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Annexions autour de Jérusalem : le périlleux chemin sur lequel s’engage Israël
©Thomas COEX / AFP

Terrain miné

La visite de Mike Pence, qui a parlé à la Knesset ce 22 janvier, ainsi que la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale d'Israël aurait, selon une tribune publiée dans le New-York Times par un général israélien retraité, été interprétée comme un feu vert à l'annexion de nouvelles portions de la Cisjordanie.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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La visite de Mike Pence qui a parlé à la Knesset ce 22 janvier ainsi que la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale d'Israël aurait, selon une tribune publiée dans le New-York Times par un général israélien retraité, été interprété comme un feu vert à l'annexion de nouvelles portions de la Cisjordanie. Aujourd'hui où en sont les rapports de force entre les partisans d'une solution à deux Etats et ceux qui prônent le développement territorial de l'Etat hébreu?

Emmanuel Dupuy : Il convient d’être prudent à la lecture de la tribune - parue dans le New York Times, le 2 février dernier et co-signée par les généraux retraités Danny Yatom - qui fut chef de l’agence israélienne du renseignement Mossad entre 1996 et 1998, soit sous le premier gouvernement de Benjamin Netanyahu -  et Annon Reshef - ancien chef du corps d’armée blindée de l’armée israélienne,Tsahal. 
Il n’eut été leurs hautes fonctions exercées et leurs actuelles positions au sein du Comité des responsables sécuritaires israéliens, réunissant pas moins de 275 anciens généraux et responsables des principaux services de sécurité israéliens, et cette tribune serait passé quelque peu inaperçue. Néanmoins, elle est advenue dans le contexte du discours prononcé le 22 janvier dernier, par le vice-président américain Mike Pence, devant la Knesset, le Parlement israélien. 
Perçu comme le « service après-vente » de la déclaration du 7 décembre dernier de Donald Trump reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël, ce discours du vice-président américain n’a, en réalité, rien dit que l’on ne savait déjà. Les Etats-Unis ont, depuis la déclaration présidentielle de décembre dernier, fait un pas de plus «  en arrière » , sans aucune ambiguïté, quant à leur soutien plein et entier à la solution à deux Etats. 
En effet, malgré le rappel par Mike Pence du soutien américain à la solution des deux Etats, plusieurs signaux avant coureurs de cette pression supplémentaire que les Etats Unis entendent faire peser sur l’Autorité palestinienne en témoignent. A l’instar de la décision de Washington de réduire de 290 millions de dollars (350 millions en 2017 contre seulement 60 millions pour l’année 2018 !), sa contribution annuelle au budget de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour le réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA), dont elle était, pourtant, depuis sa création en mai 1950, son plus gros contributeur.
Donald Trump, lors de son allocution à Davos, avait, du reste, il y a quelques jours, également indiqué que le facteur de blocage émanait du Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, lui-même. 
Au fond, ce qu’a dit le vice-président américain devant la Knesset importe en réalité peu. Ce qu’il convient néanmoins d’interpreter, comme le font, du reste, les généraux retraités israéliens, ce sont précisément les réactions de la classe politique israélienne à ce discours et aux positions de Donald Trump.
Il est ainsi indéniable que le Premier ministre Benjamin Netanyahu reste sous la pression des mouvements orthodoxes juifs, qui représentent plus de 20% de la population d’Israël. Inutile de rappeler, à cet égard, le poids des deux partis ultra-orthodoxe (Judaïsme unifié de la Torah, mouvement Shas) et nationalistes-religieux (Foyer juif ou encore Israel Beytenou) qui appartiennent au Gouvernement Netanyahou IV. C’est précisément un des tenants de la ligne la plus conservatrice au sein du parti majoritaire du Likoud, le président de la Knesset, Yuli-Yoel Edelstein qui exprime le mieux l’état d’esprit qui règne actuellement à Tel-Aviv et à Jérusalem. Ce dernier, issu de la diaspora juive exilée de l’ex URSS, que l’on appelle les Refuzniks, en déclarant à l’issue du discours de Mike Pence, qu’Israël devait désormais développer l’ensemble du pays, y compris la « Judée »  et la «  Samarie » semble rejoindre  les positions des défenseurs les plus zélés de la notion de «  Grand Israël », dont le dessein serait d’annexer davantage de territoires en Cisjordanie.
C’est le cas, du chef de file de ce que l’on nomme les « annexionnistes », l’actuel ministre de l’Education, Naftali Bennett, chef du parti nationaliste Foyer juif. Ce dernier, comme son collègue, ministre de la Défense, Avigdor Lieberman et chef du parti Israel Beytenou, se fait ainsi le porte parole d’une relance de la construction de colonies en Cisjordanie, mais dans une approche que les deux hommes qualifient de « raisonnable ». Il s’agirait ainsi de privilégier l’annexion d’un maximum de terres, mais relativement peu peuplées, et ce, afin de ne pas faire porter à Israël, les couts financiers supplémentaires qu’une stratégie d’annexion pure et simple de l’ensemble de la Cisjordanie impliquerait. 
L’avantage politique en serait néanmoins évident : obtenir une sorte d’union sacrée visant à affaiblir les capacités de négociation de Mahmoud Abbas, aux prises avec des dissensions internes au sein de l’Autorité palestinienne, en vue de sa propre succession et une difficile mise en oeuvre de l’accord intra-palestien Hamas-Fatah, signé au Caire, le 12 novembre dernier.

