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Anonymous : ces gamins bricoleurs contre lesquels les Etats ne peuvent guère lutter
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Hacktivist

Depuis la fermeture de MegaUpload par le FBI, le groupe de hackers Anonymous est revenu sur le devant de la scène médiatique. Les sites gouvernementaux, ou en faveur de la loi antipiratage SOPA, tombent comme des mouches. Si les Etats continuent à ignorer la grogne des groupes comme Anonymous, le gros vent pourrait bien se transformer en tempête...

Benjamin Bayart

Benjamin Bayart

Benjamin Bayart est expert en télécommunications et président de French Data Network, le plus ancien fournisseur d’accès à Internet en France, encore en exercice.

Il est un des pionniers d'Internet en France.

 

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Atlantico m'a demandé, suite à l'arrêt de MegaUpload, et à la réaction des Anonymous, si je voulais bien écrire une chronique avec un angle précis : les gouvernements sont-ils démunis face aux hackers ? Bien que j'ai proposé d'attaquer la question sous un angle très différent, Atlantico a souhaité maintenir son invitation.

La question posée ainsi reposait sur un nombre assez élevé de sous-entendus. Par gouvernement, on entend facilement pouvoir en place, voire pouvoir légitime, voire en démocratie, représentants légitimes et élus du peuple. Par hackers, on sous-entend toujours dans la presse une forme de violence, forcément illégitime, puisque la seule violence légitime est celle du gouvernement. La question posée était donc, en filigrane, de savoir si le gentil gouvernement pouvait se défendre face à la menace presque terroriste que représentent ces hackers. Et, forcément, cet angle très particulier, très biaisé, ne permet pas de refléchir de manière posée. Avant de pouvoir aborder la question, il faut démonter ces sous-entendu, les rendre explicites, pour les retirer et re-poser la question de manière propre, débarassée de ses scories.

Alors essayons de poser la définition de ce que c'est qu'un hacker. Un hacker, c'est avant tout un bricoleur, même pas forcément génial, qui utilise les choses pour ce qu'elles sont, et pas pour ce qu'elles paraissent. L'étiquette dans le rayon du magasin me dit que c'est un marteau. Moi, je m'en sers comme presse-papier. Cette approche est celle du hacker. L'étiquette dit que c'est du fil électrique, mais ma voisine s'en sert comme corde à linge. Le marchand dit que c'est un journal, moi je m'en sers comme litière pour le chat.

L'ordinateur est un outil polyvalent. Bien plus universel que les outils de bricolage et de jardinage. Par essence, un ordinateur est générique. C'est autour de l'ordinateur, par ses accessoires, qu'il est spécialisé. Au centre, c'est un ordinateur, mais parce qu'il est petit, doté d'un micro et d'une antenne, il fait téléphone mobile. Mais au centre, il est autant ordinateur que celui du décodeur télé, ou que celui qui me sert à lire la presse en ligne. Détourner cet outil universel pour en faire n'importe quoi d'autre que ce que le marchand a bien voulu mettre sur l'étiquette est donc un jeu d'enfant, puisque c'est en fait revenir à ce qu'est cet outil infiniment polymorphe.

Dans le contexte informatique, un hacker c'est quelqu'un qui a détourné l'usage initial d'un programme informatique, ou d'un système informatique (impliquant par exemple des périphériques) pour en faire quelque chose d'autre. Il y a autant de variété de hackers qu'il y a de sujets en informatique. Certains oeuvrent dans le calcul pur, d'autres dans l'électronique (quel plaisir de faire une télécommande universelle permettant d'éteindre toutes les télévisions!), d'autres dans le réseau. Et bien entendu, il y a un aspect ludique qu'on ne peut pas supprimer: l'approche même du hacker est qu'il est en train d'apprendre, qu'il joue avec ses programmes pour comprendre quoi en faire. C'est parce qu'il joue qu'il apprend. Et c'est parce qu'il apprend qu'il finit en général bien plus compétent que la moyenne, même si son savoir n'est pas forcément bien structuré.

Maintenant, qu'est-ce qu'on entend par gouvernement? L'approche légitimiste est celle que j'avais tout à l'heure : le représentant légitime élu par le peuple et qui exerce, quand malheureusement il le faut, la seule forme de violence légitime. L'autre approche classique est de dire que c'est la classe dirigeante, mise en place par les puissants, et tolérée par le bon peuple (ou le contraire, mais ça ne change rien). Ce dont on est sur, c'est que c'est très sérieux. L'image du gouvernement ? L'énarque ou le polytechnicien. Gris. Intellectuellement très brillant, ayant bien appris tous les manuels qui lui sont tombés sous la main. Si on veut voir une dichotomie, elle est entre les adultes, n'apprenant plus, ayant appris par le passé, qui sont responsables et aux manettes, et qu'on appellera gouvernement, et des post-adolescents, pas complétement sortis de l'enfance, toujours en train de jouer, et donc d'apprendre aussi vite qu'il leur est possible, qui font un peu n'importe quoi "pour voir ce que ça fait".

Ayant posé nos deux acteurs, nous pouvons alors réfléchir à la question posée. Et la réponse attendue est toujours duale. Oui, le gouvernement est démuni. Non, il n'est pas désarmé. La première façon de le comprendre est de comprendre comment un adulte, peu entraîné, est démuni face à des enfants. Essayez. Si vous n'êtes pas instituteur, vous serez très démuni face à une classe de CE2. Mais cette lecture est trop légère. Les hackers sont comme des enfants, parce qu'ils jouent et apprennent, mais ce ne sont pas des enfants. Ce sont des adultes. C'est très déstabilisant, quand on est le pouvoir légitime, de se voir évalué, critiqué, scruté, et parfois mis en échec, par des gens qui ne se prennent pas au sérieux. Comment répondre ?

