Après la stratégie du Grand débat, celle des petits : la démocratie à l’épreuve du macronisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron échange avec des citoyens lors d'un déplacement en avril 2023.
Emmanuel Macron échange avec des citoyens lors d'un déplacement en avril 2023.
©DANIEL COLEPOOL / AFP

Renaissance

Emmanuel Macron compte bien renouer avec la stratégie du Grand débat avec de multiples déplacements sur le terrain. Mais certains fondamentaux au cœur du macronisme accentuent probablement le malaise.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Un an après sa réélection, Emmanuel Macron a envoyé une lettre aux adhérents de Renaissance appelant à sillonner le pays pour résister à « la démagogie » et aux populismes. « Rien ne serait pire que de céder aux attaques des populistes ou de laisser couvrir la voix des progressistes par les cris des démagogue », écrit-il. Alors que lui-même multiplie les déplacements, comme ce mardi dans le Loir-et-Cher, que penser de cette stratégie ? 

Christophe Boutin : Le ton messianique de la lettre du Président ne vous aura pas échappé. Pour un peu, nous en serions à citer l’Évangile de saint Mathieu, quand, après la Résurrection, le Christ s’adresse à ses onze disciples pour leur dire : « Allez donc, enseignez toutes les nations ». Voici en effet qu’Emmanuel Macron appelle les membres de sa formation politique à « sillonner le pays, fiers de ce que vous êtes et de ce que notre pays est devenu ces six dernières années avec vous et grâce à vous. »

Stratégie d’un moment ? Sans nul doute. Le Président peut difficilement ignorer qu’il y a actuellement une forte coupure entre son gouvernement, sa majorité, et une grande part de la population, coupure cruellement visible dans les médias à chaque déplacement des ministres avec ces manifestations de colère faites au son des casseroles. L’image est ici catastrophique, et il importe sans doute que les militants Renaissance se mobilisent lors de ces déplacements pour contrebalancer cette vision qui oppose le pouvoir aux Français. 

Mais au-delà, ce texte, dont on ne peut douter que chaque mot a été pesé au trébuchet de la pensée complexe, est intéressant à plus d’un titre, par ce qu’il dit comme par ce qu’il ne dit pas. S’il est certes politiquement très secondaire, il donne en effet à voir le récit mythique du macronisme : il est le « roman macroniste » comme il y a un « roman national », comme une photographie de Soazig de la Moissonière qui aurait été mise en prose. 

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Les militants-disciples sont ainsi invités à évoquer auprès des électeurs incroyants « six années de réussites françaises et de succès européens, pour le plein emploi, pour une croissance plus verte, pour des services publics plus forts, pour une Nation plus juste et plus indépendante ». Soit le Président y croit, et l’effet de cour, le syndrome du « village Potemkine » ont atteint en France des niveaux que l’on ne peut guère comparer qu’aux rapports destinés au « Cher leader » nord-coréen ; soit nous sommes en face de la nième provocation de cet enfant trop gâté qui aime tant à en user.

Car ce que la réalité nous apprend, c’est que la France et l’Europe s’enfoncent sur la scène internationale ; qu’il n’y a pas de croissance, verte ou pas, mais bien une inflation qui la plombe ; que nos services publics sont en déshérence ; que la France est vassalisée et que l’injustice sociale y règne. Et si un militant Renaissance venait à le nier, il faudrait toute la tempérance traditionnelle des peuples envers ceux dont Dieu égare la raison pour que ses auditeurs ne soient pas tentés de redonner vie à la saine tradition du goudron et des plumes. 

Tout le monde n’ayant pas vocation au martyr, il est permis de douter des effets réels de ce texte sur les missionnaires potentiels, mais ce qui est sous-jacent est révélateur : comme avec le Grand débat, Emmanuel Macron continue de penser que s’il n’y a pas d’accord sur ses projets ce ne peut être que parce qu‘ils ont été mal expliqués. À aucun moment ne se pose la question d’une éventuelle erreur : le pouvoir ne saurait mal faire puisqu’il est celui de la Raison et qu’il sait ce qui est bon.

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Le malaise démocratique touche beaucoup de pays occidentaux mais n’est-il pas accentué par le dessein idéologique même du macronisme (avec notamment la négation du clivage gauche droite au profit d’un clivage « raisonnables » contre « populistes », « garants de la démocratie » contre « extrêmes ») ?

