Aide sociale à l’enfance : ces mauvais diagnostics politiques et cette lourdeur bureaucratique qui font perdre de vue l’intérêt des enfants <!-- --> | Atlantico.fr
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Aujourd’hui, ce sont les départements, qu’ils soient de gauche ou de droite, qui ont transformé les ASE en services administratifs qui trient des situations au lieu de s’occuper au plus prés des histoires singulières de chaque enfant.
Aujourd’hui, ce sont les départements, qu’ils soient de gauche ou de droite, qui ont transformé les ASE en services administratifs qui trient des situations au lieu de s’occuper au plus prés des histoires singulières de chaque enfant.
©FRED TANNEAU / AFP

Bilan

Suite aux émeutes et à l’évocation de la responsabilité parentale par le président de la République et le gouvernement, toute une partie de la gauche, à l'instar de Mathilde Panot, s’est indignée de cette mise en cause et plus largement de la politique sociale à l’enfance.

Luc Garcia

Luc Garcia

Luc Garcia est psychologue.

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Atlantico : La députée LFI Mathilde Panot a dénoncé l’attitude d’Emmanuel Macron concernant les familles monoparentales en les mettant en cause “de façon indigne”, selon elle, dans le cadre de l’autorité parentale à la suite des émeutes. Alors que l’État a, toujours selon elle, la responsabilité de 400.000 enfants placés à l’Aide sociale à l’enfance, quel est le bilan de cette institution ? Ayant vous-même travaillé avec 5 aides sociales à l’enfance dans différents départements, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Luc Garcia :Votre question montre parfaitement l’état actuel du débat : il est fait d’approximations diverses qui servent des intérêts de politique politicienne. En premier, ce n’est pas l’Etat qui a la responsabilité de ces enfants au sens légal du terme. Dire cela fait croire que du bureau de Mme Borne à l’enfant placé, il y aurait une prise directe. Or, le diable se loge dans les détails. Concrètement, des magistrats prennent des décisions dans des ordonnances qui sont argumentées en droit dans lesquelles sont inscrites que les enfants sont confiés à l’Aide sociale à l’enfance du département concerné par le lieux (le plus souvent) où la décision judiciaire a été rendue. Ensuite, l’Aide sociale à l’enfance à son tour confie l’enfant à une structure collective sur laquelle elle exercera un droit de regard (lorsqu’elle l’exerce) ou chez une assistance familiale qu’elle emploie. Donc, il n’y a pas linéarité entre le gouvernement et l’ASE. Ensuite, et il s’agit là d’une donnée importante, il y a DES ASE, une par département, qui sont gérées par des Conseils départementaux. La simplification de Mme Panot alimente les chapelles complotistes actuelles en faisant croire que la main lourde de l’Etat fomente une politique irresponsable. Ceci détourne du souci que pose la gestion en fait totalement décentralisée des ASE par les Conseils départementaux : il n’existe aucune unité de traitement dans le pays, à peu prés aucun contrôle étatique et une hétérogénéité très forte d’un département à l’autre en matière de protection de l’enfance et des moyens qui lui sont accordés. On pourra rappeler d’ailleurs que dans l’histoire, un des départements qui consacrait le plus de moyens à l’Aide sociale à l’enfance dont il avait la responsabilité était les Hauts-de-Seine de Charles Pasqua. Par ailleurs, contrairement à votre mention de ses propos, Mme Panot n’a pas parlé en fait de responsabilité. Elle a dit « l’Etat a l’autorité parentale sur 400 000 enfants qui sont placés à l’Aide sociale à l’enfance ». Or, cela, légalement et symboliquement, est parfaitement faux. La distorsion dans votre question montre exactement ce à quoi se donne Mme Panot : confondre les termes pour évacuer les vraies questions. L’autorité parentale, en droit français, fait très rarement l’objet d’une déchéance, les enfants fussent-ils placés. Dieu merci, ce n’est pas l’Etat qui éduque les enfants placés. Ou alors est-ce là le rêve de Mme Panot ? C’est effrayant. 

En quoi Mathilde Panot se trompe dans son analyse et son diagnostic ?

