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Alzheimer : mais pourquoi l’une des maladies qui inquiète le plus les Français est-elle aussi mal gérée par notre système médical ?
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

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900 000 Français sont touchés par Alzheimer ou une maladie apparentée, et 9 millions de personnes ont déjà craint que leurs pertes de mémoire soient liées à Alzheimer. Les phases de diagnostic et de pré-diagnostic de la maladie restent difficiles. Les questions de la prise en charge des patients et des traitements sont également déterminantes.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Pourquoi l’une des maladies qui inquiètent le plus les Français est-elle aussi mal gérée par notre système médical?

Stéphane Gayet : Selon une étude réalisée en 2008 par l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES qui fait désormais partie de Santé publique France), cette maladie est en effet la troisième des pathologies considérées comme les plus graves par les Français, après les cancers et l'infection par le virus VIH. Elle est même davantage crainte que le cancer et les accidents de la voie publique qui sont pourtant tellement invalidants ou meurtriers. Cette perception angoissante de la maladie d'Alzheimer s'explique par sa grande fréquence, son caractère implacable, car incurable, la déchéance intellectuelle et identitaire qu'elle provoque plus ou moins rapidement et ses conséquences sur l'entourage proche de la personne atteinte : au total, une lente annihilation anthropologique et sociale qui suscite un atroce sentiment d'impuissance, provoque un épuisement des aidants et laisse in fine une dernière image douloureusement dégradée.

Le diagnostic de maladie d'Alzheimer (MA) reste en fait difficile au début

Dans le sens commun, cette maladie est essentiellement perçue comme une altération de la mémoire. C'est même souvent l'objet de plaisanterie : en famille, au travail, en milieu de type associatif, lorsqu'une personne montre une défaillance de mémorisation, les personnes qui sont autour d'elle disent volontiers : "C'est ton Alzheimer qui commence." Si la personne qui est concernée fait mine de s'en amuser, inconsciemment une inquiétude peut s'installer dès l'instant où elle est au moins sexagénaire. Si elle a une petite tendance hypocondriaque, elle va chercher à s'informer sur cette maladie dont tout le monde parle, mais que trop peu de personnes connaissent suffisamment.
Le diagnostic de cette maladie à son début est difficile parce qu'elle s'installe de façon très lente et insidieuse, que l'affaiblissement de la mémorisation est considéré comme plus ou moins physiologique avec l'âge, que cet affaiblissement peut avoir d'autres causes morbides comme une artériopathie hypertensive et que la personne atteinte cherche à cacher à son entourage ses difficultés mnésiques en raison du sentiment de honte qu'elles lui suscitent.
La maladie d'Alzheimer n'est pas une simple atteinte de la mémorisation : c'est un processus complexe d'involution (régression) psychique qui affecte la mémorisation, les sentiments, le caractère, l'humeur, le goût et l'odorat, mais aussi la gestuelle ainsi que les gestes quotidiens, et donc le comportement d'une façon générale. Dans les formes de début, une certaine autonomie peut se maintenir plus ou moins longtemps et les individus atteints parviennent à faire bonne figure, bien que leur entourage ne perçoive des changements dans leur façon d'être. C'est au point que l'on estime que plus de la moitié des personnes atteintes de MA ne seraient pas diagnostiquées comme telles. À l'inverse, on évalue à un quart la proportion des personnes ayant un diagnostic de maladie d'Alzheimer erroné parmi toutes celles diagnostiquées comme telles. C'est dire l'ampleur des difficultés à poser un diagnostic certain de maladie d'Alzheimer et cela suffisamment tôt.
Il faut retenir que le diagnostic de MA relève encore d'une expertise spécialisée : pour qu'un médecin puisse être en mesure de poser ce diagnostic avec autorité, il faut qu'il ait bénéficié d'une formation effectuée par des experts.
Sur le plan statistique, on estime que la maladie d'Alzheimer touche actuellement en France de l'ordre d'un pour cent de toute la population. Celle-ci vieillit et l'incidence (somme de tous les nouveaux cas qui surviennent chaque année) de la MA ne fait qu'augmenter. On estime qu'en 2050 la MA devrait atteindre de l'ordre de 2,5 % de toute la population française. En revanche, on constate que, depuis les années 1980, il existe une tendance au recul de l'âge de début de la maladie d'Alzheimer, ce qui est encourageant et semble indiquer que certains comportements préventifs portent leurs fruits.

Atlantico : Quels sont les problèmes aujourd'hui en termes de pré-diagnostic, de diagnostic ou de traitements qu'il faudrait cibler pour améliorer la situation ?