Pour Emmanuel Macron, en 2022, les électeurs préféraient « le progrès au rejet, privilégiant un projet humaniste à tous les populismes ». « Rien ne serait pire – écrit encore le Président - que de céder aux attaques des populistes ou de laisser couvrir la voix des progressistes par les cris des démagogues. »

Le terme « humaniste », destiné à battre le rappel autour du projet présidentiel menacé, n’a pas été choisi par hasard. On appréciera aussi la différence, là encore en sous-teinte, entre « la voix » et « les cris », qui n’est pas sans rappeler l’opposition faite récemment par le Président entre « le peuple » et « la foule », comme on notera l’opposition entre les « projet » et « progrès » du monde macronien et… rien, le seul « rejet ».

Là encore, le texte de Emmanuel Macron reste dans la logique qui est la sienne : d’un côté, le camp de la Raison, celui des « sachants », qui est aussi celui des vrais démocrates ; de l’autre, celui des populistes, des extrémistes, qui, ne sont pas démocrates mais démagogues, pervertissant ainsi la vraie démocratie. Ce système manichéen peut pourtant trouver ses limites démocratiques quand le camp de la Raison semble devenir minoritaire et les populistes majoritaires, et que c’est malgré tout le camp minoritaire qui impose ses choix à l’ensemble de la société. En cas de doute, il ne manquerait pas d’instruments pour tenter de savoir où est la vérité démocratique, qu’il s’agisse de la dissolution ou du référendum, mais Emmanuel Macron est absolument rétif à ces solutions. 

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Ce n’est donc pas parce qu’il veut remplacer ou dépasser l’ancien clivage droite/gauche que le macronisme pose un problème à notre système démocratique, mais parce que sa structure de pensée finit par interdire tout débat : pour le camp de la Raison on ne débat pas avec un démagogue extrémiste, quand, au contraire, l’essence même de la démocratie libérale, comme l’ont démontré Benjamin Constant, Alexis de Tocqueville ou John Stuart Mill, pour ne citer qu’eux, repose sur le débat.

Alors qu’elle a longtemps été cachée par la faiblesse des partis ou des syndicats, est-ce que la facture du défaut intrinsèque du macronisme sur le plan démocratique est en train d'apparaître (choix de Premier ministres qui sont des débauchages personnels, négation de l’expérience politique au profit d’un saint-simonisme doublée de McKinsey, mépris des corps intermédiaires) ?

Emmanuel Macron a profité de l’effondrement d’un monde – dont il n’était pas responsable, et qu’il a bien diagnostiqué - pour prendre le pouvoir. Effondrement des « partis de gouvernement », causé par l’incapacité de ces derniers à se renouveler et à poser ou traiter véritablement les questions qui angoissent les Français. Effondrement des syndicats, comme le prouvait le taux de participation aux élections professionnelles ou leur rejet lors de la crise des Gilets jaunes. Effondrement des collectivités locales, engagées dans des transformations qui en font des structures technocratiques sans âme, bien loin de cette école de la démocratie, espérée par Alexis de Tocqueville.

Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron a accéléré encore cela : démantèlement de la haute administration, imposition des méthodes de gestion du privé aux services publics, privatisations, attaque sur tout ce qui est propriété immobilière au profit des jeux de finance, démantèlement de la transmission – qu’elle soit culturelle ou des biens -, dislocation du corps social en cédant à toutes les pressions de minorités revendicatrices… Sa « Révolution », pour reprendre le terme de son livre-programme n’a été que cette fuite en avant au profit d’un mondialisme financiarise, un monde dans lequel la France a vocation à se dissoudre dans l’Union européenne. 

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Politique de suivisme ? Pas en tout cas dans sa geste héroïque. Il s’agissait ici de lutter contre les résistances du passé, contre la pesanteur de l’histoire, d’être finalement courageusement à contre-courant, d’où cette formule à ses militants : « Je veux que vous ayez le courage de dire ce que nous avons le courage de faire ». Les réformes macroniennes ne sont pas dictées : elles sont courageuses. Il n’a partiellement pas tort d’ailleurs, car tout changement suscite sa part de réactions négatives, mais il peut difficilement prétendre aller à l’encontre de la doxa qui prévaut dans son milieu, et se targue bien facilement d’indépendance d’esprit.

Que ce soit avec les restrictions de libertés (comme l’interdiction des "dispositifs sonores portatifs") ou le lancement d’une consultation des Français sur les impôts, sur un sujet ou le parlement aurait toute sa place, n’y-a-t-il pas une forme de fuite en avant dans des pratiques abimant la démocratie ?