Elle cible une responsabilité univoque de l’Etat alors que la protection de l’enfance devrait faire l’objet d’une politique harmonisée en terme de moyens. Aujourd’hui, ce sont les départements, qu’ils soient de gauche ou de droite, qui ont transformé les ASE en services administratifs qui trient des situations au lieu de s’occuper au plus prés des histoires singulières de chaque enfant. La question n’est pas celle de l’autorité de l’Etat mais de l’analyse que l’on doit réaliser, finement, de chaque histoire de chaque enfant. En toute logique, Mme Panot, en faisant consister un Etat omnipotent, voudrait revenir à l’époque des DDASS, époque où justement on évoquait l’enfance en terme de corrections strictes à appliquer aux enfants. On sait que ce regard posé sur l’enfance ne produit aucun résultat. Mais à l’inverse, la solution de décentraliser les ASE produit des effets néfastes qui n’a pas résolu la question pour autant. Il s’agit de repenser cette politique publique de manière fine, en s’occupant de chaque détail. Réduire de plus la question à celle de l’autorité ne manque pas de sel pour une politique qui fustige que ces questions n’en relèvent pas. En contestant pour contester, elle fait revenir la question de l’autorité par la mauvaise fenêtre. Lorsqu’un enfant placé est un objet géré par du personnel qui n’a pas été formé pour, qui est tenu de produire des résultats quantifiés comme ceux qui sont imposés aux jeunes pour savoir si, au bout de trois mois, à leur majorité, ils ont fait les démarches pour leur formation, puis les trois mois suivants s’ils ont cherché un logement, puis les trois mois suivants s’ils obtiennent un travail, ne produit que des déceptions et une polarisation sur des résultats totalement factices et surtout avec un idéal purement administratif. À 18 ans, les jeunes sont lâchés avec pour conséquence qu’ils reviennent au domicile ou finissent dans la rue. Par exemple, le suivi scolaire est totalement laissé à l’abandon, comme si ces enfants ne pouvaient accéder au savoir. Aucune exigence n’est demandé sur cette question aux familles d’accueil dont beaucoup sont recrutées par cooptation ou sont laissées à l’abandon par les services de l’ASE, voire encore ne sont jamais contrôlées, ce qui pénalisera encore plus les enfants dans le cadre de leur placement que s’ils étaient restés chez leurs parents. En revanche, on passera des heures pour faire des papiers à perte de vue pour lui donner un badge de transport ou lui faire compléter une demande de logement social. Si jamais il ne veut pas revenir chez ses parents, on lui dira qu’en raison de l’absence de danger chez ses parents, il doit y retourner. L’enfant est un pion, purement, une cocotte minute dont on veut se débarrasser. 

Le fait d’apporter des moyens peut-il vraiment aider la situation de l’Aide sociale à l’enfance ? Comment faire pour que les enfants soient bien traités et ne soient pas considérés comme des “objets” que l’on déplace ?

