Anti-terrorisme islamiste : et s’il fallait s’inspirer des théoriciens des guerres contre-insurrectionnelles ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des militaires de la force Sentinelle patrouillent devant le Musée du Louvre, à Paris.
Des militaires de la force Sentinelle patrouillent devant le Musée du Louvre, à Paris.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Lutte contre le djihadisme

Pourraient notamment être très utiles les théories de David Galula, un officier français un peu oublié ici mais dont les travaux font référence aux Etats-Unis.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : La tactique de guerre contre-insurrectionnelle développée par l’officier français David Galula (1919-1967) insiste sur la nécessité de prendre en compte la population dans laquelle évolue les insurgés que l’on veut combattre. Selon lui, la population doit être protégée et non combattue. Dans un climat d’insurrection, quel rôle peut jouer cette large frange de la population qui n’est ni spécialement partisane de l’Etat en place ni totalement favorable aux insurgés ?

Guylain Chevrier : L’Afghanistan est un cas d’espèce de ce point de vue. Tout en considérant d’abord qu’il n’a pas été question pour les forces occidentales de mener une guerre totale aux talibans, entre autres parce que leur base arrière était au Pakistan, allié de l’OTAN, contrairement à ce qui s’est passé en Irak avec des moyens d’action sans commune mesure. L’argument d’un terrain plus difficile ne suffisant pas à justifier ce grand écart.

Pour ce qu’il en est de « la population dans laquelle évolue les insurgés que l’on veut combattre », et au rôle que l’on pourrait lui attribuer, après ce qui apparaît comme un échec de la volonté de l’Occident d’imposer la démocratie par les armes, c’est le bon sujet de réflexion. Si les Etats-Unis ont mis en place un pouvoir politique nouveau, c’était à leur main. En aucun cas il n’a été question de s’appuyer, par exemple, sur des forces progressistes locales formées pour être politiquement autonomes, se dégageant d’un travail de fond sur la population. Et donc d’organiser l’action en sa direction pour obtenir son « soutien actif », moyen de gagner la guerre selon l’officier français. C’était prendre le risque d’une volonté d’indépendance qui s’en suivrait, susceptible de se retourner contre les anciens alliés. Il y a donc aussi l’enjeu, pour la force extérieure qui intervient contre des insurgés, de jouer sa carte, et si cela s’avère trop compliqué ou coûteux, ou que cela rejaillit sur sa politique intérieure, elle peut très bien, comme les Etats-Unis l’ont fait, changer de doctrine, et laisser le terrain libre au pire. Après tout, ce n’est pas chez eux que les conséquences immédiates à ce retrait ont lieu. On voit peut-être ici d’ailleurs, face à ce qui est commenté comme l’échec du modèle de transplantation de la démocratie partout par la force, un changement de paradigme au regard des pays potentiellement vecteurs de terrorisme. Tel que le choix de négocier avec les talibans leur retour a été fait, à partir du moment où les intérêts américains se trouvaient protégés. Nous avons peut-être assisté là, sans nous en rendre compte, à un événement comparable par son importance à la chute du mur de Berlin.

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Pour autant, cette frange de population dont il est question, « ni spécialement partisane de l’Etat en place ni totalement favorable aux insurgés », peut jouer effectivement un rôle très important par son basculement dans un camp ou dans l’autre. Comment la gagner ? En faisant prévaloir l’argument de la protéger plutôt que de la combattre, mais de quoi ? Faut-il encore déployer des moyens assez considérables qui montrent la volonté de vraiment protéger, et rendent tangible le sentiment qu’il vaut mieux choisir ce côté comme sens de l’histoire. Si savoir qui offre la plus grande protection est déterminant, comme le voit David Galula, faut-il encore semble-t-il, qu’il y ait derrière cela une perspective, un espoir. Il s’agit de convaincre que le bien-être que cette protection annonce à travers l’adoption du modèle démocratique, vaut mieux que la protection de groupes tribaux qui partagent la même forme de croyance, d’organisation sociale, de longue date. Comme cela a été souligné, on vient plus facilement à bout de la violence nationaliste que de la violence d’inspiration religieuse, car on fait face, ne l’oublions pas avec cette dernière, à une forme de pensée irrationnelle bien plus jusqu’au-boutiste. Elle fournit aussi aux populations, confrontées au fatalisme de leur condition indigente d’existence, l’espoir d’un monde meilleur après la mort qui seul fait vivre, s’il n’a pas d’alternative dans le réel.

Il faut pouvoir surtout donner des gages contre ce fatalisme. Cela ressort donc d’un projet non seulement militaire mais politique, d’une stratégie globale. Car protéger, si c’est bien là la clé, cela ne veut pas dire seulement de la violence des insurgés, mais aussi de la pauvreté en donnant des signes avant-coureurs d’une vie meilleure, pour qu’émerge une prise de conscience du sens du mot liberté, qui doit s’incarner. La recherche de l’adhésion de cette « zone grise » de population, passe donc par le fait de l’organiser sur de nouvelles bases. C’est un projet à la fois militaire, politique, économique et social, mais aussi de valeurs, car elle doit pouvoir en tirer un avantage moral, une fierté. On est loin dans la pratique d’un tel programme.

