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Alerte au syndrome Pigasse / Berger pour le monde d’après
©CHARLES PLATIAU / POOL / AFP

Maux français

Matthieu Pigasse s'est confié dans les colonnes de L'Opinion sur la crise liée au coronavirus et a annoncé la fin de la mondialisation néo-libérale. Laurent Berger s'est récemment prononcé en faveur d'un impôt sur les entreprises qui ne sont pas victimes de la crise sanitaire et économique. En quoi ces propos sont-ils représentatifs d'un double mal français ?

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico.fr : Matthieu Pigasse a annoncé dans l'Opinion la fin précoce de la mondialisation néo libérale. La vision économique de M.Pigasse est-elle crédible ?

Pierre Bentata : Avant toute chose, il convient de se méfier dès qu'un propos use de l'épithèse "néolibéral, parce que ce terme, utilisé par tous les détracteurs du libéralisme et du marché, n'a aucun sens et ne leur sert qu'à dissocier les bienfaits du libéralisme et de ces éventuels défauts. Autrement dit, tout propos critiquant le néolibéralisme est nécessairement idéologique et politique, donc peu crédible. 

M. Pigasse ne fait pas exception lorsqu'il évoque le "triptyque: mondialisation, baisse du rôle de l'état et recul de la protection sociale". La mondialisation, que beaucoup fustigent aujourd'hui, signifie simplement que toutes les personnes du monde, où qu'elles se trouvent, participent à une activité économique devenue globale. La mondialisation pourrait se résumer à une lutte collective et décentralisée contre la pauvreté, dont les résultats sont miraculeux. Depuis l'essor de la mondialisation, dans les années 1960, la mondialisation a permis à près de 1 milliard de personnes de sortir de l'extrême pauvreté, soit 138 mille personnes tous les jours. Ceux qui critiquent la mondialisation ou pire encore, souhaitent sa fin, feraient bien de regarder les chiffres et d'apprendre un peu d'histoire. 

Par ailleurs, rien ne permet d'affirmer que le rôle des Etats est en recul. Il n'y a qu'à observer la croissance de la dette publique, ou mieux encore, l'inflation réglementaire et législative qui caractérise nos sociétés. L'Etat est partout; il n'existe plus une seule composante de nos vies qui ne soit régie ou du moins encadrée par des lois, des normes, des décrets. S'il est une certitude, c'est bien que l'Etat est parvenu à s'immiscer partout, au motif qu'il se présente comme l'assureur de tous les risques et de tous les maux, et le garant de la sécurité de tous. 

Et c'est bien là le problème. L'inefficacité des Etats providence occidentaux tient justement au fait qu'ils assument trop de fonctions différentes et contradictoires. Impossible d'assurer la sécurité et de promouvoir la liberté en même temps; impossible d'encourager la croissance tout en luttant contre les inégalités de revenus; impossible d'inciter les entrepreneurs à innover tout en garantissant un risque zéro. Ce que ne comprennent pas les étatistes comme M. Pigasse, c'est que l'omniprésence de l'Etat constitue la cause de son inefficacité et de sa perte de légitimité. La crise actuelle le démontre. Si l'Etat s'est trouvé dépourvu au début de l'épidémie, et incapable ensuite de réagir, c'est parce qu'il était déjà surendetté, empêtré dans une bureaucratie trop lourde et coincé par des objectifs inconciliables. 

La crise actuelle ne traduit pas la fin de la mondialisation libérale mais la faillite des Etats omniprésents. A cet égard, il convient rappeler que les entreprises pallient actuellement les défaillances publiques en fournissant des masques, des gels et des embouts de respirateurs aux hôpitaux. 

Laurent Berger a lui, déclaré dans les colonnes du Monde souhaiter un impôt sur les entreprises qui ne sont pas victimes de la crise sanitaire actuelle. En quoi ces propos sont-ils représentatifs d'un double mal français (égalitarisme punitif et pensée économique uniquement budgétaire) ?