« Rien ne serait pire que de déserter le terrain et ainsi de rester sourds aux attentes, aux propositions et aux critiques parfois bien légitimes de nos compatriotes » ose écrire Emmanuel Macron dans cette lettre. Mais où sont les « cahiers de doléances » qui ont été rédigé par les Français, à sa demande, après la crise des Gilets jaunes, quand il s’agissait de faire remonter justement les attentes du terrain ? Lorsqu’il s’est agi de la crise sanitaire, « emmerder les non-vaccinés » semblait être la seule politique de dialogue du Président, et l’on pourrait, dans chaque dossier, retrouver le même autisme. La seule concession qu’il veut bien faire est donc celle de ces longs apartés explicatifs dans lesquelles veut démontrer à ses interlocuteurs qu’il a raison.

Le bon côté d’Emmanuel Macron, c’est qu’il ne rechigne pas à la confrontation directe avec ses opposants. Il va au contact, il se fait au besoin copieusement insulter, mais il tente toujours d’avancer des arguments. Mais le problème est qu’il n’est jamais dans un vrai dialogue, car il n’envisage jamais d’intégrer, au moins partiellement, des éléments qui viennent « d’en face » à ses propositions. Ce qu’il propose ici à ses militants, c’est en fait que « 1000 Grands débats fleurissent », mais pour quoi faire ?

Par contre Emmanuel Macron a su utiliser comme rarement les armes de la répression et de la restriction des libertés, et ce dès le début de son premier quinquennat. La violence physique dirigée contre les Gilets jaunes, l’arbitraire de certaines mesures, comme celui des restrictions de libertés au moment de la crise sanitaire, en sont autant d’exemples. Et, effectivement, comme il a besoin d’une légitimité démocratique qu’il ne peut aller chercher directement dans le peuple, que ce soit par de nouvelles élections ou par le référendum, il utilise les éléments de démocratie participative pour apporter un vernis démocratique aux solutions technocratiques qu’il met en œuvre.

Dans un ouvrage de 1814, De l'esprit de conquête et de l'usurpation (1814), Benjamin Constant évoquait ainsi cette dernière, pire selon lui que le despotisme : « Le despotisme bannit toutes les formes de la liberté ; l'usurpation, pour motiver le renversement de ce qu'elle remplace, a besoin de ces formes ; mais en s'en emparant, elle les profane. L'existence de l'esprit public lui étant dangereuse, et l'apparence de l'esprit public lui étant nécessaire, elle frappe d'une main le peuple, pour étouffer l'opinion réelle, et elle le frappe encore de l'autre, pour le contraindre au simulacre de l'opinion supposée. » Toute ressemblance…

À quel point la stratégie actuelle d’Emmanuel Macron, pour lui, ses militants et le pays risque-t-elle d’encore accroître le malaise ?

« Il y a un an jour pour jour, les Français me renouvelaient leur confiance ». Ainsi, pour Emmanuel Macron, les électeurs de 2022, « pour la seconde fois […] nous confiaient le destin de notre pays ». Pour cinq nouvelles années, et avec un blanc-seing total. 

Bien sûr, Emmanuel Macron sait qu’il n’en est rien : la campagne de 2022, à laquelle il a bien peu participé, il a tout fait pour qu’elle le mette à nouveau face à Marine Le Pen, confiant dans ses qualités de débatteur comme dans l’effet « barrage ». Il sait que ni sa personne ni son projet n’ont été plébiscités. « À l'issue de cette campagne si singulière – écrit-il à ses militants -, je vous confiais même que ’les années à venir ne seraient pas tranquilles’. Les mois qui nous séparent de ce soir de printemps ne l'ont pas été, assurément. Mais nous avons tenu. »

« Nous avons tenu » contre les assauts des démagogues et des populistes. « Nous avons tenu » et nous n’avons rien cédé… et nous ne cèderons rien. « Je sais ce que je vous dois, ajoute le Président. Ce que vous doivent aussi tous nos compatriotes si profondément attachés au suffrage universel et à nos institutions démocratiques. » Car le suffrage universel c’est le vote de 2022, point. 

En théorie, Emmanuel Macron n’a pas tort : oui son gouvernement et sa majorité sont juridiquement légitimes ; oui le vote des textes est légal et constitutionnel. Mais en se refusant comme il le fait à un véritable débat sur ses choix, il accentue une sensation d’illégitimité démocratique qui justifie aujourd’hui bien des excès, et pourrait conduire, demain, à des réformes institutionnelles catastrophiques. « Du passé, faisons table rase » reste bien la devise de tous les progressismes.

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