Agression du DRH d'Air France : l'état de l'Hexagone résumé en une image<!-- --> | Atlantico.fr
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Lundi 5 octobre, la gréve des salariés d'Air France a débordé lorsque des manifestants s'en sont violemment pris au DRH du groupe, Xavier Broseta, qu'ils ont lynché.
Lundi 5 octobre, la gréve des salariés d'Air France a débordé lorsque des manifestants s'en sont violemment pris au DRH du groupe, Xavier Broseta, qu'ils ont lynché.
©Reuters

Pays au bord de la crise de nerfs

Le 5 octobre, la colère des salariés d'Air France a atteint un pic de violence lorsqu'un groupe de grévistes a interrompu la réunion du comité centrale d'entreprise où siégeait entre autres Xavier Broseta, le directeur des ressources humaines du groupe français, qui a été violemment humilié.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Serge Federbusch

Serge Federbusch est président d'Aimer Paris et candidat à l'élection municipale de 2020. Il est l'auteur de La marche des lemmings ou la 2e mort de Charlie, et de Nous-Fossoyeurs : le vrai bilan d'un fatal quinquennat, chez Plon.

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Atlantico : Lundi 5 octobre, la gréve des salariés d'Air France a débordé lorsque des manifestants s'en sont violemment pris au DRH du groupe, Xavier Broseta. En quoi ce lynchage est-il révélateur de la situation salariale de la compagnie aérienne française ?

Bertand Vergely : Ce qui s’est passé est logique. Cela fait plusieurs mois qu’Air France est en discussion avec ses pilotes et, derrière eux, avec ses salariés. Quand cela fait longtemps qu’une discussion dure et qu’elle n’aboutit pas, il y a de quoi être énervé. Quand, de plus, on apprend que finalement c’est un licenciement qui va avoir lieu alors qu’il avait été dit au départ que ce ne serait pas le cas, on a encore davantage de raisons  de faire une crise de nerfs. Au-delà de la logique, ce qui s’est passé montre que tout le monde a été débordé, la direction comme les syndicats. Quand on est une direction, on trouve des solutions. Comment se fait-il que cela n’ait pas été le cas ? Comment peut-on laisser des discussions s’enliser ainsi pendant des mois, en plus, pour en arriver là ? Quand, par ailleurs, on est un syndicat responsable, on contrôle ses troupes. Comment se fait-il que les syndicats se soient laissés déborder ? Il y a derrière tout cela un problème de culture. Une entreprise c’est une culture. Chez Air France où est-elle ? Le syndicalisme c’est également une culture. Où est elle ? À l’évidence, la culture a disparu. Chez Air France parce que la compagnie est obnubilée par les chiffres et a question financière ; Chez les syndicats parce que ceux-ci sont obnubilés par la préservation des avantages acquis. D’où les crispations. Quand on est obnubilé par les chiffres et les avantages acquis, on a peur. Quand on a peur, on se crispe et un jour la crispation explose. Ce qui s’est passé.

Serge Federbush : Air France est depuis des décennies une des entreprises symboles de notre pays, au même titre que l'ancienne ORTF ou Renault : les ailes de la France, la voix de la France, la Régie nationale, etc. Il s'agit d'une sorte de vitrine. Sa privatisation n'a pas fondamentalement changé cette perception. Par conséquent, ce qui s'y déroule a un retentissement important pour toute la nation. 

La vie chez Air France était jusqu'à présent confortable et feutrée pour le personnel : hauts salaires, effectifs pléthoriques, avantages en tout genre ; une sorte de survivance d'une France prospère, à l'abri de la dureté de la compétition internationale. Mais voilà, les temps changent. Entre les compagnies low cost et les entreprises ultra-subventionnées des pays du Golfe, Air France n'est plus compétitive. Elle a essayé de différer la prise de conscience de cette évolution mais c'était reculer pour moins bien sauter. 

L'entreprise continue d'être un symbole sauf que cette fois il s'agit de celui du déclin français et non plus de son prestige et de sa réussite. On est passé d'un coup d'un microcosme privilégié à l'irruption brutale du réel. Il est probable que la responsabilité en incombe en large partie à une direction qui a attendu trop longtemps avant de prendre les mesures qu'impose le redressement de l'entreprise.

Ce débordement souligne-t-il la souffrance sociale inhérente à la société française (à quel niveau) ? Si l'on s'attache à la violence même de cette situation, s'agit-il d'un évènement isolé ou est-ce là le révélateur d'une violence qui ne fait que monter au sein de la société française ?

