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Mais où se situe vraiment l’Iran dans l’échelle actuelle de dangerosité de nos ennemis (les "officiels" comme les faux alliés) ?
©Reuters

Attention, un ennemi peut en cacher un autre

En finançant le Hezbollah et en agitant le Moyen-Orient, l'Iran représente une menace régionale. Son idéologie anti-occidentale en fait un ennemi pour l'Occident. Pour autant, l'Iran n'est pas une menace pour la sécurité mondiale à l'inverse du Pakistan qui, allié à l'Arabie Saoudite, au Qatar et au Koweït, contribue au terrorisme international. L'Occident aurait donc tout intérêt à renouveler ses alliances au profit de l'Iran, beaucoup moins dangereux.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : L'Iran et le Pakistan, de par leur poids stratégique et leur positionnement géographique, menacent-ils la sécurité mondiale?

Alexandre Del Valle : L’Iran est un pays qui représente un véritable danger au Proche-Orient notamment en raison de son action déstabilisatrice en Israël et au Liban. Il finance des mouvements terroristes comme le Hezbollah ou le Jihad islamique et a longtemps financé le Hamas. L'Iran est également un pays impliqué dans différents conflits en Syrie, en Iraq et au Yémen. Toutefois, l'action de l'Iran dans ces conflits est soit défensive soit régionale mais non globale. Au Yémen, l'aide iranienne est indirecte: les Houthis qui se battent contre les sunnites d’Arabie Saoudite sont soutenus mais pas financés ni armés massivement par l’Iran.

Quant au Pakistan, c’est un pays qui, pendant la Guerre Froide, a été instrumentalisé par les Etats-Unis pour contrer l’avancée des soviétiques vers l’Afghanistan. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, le Pakistan, qui n’était pas un pays islamique totalitaire et extrémiste, s’est islamisé de façon radicale avec la bénédiction des Etats-Unis, l’islamisme radical étant alors considéré comme une arme contre le communisme. Puis après le retrait soviétique dans les années 1990, le Pakistan a eu recours à la "carte" des talibans pour contrer les Indiens et les Russes en Afghanistan.  Le Pakistan a créé la structure islamiste la plus radicale et totalitaire dont le but est de prendre contrôle d'un pays dans une logique étatique. depuis, les services secrets pakistanais aident et arment les talibans. Le Pakistan joue le même jeu trouble de financement de mouvements ouvertement terroristes au Cachemire, revendiqué par le Pakistan, et en Inde, où régulièrement des attentats sont commis par des islamistes ultra radicaux qui ne sont pas condamnés par le Pakistan. En résumé, ce pays qui possède l’arme atomique menace donc l’Inde, déstabilise l’Afghanistan et une bonne partie de l’Asie centrale, et organise une réislamisation ultra radicale avec une propagande aussi folle que celle de l’Arabie Saoudite qui trouve les faveurs de nombreux prêcheurs et ministres. Par ailleurs, ce pays est un pays de transit pour d’autres terroristes du djihad international, une plateforme mondiale. Et, contrairement à la Syrie et au Yémen où le chaos règne, le Pakistan bénéfice d’une véritable machine étatique organisée avec une armée puissante et une bombe atomique.... Ce pays est donc beaucoup plus dangereux qu’une zone simple chaotique et de non droit comme la Libye ou les territoires de Daesh . Le Pakistan mène un double jeu en étant un interlocuteur inséré dans les organisations internationales et les relations diplomatiques et un partenaire du terrorisme le plus fanatique. 

Il existe une différence majeure au niveau du statut de ces deux pays pour l'Occident. Le Pakistan est un allié traditionnel de l'Occident tandis que l'Iran est pays avec lequel la reprise du dialogue est récente.

Depuis un certain nombre d’années,  l’Occident ne se définit plus selon des critères géo-civilisationnels et identitaires mais selon  des principes stratégiques (OTAN) et économiques (libre marché, capitalisme). A partir du moment, où l’Occident se définit par l’économie de marché, il peut s’allier avec n’importe quel  pays capitaliste, y compris ceux qui menacent son identité par leur propagande comme les pétromonarchies du Golfe. Cette vacuité identitaire de l’Occident explique ces alliances géopolitiques contre nature et incohérentes du point de vue civilisationnel avec les pays du Golfe, le Pakistan ou même la Turquie avec son double jeu et son dangereux néo-sultan Erdogan. Comme le pétrole représente un enjeu important pour l’économie mondiale, l’Occident a comme meilleurs alliés économiques, ses pires ennemis idéologiques dont le but (islamiste) est de conquérir à terme le reste du monde « mécréant » à commencer par l’occident. 