Le médecin généraliste qui connaît bien la MA est en mesure de l'évoquer

Devant une modification du comportement ou simplement du caractère, un interrogatoire et un examen physique permettent d'évoquer plusieurs diagnostics possibles. Des examens biologiques courants ont pour but d'éliminer un trouble métabolique pouvant expliquer les symptômes et signes présentés. Il faut penser également à une possibilité de neurosyphilis et de neuro-borréliose. Des tests cognitifs standardisés permettent de préciser les déficits.
Mais le diagnostic positif de MA n'est porté qu'en milieu spécialisé où seront effectués des dosages de différents marqueurs biologiques y compris dans le liquide céphalorachidien (LCR, le prélèvement étant obtenu par une ponction lombaire) et un examen d'imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) qui pourra authentifier les lésions et leur étendue.
Une prise en charge en milieu spécialisé est capable de reconnaître une MA à un stade tout débutant, alors que les symptômes et signes ne sont que vraiment discrets. Or un diagnostic précoce est déterminant pour l'avenir de la personne atteinte.

Les facteurs de risque ou favorisants de la maladie d'Alzheimer

L’âge et le sexe sont les principaux facteurs de risque non modifiables : l’incidence de la MA double par tranche d’âge de 5 ans après 65 ans. La prévalence (c'est le nombre total de cas à un moment donné dans une population) est plus forte chez les femmes ayant dépassé 70 ans : elle est un peu inférieure à 2,5 % (contre 1,5 % chez l'homme) entre 70 et 74 ans et de 23,5 % (contre un peu plus de 17,5 % chez l'homme) après 90 ans.
Plusieurs hypothèses sont évoquées pour essayer d'expliquer cette différence entre femme et homme : hormones sexuelles ou espérance de vie supérieure chez la femme.
Dans les deux sexes, l'hypertension artérielle (HTA), l'athérome artériel (durcissement et rétrécissement) des artères carotides (cou) ou cérébrales, le tabagisme, le diabète sucré et l'état dépressif semblent constituer des facteurs favorisants de la MA.
À l'inverse, la prise de médicaments antihypertenseurs, celle d'œstrogènes et de vitamines notamment celles du groupe B et les vitamines C, D et E ainsi que les oméga-3 seraient des facteurs protecteurs. En fait aucune preuve n'est forte : ce sont des tendances à confirmer.
Mais c'est sur le plan de l'hygiène de vie qu'il semble y avoir le plus d'avancées : un régime de type méditerranéen (crétois) qui comprend surtout des fruits et légumes et au contraire peu de graisses animales, une activité physique régulière et assez soutenue ainsi que la pratique quotidienne d'activités intellectuelles (lecture, rédaction, jeux de réflexion…) sont des facteurs qui paraissent retarder les manifestations de la maladie d'Alzheimer. Le fait de mettre à contribution tous les jours ses capacités de calcul, d'analyse, de déduction et de mémorisation contribue à renforcer ce qu'il est convenu d'appeler la "réserve cognitive". Or, une réserve cognitive élevée semble pouvoir retarder les effets de la MA. De la même façon, un haut niveau d'éducation serait un facteur préventif de ses manifestations.
On l'aura compris, la conception actuelle va plutôt dans le sens d'une formation de plaques amyloïdes qui serait en réalité très fréquente dans la population vieillissante, mais dont les manifestations peuvent être retardées ou au contraire accélérées en fonction de tel ou tel facteur préventif ou au contraire favorisant.

Les maladies d'Alzheimer d'origine génétique sont rares

Les MA d’origine génétique concernent moins d'un pour cent des personnes atteintes et sont responsables de formes précoces qui ont une évolution souvent rapide.
Ces formes déterminées héréditairement sont liées à une mutation sur un ou des gènes qui interviennent dans la synthèse du peptide (petite protéine) amyloïde, c'est-à-dire la molécule principale des plaques amyloïdes. Il s'agit d'une transmission autosomique (sans lien avec les chromosomes sexuels X et Y) et de type dominante (il suffit que le père ou bien la mère porte un gène malade et le transmette à l'enfant pour que la MA précoce puisse survenir).

Atlantico : Depuis août dernier, 4 traitements destinés à retarder les effets de la maladie d'Alzheimer ne sont plus remboursés par l'Assurance Maladie. La mesure est-elle représentative de l'action de l'État vis-à-vis de la maladie ? Ou masque-t-elle en réalité une action profonde et engagée de l'État quant à Alzheimer ?

L'impact des options politiques sur le financement de la santé

Le gouvernement actuel, sous la houlette du Premier ministre lui-même managé par le chef d'État, pratique une politique en faveur des individus les plus jeunes. Cette stratégie consiste à limiter les dépenses en direction des seniors et à investir dans la jeunesse. Il se trouve que les médicaments commercialisés pour ralentir l'évolution de la maladie d'Alzheimer ont une efficacité faible, même souvent minime, et sont coûteux : il n'en fallait pas plus pour décider de leur déremboursement. Cette mesure est en cohérence avec la politique générale. Ça ne signifie pas du tout que l'État se désintéresse de la maladie d'Alzheimer : il est en recherche d'efficacité et plus exactement d'efficience. Un euro économisé dans le remboursement de médicaments peu efficaces sur une maladie du sénior et réinvesti dans la recherche ainsi que la prévention semble un choix rationnel. C'est aussi un choix courageux vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques que cette décision pénalise étant donné la taille énorme du marché des produits anti-Alzheimer.