Si l'on se dirige vers de nouvelles annexions, quels seraient les enjeux et les conséquences notamment en termes sécuritaire, économiques, géopolitiques et sur la scène internationale pour Israël ?

Sans aller jusqu’à une mise sous tutelle des 2,7 millions de palestiniens qui vivent en Cisjordanie, beaucoup estiment que les Etats-Unis laisseraient faire en cas de reprise des constructions des colonies juives dans les territoires occupés. 
Même les partisans les plus acharnés de la reprise de la construction des colonies - que la Communauté internationale, considère toujours, comme la «  ligne rouge »  à ne pas franchir - savent très bien qu’il faudrait, au bas mot, 10 milliards de dollars pour la construction des murs et portiques de sécurité, le long de 1900 km, séparant les 169 ilots palestiniens et les nouvelles colonies juives dans la zone dite C où demeurent 300 000 palestiniens (celle qui représente 60% de la Cisjordanie et qui est plus ou moins sous le contrôle sécuritaire exclusif d’israël, quoique illégalement aux yeux de la Communauté internationale). 
Certains estiment ainsi que la légalisation de construction de colonies sont implicitement «  couvertes » par les prises de positions américaines. Pour rappel, en réalité, depuis la fin du moratoire sur la construction de nouvelles colonies (entre 2009 et 2014), de nombreuses constructions illégales ou sauvages accueillent désormais près de 400 000 citoyens israéliens, occupant 7% de la dite zone C de Cisjordanie.
Mais, au-delà de ce grignotage territorial que les différents gouvernements Netanyahu ont réussi à imposer, c’est bel et bien les conséquences d’une accélération de ce processus qu’il convient d’analyser. C’est, du reste, ce constat inquiétant que les deux généraux israéliens signataires de la tribune dans le NYT font. 
L’ancien conseiller Steeve Bannon, dans le brulot de Michael Wolff « Fire and Fury :  Inside the Trump White House » contre Donald Trump, révèle que les Etats-Unis soutiendraient un éventuel plan de partition des territoires palestiniens. Washington et singulièrement Riyad, par la voix du prince héritier, Mohamed Ben Salman, inciterait l’Egypte à récupérer la bande de Gaza et la Jordanie, la Cisjordanie, ou en tout cas les 40% qui « intéresse » moins Israël que la zone dite C (les 60% restant) qu’Israël annexerait purement et simplement. La prétention palestinienne sur Jérusalem-Est ne serait même plus un préalable, alors que certaines voix arabes estiment que c’est à Abu Dis que la future capitale palestinienne devrait s’installer !
Cette stratégie quelque peu «  jusqu’au boutiste »  aurait néanmoins des conséquences insupportables pour Israël : celle du financement des 6 milliards de dollars de droits sociaux et 5 milliards en matière d’éducation, de santé et d’accès aux services publiques au profit des palestiniens restant en Israël, sans parler des conséquences sécuritaires. 
Il faut avouer que cette position demeure très minoritaire au sein de la classe politique israélienne. Cette dernière desservirait, en réalité, l’actuel Premier ministre, Benjamin Netanyahu, non seulement au niveau de sa fragile et hétéroclite coalition gouvernementale (composée de nationalistes sionistes et d'utra-orthodoxes, dont les positions sur le «  Grand Jérusalem »  ne sont pas forcement toujours convergentes) mais surtout vis-à-vis de ses principaux adversaires politiques, dont l’ancienne ministre de la Justice et des Affaires étrangères, Tzipi Livni, limogée par Netanyahu, en décembre 2014, dont le nouveau parti Hatnuah et sa participation à la coalition Union sioniste avec le parti travailliste a talonné le Likoud, lors des dernières élections législatives anticipées de mars 2015.
Déjà aux prises avec des manifestations récurrentes depuis mai dernier, date anniversaire du 50ème anniversaire de l’occupation des territoires palestiniens, le Premier ministre cherche à éviter une nouvelle crise politique, qui l’obligerait à de nouvelles élections, qu’il risquerait de perdre. Le risque de délitement sociétal est réel. Il se caractérise par une jeunesse israélienne et juive américaine engagée qui confirme, de manifestations pour la paix à déclaration publiques, son soutien à la cause de la création d’un état palestinien viable. 

