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Attentats suicides : ce que ces études anthropologiques en cours révèlent des mécanismes qui conduisent au sacrifice ultime
©Sebomari.com

Bandes à part

De nouvelles recherches dans le domaine de l'anthropologie démontrent que leur croyance religieuse n'est pas le premier moteur qui pousse les terroristes à sacrifier leur vie. De manière plus générale, les notions théoriques telles que la liberté, la démocratie, l'islam ou la royauté ne constituent pas à elles seules une motivation suffisante pour rentrer dans une logique sacrificielle. Dès lors, selon les travaux de l’Université du Texas, la déradicalisation d’individus relève presque de la mission impossible.

Béatrice  Madiot

Béatrice Madiot

Béatrice Madiot est psychosociologue, maître de conférences en psychologie sociale et membre du laboratoire CrcPo de l'UPJV, responsable du parcours M1-M2 Psychologie de l'insertion et de l'intervention sociales.

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Atlantico : Si la religion n'est pas la cause première qui motive les terroristes à sacrifier leur vie, est-ce plutôt, comme le suggère de nouvelles et nombreuses études d'anthropologiques (voir ici), la pression du groupe ?

Béatrice Madiot : Les notions de groupes et de cause idéologique sont indissociables. D'une part, un groupe ne peut se former qu'autour d'une cause commune. D'autre part, un individu n'ira que jusqu'à la logique sacrificielle que si il est soutenu et encadré par un groupe, alors que l'inverse n'est pas vrai, ou en tout cas extrêmement rare. Une personne sans soutien social et sans conviction, n'ira pas commettre un attentat suicide.

Néanmoins, il est intéressante de souligner qu'il existe différentes sortes de groupes. Les terroristes actuels font a priori partie de la catégorie de groupe qui s'apparentent en psychologie sociale à des "des groupes orthodoxes", c'est-à-dire des groupes qui établissent des règles de comportements acceptées par l'individu voire, dans les cas les plus poussés, les souhaitent.

C'est par exemple le cas des communautés d'Inuits qui vivent dans l'Arctique, où les conditions de vie sont très dures. La règle établie est que les anciens, quand il deviennent une charge pour la communauté, doivent abandonner le groupe et se laisser mourir seul, pour ne pas peser sur la communauté.

Suite à ce préambule, il est intéressant de rappeler la typologie établit par Durkheim sur les différentes formes de suicide. Il distingue le suicide "altruiste", "égoïste", "fataliste" et "anomique".

Le premier concerne des individus trop intégrés et qui ne supportent pas de faillir aux règles de leur groupe : les militaires de carrière, par exemple, se suicident plus que les civils. Les Inuits entrent dans la catégorie du suicide "altruiste", tout comme les terroristes de l'Etat Islamique.

Le suicide égoïste (que l'on appellerait plutôt aujourd'hui "individualiste") provient, lui, directement d'un défaut d'intégration, d'une perte de repères, d'un isolement (veufs, célibataires). Le suicide anomique (anomie = absence de normes), quant à lui, met en évidence certains dérèglements des sociétés modernes qui conduisent les individus à trop espérer et à ne plus être capables de contenir leurs désirs (comme par exemple certains industriels qui se sont enrichis trop vite...). Quant au suicide fataliste, il intervient quand les règles sociales réduisent les marges de manoeuvre des individus.

Au regard de ces analyses, il apparait bien que, comme le suggère les recherches des psychosociologues, la pression du groupe est un facteur déterminant dans la logique sacrificielle des terroristes d'aujourd'hui, même si bien sûr de multiples autres facteurs rentrent en jeux (la personnalité, le milieu social, l'entourage familial, etc).

Ces recherches expliquent aussi pourquoi les djihadistes peuvent venir de tous les milieux sociaux et de toutes les éducations religieuses : ce n'est pas l'islam en soi qui les attirent, c'est l'appartenance à un groupe.

Si la pression du groupe est essentielle dans l'accomplissement d'attentats suicides (au moins autant que la cause religieuse) qu'est-ce que cela implique en termes de "déradicalisation" des terroristes tombés entre les mains de la juste ?

Cela implique que, en terme de réhabilitation d'individus radicalisés, il faut raisonner en terme de groupe plutôt qu'en terme d'individu.

En effet, ce sont des organisations extrêmement fusionnelles, dans le sens ou elles sont composées d'individus qui veulent se ressembler jusqu'à pouvoir se confondre avec l'autre, être interchangeables en quelque sorte. Donc si on veut déradicaliser un individu appartenant à un groupe terroriste, l'extraire du groupe peut en revenir pour lui à trahir son groupe, car en quelque sorte il se trahit lui-même, ce qui est trop violent pour être supporté.

Il faudrait dans l'idéal transférer un groupe d'individus prisonniers d'un système dans un autre système très structurant. Mais c'est malheureusement un processus très compliqué à mettre en place, d'où le débat insoluble qui concerne les prisons détenant des terroristes. Si on les laissent en groupe, ils ne vont pas se déradicaliser, car leur logique de groupe sera plus forte que jamais. Mais si on les isole sans rien leur proposer comme structure derrière, ils peuvent faire du prosélytisme, afin de reconstruire les repères communautaires qu'ils connaissent. Car, rappelons-le, un être humain est fait pour vivre en groupe. Sinon, il dépérit.

En terme de prévention, on raisonne déjà mieux en terme de groupe, car on essaye de repérer les liens entre les différents individus. Mais c'est très difficile, car ils font tout pour les cacher.

Les différentes recherches des psychosociologues démontrent que chaque être humain a potentiellement une dimension sacrificielle que l'intégration d'un groupe peut révéler. Êtes-vous d'accord avec cette hypothèse ?

Oui, tout à fait.

En fonction du contexte, la plupart d'entre nous pourrait devenir un terroriste ayant pour but ultime de commettre un attentat suicide.

C'est ce qu'a démontré l'expérience de Stanley Milgram, qui prouve que le comportement d'un individu peut changer presque de 0 à 100% en fonction du contexte dans lequel l'individu évolue.

Au début des années 1960, Stanley Milgram, chercheur à Yale, demande à des individus sélectionnés par petite annonce d'infliger des chocs électriques d'intensité croissante à d'autres individus (qui, eux, sont en réalité des acteurs, et ne reçoivent en fait pas de chocs) s'ils échouent à retenir des mots. Le tout sous la supervision d'un scientifique, et en leur faisant croire qu'ils participent à une étude sur l'influence de la punition sur l'apprentissage. Dans la variante la plus connue de l'expérience, 65% des individus allèrent jusqu'à la tension maximale, et potentiellement mortelle, de 450 V. L'expérience est devenue emblématique, résume la British Psychological Society, de la façon dont "des gens ordinaires peuvent causer une souffrance extraordinaire aux autres quand on le leur demande".

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