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Attention nervosité : les tensions commencent à poindre sur le marché de la dette française
©Reuters

Oh mon bas taux, oh oh oh !

L'émission d'obligations sur 30 ans par la France a été peu enthousiasmante, moins que celle de janvier dernier. Les investisseurs s'inquiète et la dette française revient sur le devant de la scène.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Une émission obligataire française pour des titres à 30 ans s'est déroulée au cours de ce début de semaine, et a suscité un enthousiasme moindre que la dernière action du mois de janvier dernier, ce qui, selon l'agence Bloomberg, a pu inquiéter certains investisseurs. Dans quelle mesure cet "événement" concernant la dette française pourrait n'être que la conséquence des propos tenus par Mario Draghi la semaine passée, indiquant un probable désengagement progressif de la BCE de sa politique de quantitative easing ? 

Jean-Paul Betbèze : Ce qui s’est passé ces derniers jours sur les marchés de la dette française, c’est que le vent a tourné, surtout parce qu’il a tourné sur la dette allemande. En effet, le rendement à 10 ans de la dette française s’inscrit actuellement à 0,76% contre 0,53% le 23 juin. 0,23 point de pourcentage de plus, ce n’est rien diront certains. C’est 43% diront les marchés, en quinze jours ! Quelque chose a donc changé. 

En fait deux événements majeurs ont joué et s’ajoutent.

C’est d’abord la fin du risque perçu d’un éclatement de la zone euro. Le premier changement vient ainsi d’Allemagne, avec l’idée que la crise de la zone euro, avec le risque de son éclatement en cas d’élection de Mme Le Pen en France, est passé. Ainsi, le rendement du bon du trésor allemand (le bund) s’inscrit actuellement à 0,47% contre 0,27% ce même 23 juin. Encore une fois, comme pour la France : 0,2 point de pourcentage de plus, ou bien 74% de plus ! C’est donc la montée des rendements en Allemagne qui devrait surtout inquiéter : or elle annonce cette bonne nouvelle ! Les marchés, avec l’élection d’Emmanuel Macron ne croient plus à l’éclatement de la zone. Ils n’achètent donc plus le bund allemand qui représente (représentait) pour eux l’actif le plus sûr. Les taux longs si bas, inférieurs aux taux de l’inflation (0,8% en France et pire 2% en Allemagne) sont, ou étaient, une assurance : en cas de coup dur, l’Allemagne « tiendra » et pourrait même épauler la France, avec la BCE bien sûr. Il ne s’agit pas de savoir si ceci est crédible : c’est – c’était - dans la tête de marchés. Et cette prime d’assurance a disparu. Puisque Emmanuel Macron est élu, plus besoin de détenir autant d’obligations allemandes qui rapportent si peu : vendons-les ! Alors les rendements de la dette allemande montent et n’ont pas fini de monter !

Le deuxième événement qui joue est le retour de l’inflation anticipée et de la hausse des taux de la BCE. Il vient lui de Sintra, au Portugal, à l’occasion de la réunion d’analyse organisée par la Banque centrale européenne (le pendant de Jackson Hole en août pour la Fed aux Etats-Unis). Un trantrum zone euro s’est  ainsi produit, avec l’annonce par Mario Draghi d’une nette amélioration de la situation économique. Il indique ainsi être « plus assuré du retour de l’inflation ». Les marchés en tirent immédiatement l’idée que les hausses de taux seront proches, faisant monter les taux longs et l’euro. Et pourtant, Mario Draghi avait bien précisé ce même 27 juin que rien ne serait immédiat («  Inflation dynamics are not yet durable and self-sustaining. So our monetary policy needs to be persistent ») !  Qu’importe !

Qu’est donc cette histoire ? Tantrum, colère (d’enfant), on connaît l’expression fameuse depuis le jour (21 mai 2013) où Ben Bernanke avait mentionné que les achats de bons du trésor par la Fed devraient bien se réduire un jour (taper). Il n’avait pas fini son discours que les taux longs montaient, créant une mini-crise mondiale. Depuis lors, la Fed s’entoure d’un rare luxe de précautions pour gérer la baisse de son portefeuille – qu’elle n’a pas encore commencée ! Dans le cas de la zone euro, cette annonce de Sintra, sur-interprétée et depuis corrigée dans les discours, a changé la donne : c’est notre tantrum. En plus, la publication le 6 juillet des « minutes » de la BCE le renforce. Les membres du conseil des gouverneurs ont en effet débattu le 7 et 8 juin de l'opportunité de supprimer de leur message de politique monétaire la promesse d'amplifier, ou de prolonger, le programme de rachat d'actifs mis en œuvre en mars 2015 pour stimuler la croissance. Si les gouverneurs ont finalement décidé, à l’époque, de maintenir ce message sur ce « biais accommodant », mais dans l'attente d'une accélération de l'inflation en zone euro, c’est donc bien que le resserrement monétaire est au cœur des réflexions de la BCE !