La question des moyens est à double tranchant. Evidemment qu’une politique publique aussi sensible que celle de la protection de l’enfance nécessite des moyens. C’est toujours une surprise de constater que dans la nation parmi les plus taxées du monde, les juges n’ont pas les moyens de juger en termes matériels ou en termes de personnel dévolu, les ASE sont capables de bloquer une orientation pour quelques euros qui n’entrent pas dans les grilles des prix de journées mais dilapideront des sommes considérables pour changer la charte graphique ou organiser des séminaires inutiles, ou encore que les policiers de la brigade des mineurs doivent faire trois bureaux différents pour accéder à un ordinateur qui fonctionne. Tous les professionnels de la protection de l’enfance constatent l’indigence des moyens. Mais cela recouvre une réalité plus large : les taxes, les impôts, les cotisations s’empilent, des sommes astronomiques sont engrangées, et ceux qui doivent oeuvrer pour le bien collectif n’en voient pas la couleur. Dans le même temps, mettre de l’argent dans une structure qui ne réfléchit pas en terme de prise en charge singulière, qui veut imposer des placements sans comprendre ce qui se joue pour l’enfant, c’est faire tomber les investissements dans un trou noir. Aujourd’hui, la protection de l’enfance est infectée par la question manichéenne « pour ou contre les parents » et plus largement les professionnels formés ont de moins en moins accès à un enseignement de sciences humaines de qualité. On recrute difficilement parce que les salaires sont de plus en plus décalé au regard des nécessités sociales. Cette paupérisation est un cercle vicieux puisqu’on attire des candidats qui viennent à la protection de l’enfance par défaut. Il en résulte un niveau d’analyse des situations d’une faiblesse difficile à imaginer mais que l’on subit quotidiennement. Conséquence immédiate : soit on sanctionne les parents (ce qui est très violent pour les enfants), soit on leur laisse des droits inconsidérés au regard de leurs capacités pour continuer de garder leurs enfants. Or, on constate par exemple que les structures de soins médicaux psychiatriques ont presque entièrement disparu par faute là encore de moyens, mais aussi parce qu’on s’est bercé d’illusions de croire que les pathologies psychiques pouvaient être résolues au domicile avec des médicaments et la visite une fois par semaine d’une éducatrice qui doit passer son temps dans sa voiture pour rester une heure dans une famille pour voir si tout va bien. Il n’existe plus de temps d’élaboration pour comprendre une constellation familiale, les pratiques de soins (je pense aux parents) et les pratiques sociales (pour les enfants), ont déserté le champ pour laisser la place à une gestion technocratique qui veut de l’efficacité à tout prix. Ça produit évidemment des conséquences délétères qui génèrent des dépenses sociales considérables pour venir boucher les trous. Pour économiser au départ, tout finit par couter très cher pour palier ce qui n’a pas été étudié au préalable. À 18 ans, l’enfant placé qui n’a pas fait l’objet d’une écoute attentive durant son histoire, va faire l’objet de politiques de réinsertion dispendieuses et qui arrivent trop tard. On croit qu’on va résoudre la question avec des chèques, de la CMU, des APL, etc, mais par exemple on aura oublié au passage que tel département, pour économiser 3 sous, a changé l’enfant de lieu du jour au lendemain parce qu’il ne voulait pas recruter une assistante familiale chez qui pourtant il parvenait à se poser. La bureaucratie qui rend dingue les urbanistes ou les fabricants de voitures est la même qui rend l’ASE à une gestion ubuesque. Le personnel qui reste est celui qui est capable de s’adapter à ces esprits étroits qui gèrent les enfants à coup de circulaires. La situation est clairement très mal engagée et je n’ai pas la recette miracle. Seulement, le présent constat que font bien des professionnels ne passe pas les sphères des administrations départementales ou nationales. Quant aux politiques, on le voit bien là, ils se servent de cette question pour la réduire à des postures. 

Qu’est-ce qui selon vous permettrait d’améliorer le système ?

Il s’agirait d’opérer un double mouvement : abattre la bureaucratie obsédée par les chiffres et enlever les ASE de leur tutelle départementale. Mais ne soyons pas naïfs, cela ne pourra arriver. D’une part parce que les politiques locaux tiennent trop à leur petit pouvoir local, et les bureaucrates qui sont désormais installés ne vont pas quitter leur siège de sitôt. Il conviendrait d’avoir une volonté politique forte, avec surtout un projet repensé pour la protection de l’enfance, qui permette la pluralité des pratiques pour s’adapter à la variété des situations, ne soit pas dans des enjeux de pouvoir mais s’inscrive dans un débat intellectuel de qualité. Réfléchir au delà du trottoir d’en face, le bureaucrate ne le veut pas car il en a peur, et tourner le dos aux potentats locaux, le politique ne le veut pas non plus. Le risque que l’on voit venir depuis longtemps, c’est que les professionnels qui veulent faire du cousu main se retrouvent dans une certaine forme de clandestinité. C’est ainsi que l’administration au sens large a appauvri le débat. Seule une refonte qui viendrait remettre en cause bien des habitudes françaises pourrait nous sortir de l’impasse. Mais je ne suis pas optimiste. 

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