Ces propos symbolisent parfaitement l'incapacité d'un grand nombre de Français à comprendre le monde dans lequel ils vivent. Biberonnés à l'impôt et à l'interventionnisme, ils ne voient qu'à travers ce prisme; quand bien même ce dernier serait totalement inadéquat. Ainsi, que des milliers d'entreprises voient leur existence menacée, Laurent Berger considère que par souci d'égalité, il faudrait que les entreprises mieux loties payent pour les sauver! 

Si l'on y réfléchit quelques secondes, il n'y a rien de juste là-dedans. Qui est responsable de la mise à l'arrêt de l'économie sinon l'Etat? Et pourquoi ce dernier ne peut assumer sereinement le rôle d'assureur en dernier ressort, qu'il s'est octroyé; si ce n'est en raison d'une dette déjà abyssale? Ainsi, Laurent Berger voudrait que les entreprises payent trois fois pour un service non rendu! Une fois par l'impôt initial, une seconde fois par l'arrêt de leur activité et une troisième fois par un nouvel impôt; le tout, pour une protection que les entreprises et les citoyens assurent désormais en lieu et place de l'Etat. 

N'importe qui avec un peu de culture économique verrait le problème, mais comme vous le notez dans la question, de culture économique, ils n'ont qu'une idée comptable, budgétaire, fondée sur la pensée magique que la dépense publique sera toujours compensée par un impôt supplémentaire. Voilà pourquoi l'on peut objectivement parler d'aveuglement idéologique: ces gens croient, peut-être sincèrement, que l'économie est une chose simple qui se régule par l'impôt et la dépense publique. Même lorsque les faits leur donnent tord à cent pour cent, comme aujourd'hui, ils ne peuvent changer de logiciel tant ils sont imprégnés de la croyance en un Etat régulateur et efficace. 

Malgré leurs nombreuses imprécisions sur l'économie, comment expliquer l'influence majeure des discours de M.Pigasse et de M.Berger dans les médias et sur la scène politique et économique française ?

Plusieurs raisons expliquent le succès de cette pensée magique. La première tient à l'incurie des Français en matière économique. Toutes les enquêtes confirment ce fait malheureux: les Français ne comprennent pas ce qu'est un marché, ce que signifie entreprendre et se révèlent incapables de percevoir les vertus d'un système de marché. Cela tient en grande partie à la faiblesse des cours d'économie et à leurs contenus fortement idéologiques. Regardez par exemple l'organisation du cours d'économie de première ou de terminale: on définit l'économie de marché, puis on développe ses défaillances avant de présenter l'Etat comme l'unique moyen de les résoudre!

Cette incompétence touche nécessairement toutes les composantes de la société civile, dont les journalistes eux-mêmes, qui se trouvent dans l'incapacité de contredire un propos faisant l'apologie de l'interventionnisme ou dénonçant les dérives du marché. Une telle position leur paraît même inconcevable, puisqu'ils n'ont jamais entendu d'autre son de cloche. Journalistes comme citoyens n'ont tout simplement pas les compétences nécessaires à la remise en cause du dogme.

Ainsi, la demande d'informations est dénué d'esprit critique, et face à elle, l'offre est monolithique. Cela tient à l'extrême homogénéité des parcours de nos dirigeants politiques ainsi que des dirigeants des grandes entreprises. La plupart sont des énarques, parfois des polytechniciens et plus rarement des normaliens. Aussi, tous les visages médiatisés ont reçu la même éducation biaisée et proposent en conséquence les mêmes solutions et analyses. 

Pour sortir de cette situation d'aveuglement idéologique et d'inculture économique, il faudrait évidemment favoriser des pensées différentes, hétérodoxes et promouvoir le débat d'idées. Les Français pourraient alors s'apercevoir de la nécessité de baisser les impôts sur les entreprises pour qu'elles survivent à la crise, de l'importance de réduire les missions de l'Etat pour qu'il puisse agir en cas de crise, et surtout ils seraient peut être en mesure de voir la réalité en face: dans la situation actuelle, seul le marché a fonctionné !

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