L’Iran est certes à l’origine d’une révolution radicale totalitaire chiite, mais n’a pas pour projet de convertir le monde entier à l’islam radical. De facto, l’Iran s’occupe de ses propres intérêts régionaux, essentiellement. Ce pays, à l'instar de la Russie, utilise le conflit israélo-palestinien et libanais pour des raisons stratégiques afin d’avoir accès à la Méditerranée et de contrôler le proche Orient. Mais au niveau international, l’Iran n’est pas à l’origine de vaste mouvement d’islamisation planétaire. L’Iran agit un peu comme la Russie au sein d’une zone définie, d’un « étranger » porche sans interférer dans les affaires des autres blocs géocivilisationnels mondiaux où il demeure assez pragmatique et différentialiste. Si l’Iran cesse un jour de financer le Hezbollah, le Jihad islamique et le Hamas ou « calme » ces derniers, et s’il cesse ainsi d’être un obstacle pour la paix, ce pays peut un jour redevenir le grand allié régional de l’Occident qu’il fut jadis comme à l’époque du Shah. 

L'Iran et le Pakistan ne représentent donc pas le même type de menace?

Alexandre Del Valle : Depuis que l’Iran a renoncé au terrorisme international, il est une menace au proche orient mais pas au niveau mondial. L’Iran représente une menace surtout pour des pays comme Israël et le Liban. Mais au niveau international, c’est moins l’Iran que le Pakistan, gangréné par Al Qaïda et bénéficiant de complicités au sein des services de sécurité (ISI, etc), qui représente la véritable menace pour la sécurité mondiale. L’Iran ne perpètre plus d’attentats terroristes contre les démocraties occidentales et n’organise pas un prosélytisme chiite planétaire et offensif pour fanatiser les masses musulmanes du monde entier que le font les monarchies du Golfe, le Pakistan ou même la Turquie chez nous . L’Iran est une puissance essentiellement nationaliste qui semble être en train de s’assagir à la différence du Pakistan qui a bénéficié de la complaisance des Etats-Unis pendant des années puis de la Corée du Nord et de la Chine qui ont coopéré avec elle au niveau technologique et militaire. Le degré de menace de ces deux pays n’est donc pas le même, bien qu’ils aient eu des contacts également dans le cadre du nucléaire notamment.

Le Pakistan est-il plus menaçant que le Qatar ou  l’Arabie saoudite dont on parle beaucoup plus? 

Alexandre Del Valle : Le Qatar, l’Arabie Saoudite et le Koweït sont trois pays qui contribuent au terrorisme international de façon tantôt directe tantôt indirecte. Lorsqu’ils cessent directement de financer certains mouvements terroristes comme al-Qaida ou Daesh, ils participent à former l’idéologie islamiste et à la fanatisation des musulmans dans le monde entier, et, indirectement des futurs terroristes formés à leur idéologie totalitaire salafiste. La menace principale vient donc d’un ensemble d’Etats solidaires entre eux comme on le voit avec les Pakistanais qui sont très liés à l’armée saoudienne et qui coopèrent avec d’autres- Etats fondamentalistes au sein notamment de la Coopération islamique (OCI). Ces quatre pays visent à imposer une islamisation de la planète au nom d’un islam le plus orthodoxe. C’est un projet officiel diffusé dans les mosquées,  dans les universités, dans les discours et grandes organisations panislamiques pilotées et financées par elles . 

Y a-t-il d’autres pays qui représentent une menace planétaire?

Alexandre Del Valle : La Corée du Nord bien sûr. Mais aussi la Chine qui, contrairement à l’Inde - pays qui n’a aucune raison de menacer des pays loin de son territoire - voudra un jour contrôler toute la mer de Chine et le sud de l’Asie. Son projet est d’évincer les Occidentaux, les Américains au Japon, aux Philippines, à Taiwan et dans le détroit de Malacca. La Chine, sans laquelle la Corée du Nord ne peut survivre, est épargnée par les organisations internationales qui se focalisent sur les bruits de bottes de la Corée du Nord, de l’Iran ou de la Russie pays perçus comme les grands méchants. Pourtant, la Chine est le pays qui, à long terme, a le plus les moyens et la détermination pour menacer les intérêts occidentaux en Asie, continent qui incarne la nouvelle zone de développement économique pour l’économie mondiale. Certes, la chine n’annoncera jamais la couleur tant qu’elle ne sera pas prête car c’est un pays qui n’agressera jamais les autres sans certitudes de remporter la bataille. Les Chinois ne paraissent pas dangereux, mais à terme ils peuvent être un ennemi majeur pour l’Occident. Ils conservent d’ailleurs une rancœur très forte envers l’Occident coupable de l’avoir humilié à la fin du XIX e et au début du 20e siècle. Alors n’oublions pas cet ennemi qui dort. 