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En France, peut-on imaginer s’inspirer de cette théorie dans la lutte contre le terrorisme islamiste ?

On a observé que le principal terreau de la radicalisation était le communautarisme. Son développement met en jeu cette frange de population dans laquelle peuvent évoluer des « insurgés », qui peut être une avant-garde pour d’éventuelles complicités avec des terroristes ou au contraire les mettre largement hors-jeu. C’est donc de ce communautarisme qu’il faut avant tout se protéger, et tout particulièrement nos concitoyens issus de pays de culture musulmane, croyants fervents ou non, qui constituent cette population. C’est-à-dire une protection contre le risque de pression de groupes visant à les assigner à une communauté religieuse qui, derrière sa logique, pourrait les priver de leur autonomie, de leur libre choix, pour les impliquer dans un processus auquel ils n’adhèrent pas sans pouvoir y échapper.

Lutter contre ce communautarisme, c’est par exemple, battre en brèche une victimisation permanente entretenue, qui rabat la question sociale sur celle des discriminations, diabolisant l’Etat, pour le faire passer pour raciste envers les musulmans. Faut-il encore que nul ne joue sur ce communautarisme par la tentation du clientélisme politico-religieux, qui malheureusement entre de plus en plus dans les mœurs. Ce qui justifie certains discours de division qui portent en eux de futures violences. Certes, ici on fait une loi contre le séparatisme qui a ses bons côtés, mais là on légitime le port de signes religieux par des assesseurs dans les bureaux de vote, alors que selon le Conseil d’Etat il doit il y avoir neutralité, qu’on l’interprète comme neutralité uniquement politique, comme si le port d’un voile par une représentante d’un parti à cette place ne jouait pas d’influence. Ou encore, ailleurs, on tolère que des élus, lorsqu’ils exercent leur fonction dans les assemblées où ils siègent, manifestent leurs appartenances convictionnelles, alors qu’ils représentent l’intérêt général. L’organisation d’un « islam de France » par l’Etat, qui pose le principe d’une communauté d’individus prédestinés à être représentée par des religieux, puisqu’on en formalise l’expression de façon officielle, est-ce bien la bonne voie ici ? Ne sont-ils pas des citoyens bien avant, que l’on traite là avec une condescendance néocoloniale ? Des incohérences qui constituent des voies d’eau qui ne protègent que bien mal ceux qui aimeraient des signes clairs de la République, en dehors desquels ils ne pourront pas prendre son parti, son « soutien actif ». Rappelons-nous qu’environ 30% de ceux qui se déclarent musulmans, selon une étude de l’Institut Montaigne, considèrent leur religion comme un instrument de révolte contre la société et autant, qui portent la charia au-dessus de la loi commune.

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Plus le message sera brouillé et plus il sera difficile d’annuler la puissance de nuisance d’éléments de subversion, qui travaillent à faire basculer cette frange de population qui est prise en otage de leur volonté d’aller à l’affrontement. A tout le moins elle sera neutralisée, alors que l’on a besoin d’elle pour gagner cette guerre que nous impose le terrorisme. C’est d’autant plus important qu’avec le retrait d’Afghanistan, on a donné un signe général d’encouragement à des forces nihilistes qui sont en embuscade, ce que l’on ne devrait pas sous-estimer.

Comment convaincre cette « zone grise » de la population des quartiers sensibles de basculer du côté de la République plutôt que de rejoindre le camp radicalisé ?

Par-delà les seuls quartiers dits sensibles, il faudrait sans doute que l’Etat rentre à nouveau pleinement dans son rôle de meneur de la cohésion sociale. Ceci, au regard de l’évolution d’une hiérarchisation verticale de notre société, longtemps marquée par une logique de classes, à une horizontalité qui se définit de plus en plus entre les « in » et les « out », intégrés et exclus, facilitant les replis identitaires et la fragmentation de notre société.

Il y a une remobilisation démocratique à réaliser, sur des valeurs communes à défendre et à promouvoir que contient bien notre République, par-delà le culte de l’individualisme contemporain. Une souveraineté populaire qui jusque dans ces quartiers, doit résonner, comme bien commun des plus précieux. Associer, consulter, unifier, en ayant une véritable exigence de réussite collective, s’appuyant sur des valeurs et des règles sûres et partagées, à l’aune d’un idéal démocratique qui ne démente pas l’espoir dont il est redevable.

La crise de notre démocratie tient à l’absence de perspective, de projet de société ambitieux, avec ce sentiment de plus en plus fort que tout se décide ailleurs, que le peuple ne maitrise plus son destin, ce qui rend la tâche bien ardue. Ne sommes-nous pas en train précisément de tout faire pour que cette fameuse frange de population bascule à terme du mauvais côté, par une sorte de fuite en avant où on multiplie confusions et incohérences ? Rien ne permet aujourd’hui de s’assurer du contraire. 

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