La maladie est irréversible : il faut miser sur la recherche et la prévention

Nous avons la conviction que les plaques amyloïdes de la maladie d'Alzheimer ne font que se constituer sans régresser et qu'elles se soldent par la mort des neurones touchés. Quand on dit que l'entraînement cérébral peut freiner l'évolution de la maladie, cela ne signifie pas qu'il ralentit la formation des plaques amyloïdes, mais qu'il permet de compenser leurs effets délétères (destructeurs) par la création de nouvelles synapses (connexions), ce qui permet de limiter la régression fonctionnelle globale.
Si l'aide publique à la prise en charge des personnes souffrant de maladie d'Alzheimer est vitale étant donné leurs besoins immenses, il est certain que les efforts doivent porter avant tout sur la recherche et la prévention.

La recherche sur les maladies du système nerveux central est complexe

La recherche fondamentale sur la physio-pathogénie (le mécanisme de survenue) de cette maladie éprouve les pires difficultés, car elle touche le cerveau et se développe d'une façon insidieuse et longtemps microscopique. Le système nerveux central (SNC) est constitué du cerveau, du cervelet, du tronc cérébral et de la moelle épinière.
Comme les autres maladies dites neurodégénératives – la maladie de Parkinson, la sclérose latérale amyotrophique (SLA) – ou celles dites neuro-inflammatoires – sclérose en plaques (SEP) - du système nerveux central, elle est particulièrement difficile à étudier, étant donné l'impossibilité de pratiquer une biopsie (prélèvement de tissu à l'aide d'une aiguille spéciale) du cerveau (ou de la moelle épinière) du vivant de la personne, car les conséquences d'une biopsie seraient trop graves. En pratique, on réalise de telles biopsies uniquement en cas de maladie tumorale, car c'est tout à fait indispensable pour adapter la thérapeutique ; de plus, la ou les biopsies ne concernent alors qu'un tissu macroscopiquement malade, alors qu'au cours des maladies neurodégénératives ou neuro-inflammatoires, les atteintes sont à la fois diffuses et microscopiques. On éprouve les mêmes difficultés avec les formes prolongées de neuro-borréliose (impossibilité de biopsie) ; de plus, dans les neuro-borrélioses, les biopsies auraient l'avantage de pouvoir démontrer la présence des bactéries dans les lésions, ce qui permettrait une avancée décisive et l'apaisement des controverses.
Alors que la SEP paraît plus facile à étudier que la maladie d'Alzheimer, sachant que cette maladie évolue le plus souvent par poussées inflammatoires qui s'accompagnent de signes biologiques, qu'elle touche spécifiquement la gaine de myéline du système nerveux central (il s'agit d'une structure lamellaire lipidique et protéique qui entoure les fibres nerveuses pour les protéger et y accélérer la vitesse de l'influx nerveux), on est toujours en échec au sujet de sa cause exacte (on s'oriente de plus en plus vers une réaction immunitaire inappropriée à une infection passée inaperçue). A fortiori pour la maladie d'Alzheimer dont les lésions ne sont ni inflammatoires ni spécifiques, mais froides et diffuses.

On attend beaucoup des études épidémiologiques à très grande échelle

Faute de pouvoir effectuer des biopsies de plaque amyloïde du vivant d'une personne ayant une maladie d'Alzheimer, on attend beaucoup des études épidémiologiques longitudinales (portant sur des groupes ou cohortes que l'on suit pendant des années), car nous disposons aujourd'hui d'outils d'analyse statistique d'une puissance phénoménale. La mise en évidence de corrélations entre la survenue d'une maladie d'Alzheimer et l'exposition à tel ou tel facteur de risque devrait nous permettre d'avancer. Pourtant, de telles études sont menées depuis une trentaine d'années, mais sans réel succès. Elles sont d'autant plus complexes que cette maladie est à l'évidence la conséquence d'une exposition pendant des années à un et sans doute plusieurs facteurs de risque agissant à bas bruit. On a déjà évoqué le rôle de certains métaux (aluminium, plomb, mercure), celui de certains microorganismes (virus de l'herpès en particulier), celui de certains médicaments (benzodiazépines), ainsi que nombre d'autres facteurs pathogènes, sans oublier d'éventuelles carences (vitamine D, hormones sexuelles). À chaque fois que l'on croit avoir trouvé un facteur causal de premier ordre, c'est l'occasion de publications triomphales aux titres accrocheurs, et puis il s'avère que l'on doit déchanter parce que ce n'est pas aussi net que l'on ne l'avait pensé. Tout ce à quoi nous avons abouti jusqu'à présent, c'est à l'identification d'une liste de facteurs favorisants plus ou moins forts. C'est déjà cela, faute de mieux, ce qui constitue au moins un guide pour faire une prévention non spécifique et de bas niveau.

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