Bertand Vergely : Une crise est toujours positive, celle-ci coïncidant avec le moment où, les tensions explosant, le non-dit est dit. De fait, il n’y a pas crise. Et c’est bien là le problème. Il y a en revanche un malaise. Cela vient de ce qu’il n’y a pus de culture capable d’exprimer le fond des choses. Une culture, c’est une mémoire, un imaginaire, une sensibilité, des rêves, des désirs, une langue. Où cela s’exprime-t-il ? Quel parti politique, quelle spiritualité, quelle morale, quel courant de sensibilité, quelle mémoire, quel imaginaire relaie-t-il tout cela ? La politique est morte et nous l’avons tous tuée. La France est en train de mourir et nous sommes tous en train de la tuer. À l’image de ce qui se passe à Air France, nous sommes obsédés par la financiarisation du monde liée à la mondialisation et à la préservation de nos avantages acquis dans ce monde qui nous échappe et qui nous fait peur. Certes, on parle. On communique. Mais dans tout cela qu’y a-t-il ? Des réactions. Que des réactions. Aucune idée. Pas une parole. Rien qui nous touche. Rien qui aille à l’essentiel. Que du bavardage. Que du commentaire. Que des critiques. Que des plaintes. Que du nombrilisme qui s’écoute parler. Résultat dans ce monde qui se vide peu à peu de tout sens et de contenu, les individus livrés à eux-mêmes sont seuls sans plus aucun réflexe d’appartenance à une entreprise, un parti, une morale, une religion, une société, une communauté humaine, un destin collectif.

Serge Federbush : Ce qui caractérise les Français d'aujourd'hui c'est plutôt leur apathie dans l'adversité. Les politiciens usent et abusent de cette résignation. Je suis fasciné par l'endurance des usagers du RER, traités comme du bétail, ou par celle des victimes d'une bureaucratie étatique qui n'arrête pas de produire des règlements absurdes dans tous les domaines jusqu'à tuer l'activité, comme on le constate dans le BTP. 

Mais, bien sûr, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. Il y a des points de rupture, des dégradations brutales et on vient d'en voir une chez Air France. En fait, la violence est apparue là-bas parce que justement les salariés ont continué d'y être plutôt bien traités. Ils n'ont pas été progressivement habitués à la disparition de leurs avantages. Cette transition assez soudaine entre une vie protégée et la possibilité tangible du chômage ou la fin de nombreux avantages les a pris presque par surprise, suscitant une réaction violente. 
Il faut garder à l'esprit que la vie dans les entreprises industrielles qui ont périclité dans les années 1970 à 2000 était souvent pénible pour des salariés qui, au fond, étaient soulagés de se retrouver en pré-retraite. Les fermetures d'usines étaient mieux supportées. Dans le cas d'Air France, le personnel perd un statut et un mode de vie enviables auxquels il est attaché.


S'agit-il de l'expression d'un ras-le-bol général, ou bien faut-il chercher sa source plus en profondeur ? Pourquoi cette violence est-elle de plus en plus visible ?

Bertand Vergely : Nous n’assistons pas à un ras-le-bol ni à une montée de la violence, mais à un phénomène plus sournois à savoir la montée de la dureté. Avez Vous vu la publicité pour Lancel sur les abris bus ? Regardez les yeux de la fille qui pose pour cette publicité. C’est de l’acier. Elle a les yeux revolver. Dans la rue, on croise des regards d’une dureté effrayante. Les passants ne marchent plus. Ils attaquent. Ce qui donne lieu à des mini duels où c’est à qui baissera les yeux le premier et à qui cédera le passage à l’autre. La raison de tout cela ? Plus aucune culture. Plus aucune idée. La culture voulant dire avoir soin, plus de soin, de soi, des autres, de la vie. La France est l’un des plus beaux pays du monde avec la culture la plus géniale qui soit et un art de vivre époustouflant.  Qu’est-ce qu’on attend pour se réveiller ?

Serge Federbush : C'est l'illustration d'un mal très profond. Toute la stratégie du pouvoir depuis des décennies est d'accompagner doucement le déclin de notre secteur productif, en s'endettant pour panser les plaies sociales les plus vives grâce des aides en tout genre, des plans de reconversion, des subventions. Imaginez une France sans RSA et allocations familiales : ceux qui disent que la révolution est impossible en France changeraient vite d'avis !

La grande difficulté est que ce système arrive à son terme : il faut mendier le rachat par la Banque centrale européenne de notre dette publique, faire semblant de filer droit à Bruxelles. Et l'Etat n'a plus les moyens d'arroser suffisamment pour maintenir la paix sociale. Il lui sera par exemple très difficile de venir en aide à Air France. Si d'aventure le management des anciennes grandes entreprises publiques se révèle inapte à conduire les changements nécessaires et faire les économies de gestion en temps utile, on peut donc assister à des phénomènes d'explosion.

Ce qui s'est passé chez Air France hier démontre que les tensions montent dans toute la société. La même journée la manifestation contre les migrants de 500 Calaisiens ou le "lynchage" chez Air France (il n'y a quand même pas eu mort d'homme comme dirait Jean-François Kahn), témoignent de ce durcissement du climat social. La méthode "Hollande" , qui avance masquée et en douceur que les moutons ne réalisent pas qu'ils se font tondre, finit par se heurter à de brutales résistances.

Mais, au risque de choquer les lecteurs d'Atlantico, je dirais que cette violence aura quelque chose de sain si elle sort les Français de leur torpeur, du mal lent et langoureux qui les tue à petit feu.

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