sous-entend de facto une mutualisation des opérations et des garanties. La lutte contre la Covid avait déja donné l'occasion de mettre un pied sur le marché des eurobonds, c'est-à-dire que Bruxelles a obtenu des États membres et notamment allemands de lever des fonds européens.

La guerre en Ukraine va sans doute accélérer le changement d'attitude des Allemands parce que l'Allemagne a perdu des fondamentaux de son modèle économique. L'Allemagne a perdu son accès à des approvisionnements en gaz très compétitifs. L'Allemagne a aussi perdu de la puissance sur les marchés chinois. L'Allemagne va enfin être obligée de participer davantage que par le passé à l'effort de guerre en Ukraine, mais surtout à l'effort de défense consenti par les autres pays européens, dont la France. Paradoxalement, l’affaiblissement de la puissance économique de l’Allemagne peut faciliter un renforcement de l’union européenne. Il faudra sans doute y ajouter une bonne dose de courage politique de la part des gouvernements. Il faudra aussi se souvenir que toutes les grandes avancées europeennes se sont faite sans le soutien ferme des opinions publiques mais grâce a la volonté des responsables politiques. A noter qu’aujourd hui, aucun parti politique de gouvernement ne milite ni pour la fin de l’Europe ni pour la sortie de l’euro. Et pourtant, à l’origine, l’adhésion des peuples n’était pas acquise.

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