Par exemple, ce que les Anonymous ont fait sur le site de l'Elysée vendredi soir, c'est à mourir de rire. Ils ont fait juste ce qu'il faut de modification pour que, sur certains navigateurs, s'ajoute dans l'URL affichée du site un slogan parmi tout un stock. Aucune violence. Le ridicule, ce n'est pas la violence. Alors comment répondre à ça ? Par la violence légitime ? La violence en réponse à un pied de nez, on le sent bien, c'est une réponse de faible. 

Certaines des actions ont des effets plus brutaux, comme de rendre totalement inaccessible certains sites. Mais là encore, sans la moindre violence physique, sans appât du lucre. Comment répondre à ça ? Par de la prison ? Mais la prison, c'est pour les méchants, par pour les gamins qui tirent la sonnette pour faire rager les vieux. Sous cet angle-là, le gouvernement est démuni, bien qu'il ait toutes les armes légales pour se montrer aussi brutal qu'il aura envie (il suffit de dire que c'est du terrorisme, et même l'état de droit ne s'impose plus).

Mais il ne faut pas se tromper de lecture. Pour le moment, nous ne vivons que des escarmouches. Ce que la presse nous raconte sous des airs sérieux (ceux qu'elle prend quand elle ne comprend pas), ce sont des pieds de nez. Une façon amicale et rigolarde de dire que les hackers voient très bien où on veut les amener, et que ça ne leur convient pas. Et qu'ils entendent lutter contre. Tout comme une manifestation n'est pas une révolution, n'est pas même les prémices d'une révolution. Mais ce n'est pas non plus un symptome dont on puisse faire fi. Une manifestation, c'est le peuple qui gronde. Et plus le peuple gronde, plus le gouvernement doit s'en préoccuper. L'histoire montre qu'il n'est pas un gouvernement sur terre qui puisse résister face à son peuple en colère. Il faut donc s'en préoccuper, et tâcher de faire baisser cette colère. Soit en formatant bien le peuple, selon la méthode Nord-Coréenne, ou selon celle dite du "temps de cerveau disponible", soit en veillant à maintenir des équilibres.

Ce que font les Anonymous, qui ne sont pas des hackers brillants, c'est le plus souvent de l'ordre du sit-in : plusieurs milliers de personnes consultent en boucle, aussi vite que leur connexion au réseau le permet, un même site, qui s'effondre sous un trop grand nombre de demandes. Ce qu'on appelle un DDoS. C'est de l'ordre de la manifestation : pas forcément fin, pas avec des slogans pointus politiquement, mais une marque nette d'un problème. On peut dédaigneusement se dire que des gens dont les idées sont si courtes qu'elles tiennent sur une banderole n'ont rien à dire. Ils ont en général au moins une compréhension"instinctive" de ce qui leur arrive, même si tous ne mettent pas forcément cette compréhension en mots.

Les anonymous sont des manifestants, puissants parce que nombreux, mais pas forcément très fins dans leurs actions. Les hackers, quand ils agissent plus finement, sont un groupe bien plus éduqué, mais par forcément versés dans le discours politique ou les grandes phrases : un bon LOL vaut bien des discours.

Une chose est certaine : pour le moment, du côté des hackers et des Anoynmous, tout le monde reste gentil, cherchant la manifestation et le pied de nez. On sait que de nos jours toutes les industries sont pilotées par des systèmes informatiques. On sait que ces systèmes informatiques sont parfois très mal sécurisés. Pour le moment, aucune communauté de hackers n'a décidé de chercher, avec détermination et systématiquement, à mettre en défaut tous les sites industriels d'Europe, des rafineries aux centrales nucléaires en passant par les transports en commun ou les réseaux d'eau et d'électricité. Ridiculiser le site web de l'Elysée, c'est un pied de nez. Le traiter de manière criminelle serait très grave : en supprimant la hiérarchie des choses, en qualifiant tout de terrorisme comme on tend à le faire de nos jours, on banalise l'idée d'une action véritablement violente. 

Les Anonymous qui bloquent des sites, les hackers qui font des attaques plus ciblées et plus fines, c'est le peuple qui gronde. Et le gouvernement a toujours peur du peuple qui gronde, et est toujours démuni quand il n'est pas capable de comprendre ce qui se passe. Donc, oui, les gouvernements sont démunis, et ce n'est pas nouveau. Et il faudrait d'urgence que les gouvernements trouvent des modes d'écoute et de réponse intelligents, avant que le gros vent ne tourne à l'orage ou à la tempête.

L'apparition d'un nouveau moyen de diffusion de la connaissance se traduit toujours par l'élargissement du nombre de ceux qui se mèlent de savoir comment tourne le monde. C'est la base des Lumières qui ont utilisé efficacement l'imprimerie pour diffuser le savoir. Les internautes, hackers ou pas, sont en train de s'approprier bon nombre de savoirs sur bon nombres de dossiers. C'est une approche qui devient classique dans tous les domaines, et qui est l'approche la plus naturelle sur Internet. Face à ça également, les gouvernements sont démunis. Et ce n'est pas nouveau non plus.

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