Plus précisemment, peut-on soupçonner certains pays du Moyen-Orient de complicité avec l'Etat Islamique ? De participer à son financement ?

Xavier Raufer : Répondre à cette question nécessite avant tout de définir l'Etat Islamique. Pour la rentrée 2015, j'ai publié chez Atlantico une grande étude sur la nature de l'Etat Islamique. Il n'est pas comparable avec ce qu'était Al Qaeda, qui correspondait à un réseau idéologique, cherchant la création d'un califat à travers le monde. L'ensemble des dirigeants de ce mouvement étaient passés par l'Afghanistan et connus pour être des militants islamistes. A l'inverse, les 50 principaux dirigeants de l'Etat Islamique, dont on connait les identités, sont d'anciens officiers supérieurs de l'armée de Saddam Hussein. Il s'agit d'hommes d'un certain âge (certains ont entre 40 et 50 ans), qui existaient longtemps avant l'EI et qu'on savait laïques. C'est une armée mercenaire, la revanche de l'armée de Saddam Hussein.

Dès lors, la question se pose : aucune armée mercenaire n'est mercenaire d'elle-même. Les gardes-suisses étaient au service du roi de France, les mercenaires au Katanga servaient diverses causes géopolitiques mais étaient payés par des gens… C'est donc légitimement que l'on s'interroge sur qui finance les mercenaires de l'Etat Islamique. Or, depuis sa création dans les années 2000 par Abou Moussab Al-Zarqaoui – dont l'EI fait encore l'éloge aujourd'hui – le mouvement mangeait à tous les râteliers. Dès l'origine, il existe des preuves évidentes de contact avec la République Islamique d'Iran et de relations plus poussées encore avec la Syrie de Bachar Al-Assad. A un moment donné, les pétromonarchies du Golfe ont envisagé de financer l'Etat Islamique, entre 2000, 2005 et jusqu'en 2010. Un pouvoir chiite s'installait à Bagdad, proche de la République Islamique d'Iran. Le fragiliser et le déstabiliser semblait être une bonne idée. Pour autant, d'après les éléments dont je dispose, l'Arabie Saoudite comme le Qatar ont renoncé à s'appuyer sur l'EI, en raison des terribles interférences en provenance d'autres nations. L'Iran et la Syrie ont, sur l'Etat Islamique, un poids et une capacité d'influence plus forte que celles des pétromonarchies. Par conséquent, l'Etat Islamique n'obéit plus – et ne reçoit plus d'argent – de la part du Royaume et des autres pétromonarchies du Golfe.

L'Arabie Saoudite a déclenché une campagne très dure contre sa propre population chiite, installée dans le nord du pays, qui  a abouti sur l'exécution du Cheikh Al-Nimr. En parallèle, Abou Bakr Al-Baghdadi – officiellement chef de l'EI, mais qui tient plus du leurre médiatique dans les faits – sort de son silence long de plusieurs mois pour déclarer la guerre à l'Arabie Saoudite. Ces coïncidences sont étranges. D'autant plus quand on souligne également le fait que l'Etat Islamique, en Syrie, n'affronte guère que l'opposition à Bachar Al-Assad. Ils exterminent l'armée des officiers libres, s'en prennent à la section syrienne d'Al Qaeda… 

Les services officiels français s'interrogent d'ailleurs sur la situation qui, très clairement, reste obscur pour tout le monde. Il demeure de grandes hésitations, mais tout cela s'appuie sur des cas précis. Après l'attaque américaine en Afghanistan Zarquaoui est, par exemple, allé se réfugier en Iran. Nous savons précisément dans quelle ville il était, qui il a reçu… Nous avons un certain nombre de précisions qui permettent de construire un grave faisceau de présomptions concordantes. Tout cela n'est pas hypothétique.

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