Au regard de ces conséquences, est-ce qu'inciter Israël dans cette voie ne serait pas une mauvaise stratégie de la part des américains qui, avec un Israël affaibli aussi bien militairement qu'économiquement, auraient plus de mal à s'opposer aux ambitions iraniennes dans la région ?

Cette solution serait, en effet, « suicidaire » pour Israël, n’en déplaise à son principal artisan, le magnat des casinos, Sheldon Adelson, un des principaux soutiens financiers de la campagne présidentielle de Donald Trump. Les fragiles accords de paix et établissements de relations diplomatiques conclues entre Israël avec l’Egypte et la Jordanie devraient être renégociés ; le «  statu quo »  avec Beyrouth volerait en éclat et dont l’embrassement, en conséquences, au Liban-Sud, par le truchement du Hezbollah constitue une « épée de Damocles » que craint, par dessus tout, Tel-Aviv.
Le « gel » de la question du Golan, en raison d’un accord tacite entre Washington et Moscou, garantissant que ni le Hezbollah, ni les troupes iraniennes présentes en Syrie ne s’approchent dans une zone tampon - à moins de 40 km de la ligne de cessez-le-feu de 1973 - inciterait vraisemblablement Moscou - auréolé de sa légitimité dans le processus de stabilisation en Syrie, désormais acteur majeur au Moyen-Orient - à se faire le défenseur acharné de la cause palestinienne. 
C’est, du reste, pour cette raison que Mahmoud Abbas et ses « Missi dominici » se rend désormais plus fréquemment à Moscou, au grand dam des Etats-Unis, dont la nouvelle « Stratégie de défense nationale 2018 », indique que le plus grand danger pour Washington réside davantage dans les puissances telles que la Chine et la Russie, que le terrorisme.
L’obsession de Washington demeure de contenir l’Iran, par tous les moyens et ce, en effet, avec la complicité d’Israël et de l’Arabie Saoudite. Il en résulte des choix discutables pour sa propre sécurité, et qui interrogent la cohérence de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient. Aucunes de ses actions récentes n’aura, en effet, convaincu de sa clairvoyance stratégique : de sa tentative échouée à « influer »  sur les manifestations, fin décembre, en Iran ; de sa légitimité à maintenir 2000 hommes en Syrie pour « contrer » les 15 000 membres du Hezbollah qui s'y trouverait ; de sa tentative de vider de sa substance le Dialogue national syrien (tenu à Sotchi, les 29 et 30 janvier derniers) sous parrainage turc, iranien et russe ; de son volte-face quant au soutien aux groupes kurdes ayant contribué à la lutte contre Daesh en Syrie (Forces démocratiques syriennes - FDS ; Unités de protection du peuple - YPG ) à travers la création avortée d’un corps de garde frontières fort de 30 000 hommes ou encore de son accord tacite avec la Turquie afin que cette dernière puisse y engager son opération «  Rameau d’Olivier » , à Afrin, dans le Nord Ouest de la Syrie, voire le long des 822 km de frontières entre la Turquie et la Syrie...
Le risque existe évidemment que la position de Washington vis-à-vis de Jérusalem ne cristallise encore davantage les oppositions à son encontre. 14 des 15 membres du Conseil de Sécurité, 128 Etats au niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies ont suivi les résolutions égyptienne, yéménite et turque exprimant leur ferme condamnation au positionnement américain. Un nouveau vote ou une autre résolution sur la question des colonies aboutirait au même rapport de force aux dépens de Washington. Mais, au fond, Washington se préoccupe t-il encore de l’ONU ?
En tenant compte de la suppression, par le truchement de l’intransigeante ambassadrice Nikki Haley, de 600 millions de dollars depuis juillet dernier, au niveau du financement des opérations de maintien de la paix, on peut sérieusement en douter !  
Enfin, Washington cherche à mettre davantage la pression « indirectement » sur Téhéran que d’entrer en confrontation directe. La décision du trésor américain d’inscrire, le 23 janvier dernier, le chef du Hamas, Ismail Haniya, sur sa liste noire, vient confirmer que les Etats-Unis - qui  considéraient, déjà depuis 1997, le Hamas comme organisation terroriste - entendent viser les vecteurs d’influence iraniens dans la région, dont le Hezbollah libanais et le Hamas gazaoui, eu égard aux 100 millions de dollars que Téhéran lui octroierait chaque année.
Dans cet agenda, Israël, importe relativement moins, pour les Etats-Unis, que ses « alliés » arabes sunnites que sont l’Arabie Saoudite et, dans une moindre mesure, l’Egypte. Dès lors, les Etats-Unis, pourraient laisser faire Israël sur le sujet palestinien. Les conséquences en seraient d’autant moins contraignantes que les voisins arabes y agréeraient...

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