On a donc l’équation suivante : Macron élu (le risque d’éclatement baisse) + croissance en hausse (le risque d’inflation monte) = les taux longs réagissent fortement en hausse.

Derrière cet épisode concernant une émission obligataire française, quels sont les risques de voir les taux d'intérêts français se relever au cours des prochains mois ou prochaines années, avec quelles conséquences ? 

Les taux longs français vont donc monter et se normaliser, toute la question étant de freiner le processus, d’abord en zone euro et à partir de la BCE. Nous aurons donc d’autres discours pour préciser dans le temps la normalisation de la politique d’achats de la BCE, en réduction, de bons du trésor, afin de la maintenir autant que possible. Le pire serait en effet que les marchés financiers ne s’impatientent et poussent la BCE à une normalisation trop rapide. Ce serait partout mauvais pour la croissance, notamment en faisant monter le dollar (par ailleurs sous pression avec les inquiétudes sur Trump). 

En même temps, en France, il faut envoyer le message d’une reprise non inflationniste, avec un accent renforcé sur le sérieux budgétaire. La période de la déflation ou de l’éclatement de la zone a disparu (pour l’heure bien sûr).

Quels seraient les mesures les plus efficaces à prendre, aussi bien au niveau européen qu'au niveau national, pour permettre de contrer un tel risque ? 

Au niveau de la BCE, il lui faut préciser son message et revenir, il faut le dire, sur le message excessif envoyé par Mario Draghi. Il était excessif en ce qu’il lie la croissance attendue à l’inflation puis à la normalisation de la politique de la BCE. Ceci aura lieu, mais lentement. Cette correction des messages est en cours, mais le mal est, en large part, fait. Il faudra que la BCE indique qu’elle va continuer, puisque l’inflation est à 1,3%, - on l’a oublié, et que le dollar est fort et le pétrole faible ! Elle pourrait ainsi acheter moins de bons du trésor dans le courant de l’an prochain, mais pour plus longtemps, avant de se remettre à monter les taux. C’est donc à elle, et à Mario Draghi, de corriger le tir et d’apaiser le tantrum. Il faudra des chiffres sur le programme d’achats.

Au niveau national, il est clair que l’abaissement de la facture de la dette par les taux est fini et qu’émettre de la dette longue (à trente ans par exemple) pour en profiter est fini. Au contraire, ceci risque d’exacerber les tensions. Avec le temps, nous aurons donc à faite face à 1% de PIB en plus pour le coût de la dette publique : ce n’est pas dans les comptes actuels, il faut s’y préparer. 

Ceci implique un effort sans précédent pour augmenter la croissance par la compétitivité, de façon à exporter : pas seulement le contrôle de la dépense publique, mais surtout le soutien à l’investissement et à l’emploi par la baisse des charges seront décisifs. La dépense publique doit être encadrée, par exemple avec une réglé stricte de dépense nominale. Au minimum, par exemple, le budget ne doit pas monter en euros courants pendant x années, ou seulement de 1%. En même temps, il faut simplifier les procédures administratives et baisser au plus vite les impôts. Le temps perdu en ce domaine, du fait du dérapage du budget par présentation de charges sous-estimées, est très dommageable. 

Au fond, un vent positif souffle sur la France, mais il ne faut pas qu’il se retourne contre nous. Les entrepreneurs se montrent prêts à investir et à embaucher : nous avons un an pour monter que ceci a lieu. En même temps, les marchés financiers, par la hausse des taux, ont déjà « acheté » la reprise. Le pire serait donc que les mesures pro-croissance, notamment par la flexibilisation du marché du travail, soient trop faibles, parce que les taux d’intérêt, eux, seront là. Plus hauts.

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